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Nous sommes tous prêts, crient-ils. Votre avis sur les mesures à prendre? · Pas de demi-mesures! un grand acte! trouvons-nous tous demain, de neuf à dix heures du matin, salle Roisin, s'il y a quelque obstacle nous siégerons dans un carrefour entre quatre barricades'. » Le lendemain, par des raisons inconnues, on ne parvint pas à se rejoindre à la salle Roisin. Et le comité recommence à pérégriner de maison en maison. On les eût fusillés, disaient-ils, si on les avait arrêtés. Non, V. Hugo a rêvé qu'on avait mis sa tête à prix. On n'avait pas même donné ordre de l'arrêter, pas plus que les orateurs habituels du comité ambulant, Jules Favre et Michel de Bourges.

Un certain savant, après avoir composé un gros volume contre le suicide, le termine en s'écriant: « Je n'y tiens plus, je vais me brûler la cervelle! »> A force de fulminer, de décréter, de haranguer contre le coup d'État, ils en vinrent à le contresigner. «Attendu, décrétèrent-ils, que l'attentat de Louis-Napoléon, en brisant tous les pouvoirs, n'a laissé debout que l'autorité suprême, le suffrage universel, le peuple est convoqué le 21 décembre 1851 pour élire une Assemblée souveraine2. » Donc que la victoire appartienne au coup d'État ou à eux, la Constitution reste morte, la Chambre dissoute, les députés dépouillés de leur mandat. la loi du 31 mai abrogée, le peuple convoqué dans ses comices pour faire acte de souveraineté.

1. V. HUGO, Hist. d'un Crime, t. II, p. 16.

Seulement eux veulent que cette souveraineté s'exerce par une Assemblée, le Président par un plébiscite. Simple débat de procédure.

V

Une tentative plus sérieuse fut celle des sociétés secrètes. Si les chefs étaient emprisonnés, il restait, cachés dans les recoins de la vaste cité, des sous-officiers et des soldats intrépides, peu nombreux, pas même deux mille, mais résolus à ne reculer devant aucun moyen, à suppléer au nombre par l'activité, la ruse et le sacrifice d'eux-mêmes. L'inertie du peuple les consternait sans les décourager. Ayant constaté l'impuissance des députés montagnards, ils engagèrent l'action pour leur compte le 3 dans la soirée.

Les troupes avaient été rappelées dans leurs casernes comme la veille, et dans les rues ne circulaient que les forces de police. Ils prennent sous la paille où ils les avaient enfouis les cadavres d'un vieillard et d'un jeune homme tués le matin sur la barricade à côté de Baudin, les couchent sur une civière, et à la lueur des torches qui jettent des ombres lugubres sur les pauvres visages inanimés, ils s'avancent dans le faubourg Saint-Martin au chant de la Marseillaise et en appelant aux armes. Une escouade de sergents de ville commandée par le brigadier Revial fond l'épée à la main sur ce cortège et le dissipe; un bataillon de chasseurs accourt, arrête les me

neurs. Le peuple assiste immobile, silencieux, à cette mise en scène et à cette répression.

Le coup du cadavre manqué, ils changèrent de tactique, renoncèrent aux moyens rapides. Les faubourgs faisaient défaut, le peuple n'arrivait pas, ils mirent leur dernier espoir «< dans une lutte lente, longue, évitant les engagements décisifs, changeant de quartier, tenant Paris en haleine, faisant dire à chacun : « Ce n'est pas fini laissant aux résistances des départements le temps de se produire, mettant les troupes sur les dents, et dans laquelle le peuple parisien, qui ne respire pas longtemps la poudre impunément, finirait peut-être par prendre feu. - Barricades faites partout, peu défendues, tout de suite refaites, se dérobant et se multipliant à la fois; ne pas condenser la résistance dans une heure ou dans un lieu, mais la répandre sur le plus grand nombre de points, faire dans Paris la guerre du désert, prendre le temps pour auxiliaire, ajouter les journées aux journées, vaincre le coup d'État par la lassitude de l'armée1. >>

C'était la stratégie qui, en 1830 et en 1848, avait triomphé d'une armée solide. Morny, SaintArnaud et Magnan devinèrent le piège. Leur plan le déjoua. On voulait qu'ils disséminassent leurs troupes, ils les concentrèrent; on voulait les fatiguer par un piétinement dans la rue, ils les tinrent fraîches et reposées dans leurs casernes; on voulait les épuiser par de petits engagements sans

1. VICTOR HUGO, Histoire d'un Crime, t. 1, p. 234; t. II, P. 44-77.

cesse renouvelés, ils laissèrent l'émeute s'établir à son aise sur le champ de bataille de son choix, dresser ses fortifications, puis, au moment donné, ils l'attaqueraient à la fois sur tous les points, en face et à revers, l'étoufferaient dans un étau. C'était le plan adopté en juin 1848 par Cavaignac, malgré l'opposition de la Commission exécutive, et grâce auquel il triompha de la formidable insurrection.

Maupas n'en comprit pas la sagesse, il le combattit et, comme on ne s'arrêta pas devant son opposition, il s'efforça de le paralyser. Si on ne l'eût résolument mis à l'écart, une levée d'armes sans conséquence fût devenue une émeute redoutable dont on n'aurait triomphé qu'avec une grande effusion de sang. Il ne cessa, par des dépêches effrayées, de réclamer l'envoi de troupes sur les points multiples où les insurgés, suivant leur tactique, essayaient de faire croire à un danger.

On l'a accusé de lâcheté et supposé des réponses de Morny lui disant : « Couchez-vous. >> Ces réponses sont imaginaires : il a manqué d'intelligence, d'expérience et non de courage. Il a été la victime, comme d'autres l'ont été dans des circonstances plus graves, des exagérations des rapports de police. Il n'est pas de source d'information plus dangereuse. La plupart des agents secrets, surveillants des sociétés auxquelles ils appartiennent, trompent la police autant que leurs complices, ils se vengent de l'abjection à laquelle ils se sont voués par les terreurs qu'ils

s'amusent à inspirer à leurs bailleurs de salaire. Fussent-ils de bonne foi, il ne se défendent pas des illusions de ceux qu'ils surveillent et ils présentent comme des réalités menaçantes les fantômes les plus ridicules de l'imagination sectaire, toujours crédule aux espérances chimériques. Maupas se défiait d'autant moins de leurs exagérations que, par vantardise, il aimait à se persuader et à persuader aux autres qu'il courait des dangers extraordinaires.

Il accable Morny et Magnan de nouvelles alarmantes et d'appels effarés. Le 2 au soir il écrit : Les sections socialistes commenceront à dix heures, la nuit sera très grave et décisive. On a le projet de se porter sur la Préfecture de police; tenez du canon à ma disposition. » Le lendemain matin à sept heures, il informe Saint-Arnaud que : << La nuit a été aussi calme que possible. »

Le 3, à 9 heures du matin, il télégraphie à Magnan: « Les ouvriers descendent en masse, la partie est nettement engagée, envoyez du monde sans perdre un instant, envoyez surtout des canons à Mazas, c'est le point de mire. » Magnan envoie le général Marulaz sur la place de la Bastille où il ne trouve aucune effervescence; il fait enlever la barricade de la rue Sainte-Marguerite, et à une heure et demie, son divisionnaire Levasseur écrit à Magnan: «Tout est calme dans le faubourg; les curieux abondent, mais les hommes sérieusement disposés à combattre semblent rares; les groupes se dispersent sans difficultés. Pour le moment du moins, les ouvriers

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