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réquisition devait passer par la voie hiérarchique. Etranger aux partis, à la politique, je n'ai considéré que le principe de l'obéissance passive dans les rangs. Ce principe je l'ai appris du maréchal Bugeaud. La discipline est la vie de l'armée, et le jour où vous n'aurez plus d'armée, l'ordre public aura perdu son plus sûr, son plus fidèle appui.

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Le vote dépendait de la gauche. Un de ses membres. Charras, défendit la proposition en montrant l'Empire. Crémieux, Jules Favre et Michel de Bourges l'attaquèrent en montrant la Monarchie: «Le péril, dit ce dernier, c'est que la monarchie est menacée, c'est que la république commence à être inaugurée, voilà le péril! Vous avez peur de Napoléon-Bonaparte, et vous voulez vous sauver par l'armée. L'armée est à nous, et je vous défie, quoi que vous fassiez, si le pouvoir militaire tombait dans vos mains, de faire un choix qui fasse qu'aucun soldat vienne ici pour vous contre le peuple. Non, il n'y a point de danger, et je me permets d'ajouter que s'il y avait danger, il y a une sentinelle invisible qui vous garde; cette sentinelle, je n'ai pas besoin de la nommer, c'est le peuple. »

La rapporteur Vitet eut alors un mot imprudent qui augmenta le nombre des adhérents de Michel de Bourges. « Vous me demandez où est le péril, dit-il, eh bien, il est dans votre alliance avec celui que vous protégez.. - Vous l'avouez donc, riposta Schoelcher; la proposition est dirigée contre nous, et vous voulez que nous la

votions?-Charras parut regagner la gauche lorsque sur l'interrogation du général Bedeau, SaintArnaud avoua qu'il avait ordonné d'arracher des murs des casernes les quelques exemplaires du décret qui y restaient encore. « Je demande la mise en accusation! cria Charras au milieu d'un indescriptible tumulte. Supposant la partie perdue, Saint-Arnaud fit le signe convenu, et il sortit de l'hémicycle en même temps que Maupas et Magnan de leur tribune. Où allez-vous ainsi? lui dit un de ses collègues auquel il se heurta. On fait trop de bruit dans cette maison, réponditil tout ému, je vais chercher la garde. Ce départ brusque fit sensation et donna à réfléchir. Thiers essaya en vain de raffermir les courages; les finasseries exaspèrent aux moments solennels; on le fit taire. La proposition des questeurs fut rejetée par 408 voix contre 300. Plus de 150 républicains avaient voté avec le gouvernement. A l'annonce de cette solution, le Président dit tranquillement - Cela vaut peut-être mieux. Allons nous mettre à table.

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IV

A ce moment, si la gauche de Michel de Bourges eût été clairvoyante, elle ne s'en fût pas tenue à ce vote, elle se fût rapprochée plus encore et eût noué une alliance. C'est l'avis qu'exprimait Proudhon : «La majorité, cela n'est pas douteux, méditait pour son propre

compte précisément ce qu'a fait Louis Bonaparte. Un coup d'État devait être accompli, soit par la majorité contre le Président, soit par celui-ci contre la majorité. Si les Montagnards avaient eu un peu plus le sens pratique des révolutions, s'ils s'étaient moins laissé gouverner par leur haine pour le Président et leur déférence pour MM. Cavaignac et Ledru-Rollin, il serait arrivé inévitablemeut ceci : qu'à dater du 4 novembre, il y aurait eu négociations, puis entente entre la gauche et le Président, qui, certes, n'eût pas demandé mieux ; qu'au lieu d'être partie perdante dans le coup d'État, elle eût été partie gagnante, en commun, avec Louis-Bonaparte. La Montagne ne l'a pas voulu : nous subirons les conséquences de son impéritie1. »

Le langage du Président devenait de plus en plus menaçant et résolu. Aux exposants français à l'Exposition universelle de Londres réunis dans la salle du cirque, il dit : « Comme elle pourrait être grande, la République française, s'il lui était permis de vaquer à ses véritables affaires et de réformer ses institutions, au lieu d'être sans cesse troublée, d'un côté par les idées démagogiques, et de l'autre par les hallucinations monarchiques! (Vifs applaudissements.) Les idées démagogiques proclament-elles une vérité? Non, elles répandent partout l'erreur et le mensonge. L'inquiétude les précède, la déception les suit, et les ressources employées à les réprimer sont

1. Sainte-Pélagie, 19 décembre 1851.

autant de pertes pour les améliorations les plus pressantes, pour le soulagement de la misère. (Adhésion unanime.) Quant aux hallucinations monarchiques, sans faire courir les mêmes dangers, elles entravent également tout progrès, tout travail sérieux. On lutte au lieu de marcher. On voit des hommes, jadis ardents promoteurs des prérogatives de l'autorité royale, se faire conventionnels afin de désarmer le pouvoir issu du suffrage populaire. (Applaudissements.) On voit ceux qui ont le plus souffert, le plus gémi des révolutions en provoquer une nouvelle; et cela, dans l'unique but de se soustraire au vœu national et d'empêcher le mouvement qui transforme les sociétés de suivre un paisible cours. (Bravos prolongés.) Ces efforts seront vains. Tout ce qui est dans la nécessité des temps doit s'ac· complir.

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Quoique tout fût prêt pour le coup d'État et que Saint-Arnaud, Persigny, Fleury et Maupas le pressassent d'en fixer la date, le Président l'éloignait toujours. Il avait reculé du 20 novembre au 25, puis au 2 décembre, et il voulait différer encore. Il semblait attendre je ne sais quoi d'imprévu qui l'en dispenserait.

Mais la gauche, qui avait voté contre la proposition des questeurs, s'efforçait de se faire pardonner son vote. Un de ses jeunes orateurs, Bancel, à propos de l'exécution de la sentence du conseil de guerre de Lyon, s'écriait au milieu des acclamations de ses amis : « Les conspirations flagrantes qui sautent aux yeux du pays, savez

vous où je les trouve? Je les trouve dans le mépris des lois à chaque instant pratiqué par les agents du gouvernement. Je les ai rencontrées hier encore dans un discours factieux de M. le Président de la république, de celui qui se fait appeler le chef de l'État. Cette politique élyséenne, je la caractérise d'un seul mot: elle a consisté dans le mensonge depuis le commencement jusqu'à la fin ». (26 novembre.)

O déclamateurs! fléaux du monde ! Leur excuse est leur aveuglement. Ouvrir les yeux et voir les choses et les hommes ce qu'ils sont, cela parait bien simple, et c'est cependant ce qui constitue le génie. En lisant certains discours politiques de ce temps, on se croirait dans une maison de fous. Ils sont tous convaincus des certitudes les plus invraisemblables. Berryer croit qu'il va rendre la France à son roi, Thiers qu'elle soupire après sa présidence, Changarnier se considère comme le maître de l'armée qui va le coffrer, et les républicains, comme les idoles inviolables du peuple qui va se frotter les mains en les sachant emprisonnés.

Le Président se convainquit enfin de l'impossibilité d'une entente avec ces forcenés. D'autre part les monarchistes, décidés d'arriver aux extrêmes annonçaient un projet de loi sur la responsabilité du Président, cette fois avec le concours des républicains. Toute tentative d'élection illégale entraînerait la mise en accusation et toute mise en accusation la suspension immédiate des pouvoirs présidentiels.

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