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La Chambre close, les députés et les meneurs dangereux sous clef, il restait deux inconnues à dégager desquelles dépendait le succès définitif. Comment l'armée et le peuple accueilleraient-ils l'événement? L'hostilité d'une certaine portion de la bourgeoisie n'était pas douteuse, mais cette hostilité n'avait pas de quoi inquiéter si l'armée et le peuple se prononçaient.

Il n'y avait pas à redouter de l'armée un refus d'obéissance, encore moins une rébellion, mais une résignation passive eût été insuffisante; pour que son concours fut décisif il le fallait ardent, passionné, inébranlable. Elle ignorait pourquoi on l'avait établie sur certaines places publiques ou consignée dans ses casernes. Quel sentiment éprouverait-elle quand elle apprendrait le pourquoi? On sut vite à quoi s'en tenir. Dès que le jour paraît, on forme les troupes en cercle dans les casernes ou dans leurs campements et on leur lit la proclamation suivante : « Soldats! soyez fiers de votre mission, vous sauverez la patrie, car je compte sur vous, non pour violer les lois, mais pour faire respecter le pays, la souveraineté nationale, dont je suis le légitime représentant. L'Assemblée a essayé d'attenter à l'autorité que je tiens de la nation entière; elle a cessé d'exister. Je fais un loyal appel au peuple et à l'armée, et je leur dis Ou donnez-moi les moyens d'assurer votre prospérité, ou choisissez un autre à ma place. En 1830 comme en 1848, on vous a traités en vaincus. Après avoir flétri votre désintéressement héroïque, on a dédaigné de con

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sulter vos sympathies et vos vœux, et cependant vous êtes l'élite de la nation. Aujourd'hui, en ce moment solennel, je veux que l'armée fasse entendre sa voix. Votez donc librement comme citoyens; mais, comme soldats, n'oubliez pas que l'obéissance passive aux ordres du chef du Gouvernement est le devoir rigoureux de l'armée, depuis le général jusqu'au soldat. Aidez, par votre attitude imposante, le pays à manifester sa volonté dans le calme et la réflexion. Soyez prêts à réprimer toute tentative contre le libre exercice de la souveraineté du peuple. Soldats, je ne vous parle pas des souvenirs que mon nom rappelle. Ils sont gravés dans vos cœurs. Nous sommes unis par des liens indissolubles. Votre histoire est la mienne. Il y a entre nous dans le passé communauté de gloire et de malheur; il y aura dans l'avenir communauté de sentiments et de résolutions pour le repos et la grandeur de la France. »

C'était la harangue des grands généraux qui, à la veille de l'action, double les forces des combattants. Une longue acclamation s'échappa de tous les rangs. On a parlé de pièces d'or distribuées, de vin prodigué. Le seul or donné ce fut cette parole d'un Bonaparte; elle fut le vin généreux qui exalta le moral des soldats. Ils savent maintenant pourquoi on les remue, ce qu'on attend d'eux; ils prennent conscience de leur rôle. Partout, dans l'attente ou au combat, on les verra fiers, le regard et le visage assurés, n'éprouvant aucune ivresse que celle

du concours accordé d'un libre assentiment.

Néanmoins le dévouement de l'armée n'eut pas suffi au succès si le peuple de Paris s'était déclaré contraire. Sans élever des barricades ni tenter une insurrection, s'il était descendu en flots serrés sur le boulevard en criant: Vive la constitution! A bas le tyran! le coup d'État se serait écroulé dans le vide ou aurait dû recourir à l'une de ces boucheries auxquelles on ne survit pas.

Le sentiment populaire fut un peu plus long à dégager que celui de l'armée. Dans toutes les maisons, à l'heure où on lisait la proclamation aux troupes, les concierges ou les domestiques entraient chez leurs maîtres en disant : « Le coup d'Étal est fait, c'est affiché. » Et chacun de se lever, de sortir, d'aller lire, voir, écouter. C'est au coin de la rue de Beaune et du quai, non loin de ma demeure de la rue Saint-Guillaume, que je me trouvai en face des affiches. A côté de l'appel aux soldats et d'une notification comminatoire de Maupas, je vis deux décrets et une proclamation au peuple français.

Le premier décret portait : « L'assemblée nationale est dissoute; le suffrage universel est rétabli; la loi du 31 mai est abrogée; le Conseil d'État est dissous; l'état de siège est décrété dans l'étendue de la 1re division militaire; le peuple français est convoqué dans ses comices à partir du 14 décembre jusqu'au 21 décembre suivant. >> Le second décret donnait la formule du plébiscite sur laquelle le peuple avait à se prononcer par oui ou par non. « Le peuple veut le main

tien de l'autorité de Louis-Napoléon Bonaparte et lui délégue les pouvoirs nécessaires pour établir une constitution sur les bases proposées dans la proclamation du 2 décembre. » Le vote devait avoir lieu sur deux registres : l'un d'acceptation, l'autre de non acceptation; les citoyens de vingt et un ans consigneraient, ou feraient consigner dans le cas où ils ne sauraient pas écrire, leur vote sur l'un de ces registres avec mention de leurs noms et prénoms.

La proclamation expliquait ces actes et indiquait les bases de la Constitution soumise au vote.

<«< Français ! La situation actuelle ne peut durer plus longtemps. Chaque jour qui s'écoule aggrave les dangers du pays. L'Assemblée, qui devait être le plus ferme appui de l'ordre, est devenue un foyer de complots. Le patriotisme de trois cents de ses membres n'a pu arrêter ses fatales tendances. Au lieu de faire des lois dans l'intérêt général, elle forge des armes pour la guerre civile: elle attente au pouvoir que je tiens directement du peuple; elle encourage toutes les mauvaises passions; elle compromet le repos de la France : je l'ai dissoute, et je rends le peuple entier juge entre elle et moi. La Constitution, vous le savez, avait été faite dans le but d'affaiblir d'avance le pouvoir que vous alliez me confier. Six millions de suffrages furent une éclatante protestation contre elle, et cependant je l'ai fidèlement observée. Les provocations, les calomnies, les outrages m'ont trouvé impassible. Mais aujourd'hui que le pacte fondamental n'est

plus respecté de ceux-là même qui l'invoquent sans cesse, et que les hommes qui ont déjà perdu deux monarchies veulent me lier les mains, afin de renverser la République, mon devoir est de déjouer les perfides projets, de maintenir la République et de sauver le pays en invoquant le jugement solennel du seul souverain que je reconnaisse en France, le peuple. Je fais donc un appel loyal à la nation tout entière, et je vous dis Si vous voulez continuer cet état de malaise qui nous dégrade et compromet notre avenir, choisissez un autre à ma place, car je ne veux plus d'un pouvoir qui est impuissant à faire le bien, me rend responsable d'actes que je ne puis empêcher et m'enchaîne au gouvernail quand je vois le vaisseau courir à l'abîme. Si, au contraire, vous avez encore confiance en moi, donnez-moi les moyens d'accomplir la grande mission que je tiens de vous. Cette mission consiste à fermer l'ère des révolutions en satisfaisant les besoins légitimes du peuple et en le protégeant contre les passions subversives. Elle consiste surtout à créer des institutions qui survivent aux hommes et qui enfin soient des fondations sur lesquelles on puisse asseoir quelque chose de durable. Persuadé que l'instabilité du pouvoir, que la préponderance d'une seule assemblée sont des causes permanentes de trouble et de discorde, je soumets à vos suffrages les bases fondamentales suivantes d'une constitution que les assemblées développeront plus tard. 1o Un chef responsable nommé pour dix ans ;

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