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11. Avant d'entrer dans les détails de ce chapitre, nous avons besoin de présenter quelques observations générales.

Le code français ne parle que de l'exposition et du délaissement d'enfants; tandis que le code de Bavière et, à son exemple, tous les codes criminels qui ont paru dans les derniers temps en Allemagne, notamment les codes de Hesse-Darmstadt, de Saxe, de Wurtemberg, de Hanovre, de Bade et de Prusse, étendent le délit en question à toutes les personnes qui ne peuvent se suffire à elles-mêmes, telles que les enfants, les fous, les estropiés, les vieillards infirmes, les individus affectés d'une maladie grave.

Il est probable que les auteurs du code de 1810 n'ont pas songé à donner aux dispositions des art. 349 et suivants une plus grande extension, laquelle, du reste, ne se serait pas trouvée en rapport avec la matière traitée dans le paragraphe dont ces articles font partie (crimes et délits envers l'enfant). Cette dernière raison serait sans importance; mais d'autres motifs plus fondés s'opposent à l'admission du système adopté par les codes allemands.

N'oublions pas, d'abord, qu'on ne délaisse pas des personnes adultes aussi facilement que l'on expose des enfants. Ce délit ne se présente donc que fort rarement. Ensuite, l'individu délaissé pourrait faire connaître les personnes aux soins desquelles il était confié, et le lieu de leur demeure; il pourrait, en un mot, fournir les renseignements nécessaires pour qu'il fût possible de retrouver la trace que l'on aurait voulu faire perdre. C'est aussi pour ce même motif que le code ne considère l'exposition d'enfants comme un délit, que lorsque l'enfant exposé a moins de sept ans (1). Sans doute, cette considération ne s'applique pas aux fous, aux sourds-muets non instruits, ni aux personnes mourantes qui auraient été exposés et délaissés. Mais quant aux individus des deux premières catégories, l'abandon absolu dans lequel les ont laissés ceux qui devaient en prendre soin, ne peut facilement compromettre ni leur état de famille, ui leur existence, puisqu'on retrouve plus aisément les traces des personnes auxquelles appartiennent ces infortunés. Enfin, si le lieu, le temps et les circonstances du délaissement d'un adulte révélaient, avec certitude, l'intention des coupables de faire périr la victime, par exemple, si un moribond était exposé et abandonné dans les champs, de nuit, en hiver, il y aurait meurtre ou tentative de meurtre.

Ces considérations nous engagent à ne pas dépasser les limites dans lesquelles le délit en question se trouve circonscrit par notre code pénal.

12. Le fait incriminé par le code pénal de 1810 est l'exposition et le délaissement d'enfants; il faut que l'exposition d'un enfant soit accompagnée du délais sement de cet enfant, pour donner lieu à l'application des peines établies par le code.

La doctrine et la jurisprudence sont d'accord sur ce point (2). Cependant, les codes d'Allemagne n'exigent point cette double circonstance; ils punissent l'exposition ou le délaissement soit d'enfants, soit d'autres personnes qui ne peuvent se suffire à elles-mêmes. Les codes d'Italie, modelés sur le code français, tout

(1) Motifs du code pénal, p. 193.

(2) Arr. cass. de France des 7 juin 1834, 30 avril 1835, 19 juillet et 22 novembre 1838; CHAUVEAU et HÉLIE, no 2991, et les auteurs cités par M. NYPELS, ibidem.

en restreignant, comme ce dernier, l'objet du délit aux enfants au-dessous de sept ans, s'en écartent en incriminant séparément l'un et l'autre fait. Ce système nous paraît plus rationnel que celui du code de 1810. Pour justifier notre opinion, examinons la nature et le but des deux faits dont il s'agit.

Exposer un enfant, ce n'est pas précisément le déposer dans la rue, dans un grand chemin ou dans un lieu écarté, comme l'admettait l'ancienne jurisprudence (3); il ne faut pas non plus que l'enfant soit déposé dans un lieu public, comme l'enseigne Hélie (4). On peut exposer un enfant dans un lieu quelconque, même dans un endroit non public, tel que l'enclos, le vestibule, l'appartement d'une maison étrangère, le tour d'un hospice. En effet, l'exposition d'un enfant est l'acte de déposer cet enfant dans un lieu autre que celui où se trouvent habituellement les personnes qui sont obligées de le soigner, l'acte de le placer dans un endroit autre que celui où il doit recevoir les soins que son état réclame.

Ce fait, considéré isolément, est-il punissable? Dans le système du code français, il ne l'est point; la loi ne le punit que lorsqu'il est accompagné du délais. sement de l'enfant.

Il y a délaissement lorsqu'on abandonne l'enfant sans s'être assuré qu'il a été recueilli, ou sans avoir la certitude qu'il sera recueilli immédiatement. Ainsi, la mère qui après avoir exposé son enfant à la porte d'une maison, frappe à cette porte et ne se retire qu'après avoir vu les personnes de cette maison recueillir l'enfant, ou qui le dépose dans le tour d'un hospice, cette mère sera à l'abri de toute peine, parce qu'elle a exposé l'enfant sans l'avoir délaissé. Cependant, par ce fait, elle a violé un devoir sacré ; elle s'est soustraite aux soins qu'elle était obligée de donner à l'enfant; elle s'en est déchargée sur un étranger qui n'y a point consenti. Ce fait doit-il rester impuni ? Les législateurs d'Italie et d'Allemagne n'ont pas été de cet avis, et nous partageons leur manière de voir.

D'un autre côté, le délaissement d'un enfant n'est puni, dans le système du code actuel, que lorsqu'il est précédé de l'exposition. Ainsi, les parents qui, accompagnés de leur enfant de quatre, cinq ou six ans, l'abandonnent dans un bois, dans les champs, dans les rues, au milieu d'une grande foule, ne sont pas punissables en vertu des art. 349 et suivants du code pénal, parce qu'ils ont délaissé l'enfant sans l'avoir exposé; à moins que l'on ne prétende leur appliquer ces articles par analogie; mais alors on méconnaîtrait une des règles fondamentales du droit criminel.

On expose un enfant incapable de se déplacer, à cause soit de son âge, soit de la maladie ou des infirmités dont il est affecté. L'exposition est ordinairement accompagnée d'un délaissement. Mais lorsque l'enfant est en état de courir, ceux qui veulent se soustraire aux soins qu'il exige l'abandonnent sans l'exposer. Le délaissement sans exposition peut même avoir pour objet un enfant de quelques mois, que les parents abandonnent, par exemple, dans l'auberge où ils ont logé et qu'ils viennent de quitter furtivement.

D'après ces observations, nous croyons devoir incriminer séparément l'exposition et de délaissement d'enfants. Dans notre système, le premier de ces deux faits consiste à déposer un enfant dans un lieu étran

(3) MUYART DE VOUGLANS, Lois criminelles de France, p. 181. (4) CHAUVEAU et HÉLIE, Théorie du code pénal, no 1991.

ger, sans le délaisser. L'autre fait est puni, soit que le coupable ait ou non exposé l'enfant qu'il a volontairement abandonné.

13. Les peines auxquelles le délit dont nous parlons donne lieu doivent être plus ou moins fortes, suivant le danger que l'on fait courir à l'enfant. Le législateur français apprécie le degré de ce danger d'après le lieu de l'exposition et du délaissement.

On critique ce principe on dit que le danger ne dépend pas seulement du lieu, mais aussi du temps de l'exposition, des circonstances qui l'ont accompagnée. On oppose au laconisme du législateur français les dispositions beaucoup plus détaillées des codes d'Allemagne (1).

Nous ne croyons pas ce reproche fondé. Le code de 1810 distingue si l'enfant a été exposé et délaissé dans un lieu solitaire, ou dans un lieu non solitaire. I était impossible, disait l'orateur du gouvernement, que la loi donnât une explication précise à cet égard; elle s'en rapporte aux juges car le lieu le plus fréquenté peut quelquefois être solitaire, et le lieu le plus solitaire être très-fréquenté. Cela dépend des circonstances. » Il n'est donc pas nécessaire que la loi entre à ce sujet dans de plus grands détails, ni qu'elle déclare, comme l'aurait désiré un savant professeur (2), « que tout délaissement fait de nuit soit regardé comme fait en un lieu solitaire. »

Le code pénal applique la distinction du lieu où le délit a été commis, à l'exposition et au délaissement de l'enfant; et en cela il est conséquent, puisqu'il exige la réunion de ces deux faits pour que les peines qu'il établit puissent recevoir leur application. Mais lorsque, comme dans le projet, l'exposition non accompagnée d'un délaissement constitue un délit distinct, il est complétement indifférent où ce délit a été exécuté. Si l'agent ne s'éloigne qu'après s'être assuré que l'enfant qu'il vient d'exposer a été recueilli, qu'importe que celui-ci ait été exposé dans un lieu solitaire ? Il a veillé sur l'enfant, il l'a préservé de tout malheur. Dans notre système, la distinction établie par le code pénal ne peut donc raisonnablement s'appliquer qu'au fait du délaissement de l'enfant.

14. L'élément interne ou moral des délits dont nous parlons est l'intention de se soustraire aux soins qu'exigent l'intretien ou la garde de l'enfant. Si ces faits ont été commis avec le dessein d'empêcher ou de détruire la preuve de l'état civil de l'enfant, il y suppression d'enfant. Enfin, si un enfant avait été délaissé dans le dessein bien constaté de le faire périr par ce moyen, il y aurait meurtre ou tentative de meurtre.

15. ART. 413 (354 du code). Les art. 413 et 414 prévoient deux délits distincts; ils punissent ceux qui ont exposé ou fait exposer un enfant, et ceux qui ont délaissé ou fait délaisser l'enfant dans un lieu non soli

taire.

Les dispositions de ces articles sont donc applicables, même dans le cas où l'enfant a été exposé sans avoir été délaissé. Celui qui veut ainsi se soustraire aux devoirs qui lui incombent envers l'enfant mérite au moins un mois de prison, et si des circonstances atténuantes militent en sa faveur, le juge abaissera la peine.

La question de savoir si l'exposition d'un enfant dans le tour d'un hospice est punissable d'après l'article 415 ne peut donc présenter aucune difficulté. En effet, l'exposant a pour but de se décharger des soins qu'il doit à l'enfant, et son fait n'est justifié par aucune loi; car le décret du 19 janvier 1811 n'admet dans les

(1) A l'exception, toutefois, du code de Prusse (art. 183), qui est, en cette matière, plus laconique encore que le code français ;

hospices que les orphelins et les enfants trouvés ou abandonnés, c'est-à-dire ceux qui y sont apportés par des personnes étrangères, qui ont recueilli les enfants dont ils ne connaissent pas ou ne peuvent retrouver les parents.

16. On demande pourquoi les art. 352 et 353 du code pénal ne punissent pas les personnes qui ont donné l'ordre de l'exposition, quand elle a été faite dans un lieu non solitaire? Pourquoi cet ordre est-il tout à fait innocent dans ce cas, tandis que dans l'autre il est incriminé par la loi?

On pourrait répondre que celui qui donne l'ordre d'exécuter un délit provoque à ce délit par un abus d'autorité ou de pouvoir, et devient, par cette provocation, complice, ou plutôt auteur moral, du délit exécuté; de sorte qu'il n'était point nécessaire de faire une mention expresse d'un acte de complicité qui est déjà prévu par l'art. 60 du code pénal.

Mais si le législateur a jugé convenable de parler de l'ordre donné, dans les cas réglés par les art. 349 et 350, pourquoi passer ces faits sous silence dans les art. 552 et 355? Il y a plus: ce serait une erreur de croire que l'ordre dont parlent les art. 349 et 350 constitue toujours un abus d'autorité ou de pouvoir. Le législateur attache à ce mot une signification beaucoup plus étendue. Par ce mot, il n'entend pas seulement l'ordre proprement dit (jussus), l'ordre donné par un supérieur à son subordonné, par exemple, par un maître à ses domestiques; cette expression comprend également ce que les criminalistes appellent le mandat, c'est-à-dire la proposition faite et acceptée de commettre un délit déterminé. Si la commission a été exécutée, le mandant encourt les peines portées par les art. 349, 350 et 351, quand même le mandat n'aurait été accompagné d'aucun don ni promesse. Supposons, en effet, qu'une femme accouchée ait chargé une de ses amies d'exposer l'enfant; cette femme devra-t-elle être renvoyée de toute poursuite, sous le prétexte que la commission donnée à son amie n'était pas un ordre proprement dit, puisqu'on n'ordonne pas à ses égaux, mais à ses inférieurs? Personne n'oserait le soutenir.

17. ART. 414 et 418 (335 et 359 du code). Ces articles modifient les dispositions des art. 350 et 353 du code pénal, qui aggravent la peine à l'égard des tuleurs ou tutrices, instituteurs ou institutrices de l'enfaut exposé ou délaissé.

L'orateur du corps législatif a motivé cette aggravation en ces termes : Le projet de loi soumet à un châtiment plus sévère les tuteurs et les tutrices, les instituteurs et les institutrices. Plus la loi les environne de pouvoirs et de droits sur l'être impuissant et faible qu'elle leur confie, plus elle doit punir en eux un délaissement qui réunit un abus de confiance à la culpabilité qu'ils partagent avec ceux qui ne sont pas liés par des obligations particulières. Ce raisonnement n'est pas parfaitement exact. De quels droits, en effet, la loi environne-t-elle les instituteurs et les institutrices? Les pouvoirs qu'elle accordé aux tuteurs sont-ils plus étendus que ceux qui découlent de la puissance paternelle? Toutefois, il résulte assez clairement de ces paroles que, dans la pensée des rédacteurs du code, la loi doit punir plus sévèrement ceux qui joignent au délaissement un abus de confiance.

Cette circonstance mérite effectivement aux coupables une aggravation de peine. Mais pourquoi cette aggravation ne retombe-t-elle que sur les tuteurs et les tutrices, sur les instituteurs et les institutrices?

car il n'adopte pas même la distinction établie par ce dernier. (2) DestriVEAUX, Essais, etc., p. 133.

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Pourquoi le code ne déploie-t-il pas la même sévérité contre toutes les personnes auxquelles s'applique le même motif?

Au lieu de faire l'énumération de ces personnes, énumération qui serait nécessairement incomplète, le projet les comprend dans une formule générale. La peine est aggravée à l'égard de ceux à qui l'enfant a été confié, soit par la loi même ou en vertu de la loi, tels que les tuteurs et les tutrices, soit par les personnes sous la puissance, la direction, la surveillance desquelles l'enfant a été placé, tels que les instituteurs et les institutrices, les domestiques, les nourrices, les campagnards qui se sont chargés du soin d'un enfant malade ou infirme, qui leur a été remis par des habitants de la ville; ceux mêmes à qui l'enfant n'a été confié que momentanément, par exemple, pour être porté ou conduit dans un autre lieu.

Quant aux pères et mères, les dispositions des articles 414 et 418 du projet ne leur deviennent applicables que lorsqu'ils se trouvent légalement investis, en vertu des art. 390, 394 et 395 du code civil, de la tutelle de l'enfant qu'ils ont exposé ou délaissé.

Il importe de remarquer que l'exposition d'un enfant dans le tour d'un hospice par les personnes auxquelles cet enfant a été confié, n'est pas punissable d'après l'art. 414; ce fait est spécialement prévu par l'art. 424 du projet (366 du code).

18. ART. 415, 416 (356 et 357 du code). Puisque le projet suppose que l'exposition de l'enfant n'a pas été accompagnée d'un délaissement, il est évident qu'il ne peut faire peser la responsabilité dont il s'agit dans ces deux articles, que sur ceux qui ont abandonné l'enfant.

L'art. 351 du code pénal ne punit les suites du délit que dans le cas où l'enfant a été exposé et délaissé dans un lieu solitaire. Si le délit a été commis dans un lieu non solitaire, l'auteur n'est pas spécialement déclaré responsable du résultat de son action. Ce résultat, quel qu'il soit, n'aggrave pas la peine. C'est là une lacune que l'on ne remarque ni dans les codes d'Italie, ni dans ceux de l'Allemagne. On ne prétendra pas, sans doute, que dans les hypothèses des art. 352 et 353 du code pénal, l'enfant ne coure aucun danger. Si le danger est moindre dans l'hypothèse de ces articles que dans le cas d'un délaissement en un lieu solitaire, l'enfant peut cependant périr, être estropié ou mutilé. Les malheurs qui arrivent si fréquemment aux enfants qui courent les rues ne doivent-ils pas arriver plus facilement encore à ceux qui sont délaissés dans une ville, fût-ce même en plein jour?

Le législateur, dit Carnot (1), n'a pas supposé que la blessure ou la mort de l'enfant exposé et délaissé dans un lieu non solitaire, aient pu entrer dans la prévoyance des auteurs de l'exposition ou du délaisse

ment. >

Le même argument est reproduit par Chauveau et Hélie (2). La loi suppose, disent ces auteurs, lorsque l'exposition a eu lieu dans un endroit fréquenté, que son auteur n'a pas eu l'intention de compromettre la vie de l'enfant, qu'il n'a voulu que faire perdre les traces de sa naissance. De là, la modération de la peine; de là, l'absence de toute responsabilité dans le cas où des accidents suivraient l'exposition. >

C'est là une fort mauvaise raison. Sans doute, le lieu choisi pour le délaissement prouve, en règle générale du moins, que l'auteur n'a pas voulu la mutilation ou la mort de l'enfant ; nous admettons même qu'il n'a pas prévu l'événement fâcheux qui est arrivé. Mais il

(1) Comment. de l'art. 352, no 3.

(2) Théorie du code pénal, nos 2990. Voyez aussi le no 2993.

pouvait et devait le prévoir; il est coupable à la fois de dol, en délaissant volontairement l'enfant, et de faute, en ne réfléchissant pas aux conséquences possibles de son action.

Il en résulte que le taux de l'emprisonnement et de l'amende prononcés par les art. 413 et 414 du projet doit être augmenté dans le cas où l'enfant délaissé est demeuré mutilé ou estropié, ou a perdu la vie. Il est vrai que, par suite de cette aggravation, les peines portées par les art. 415 et 416 sont plus élevées que celles qui sont établies contre l'homicide et les blessures involontaires, par les art. 486 et 487 de notre projet. Mais il importe de ne pas perdre de vue que le délaissement d'un enfant constitue par lui-même un délit; et ce délit mérite, sans doute, une punition plus forte, lorsqu'il a eu pour résultat des malheurs tels que ceux dont nous parlons.

Après avoir reproduit l'argument de Carnot, pour expliquer le silence que code pénal a gardé sur les suites du délaissement dans un lieu non solitaire, Chauveau et Hélie ajoutent : « Mais si les débats, si les aveux du prévenu venaient à révéler une intention homicide, le fait changerait-il de nature? Evidemment non; car l'intention ne peut être incriminée que lorsqu'elle s'unit à un fait matériel d'exécution. Or, l'exposition dans un lieu non solitaire ne pouvant ordinairement mettre les jours de l'enfant en danger, il ne resterait qu'une intention coupable sans exécution, et qui dès lors échapperait à la répression. Le fait ne pourrait être puni qu'à raison de l'intention qu'il constate par lui-même. »

Une résolution criminelle, quoique révélée par des faits tendant à l'exécuter, mais dont l'exécution est impossible, ne constitue pas même une tentative. Celui qui abandonnerait un enfant dans un lieu fréquenté, dans l'intention de faire périr cet enfant, ne pourrait donc être poursuivi comme coupable d'une tentative de meurtre, puisque régulièrement et presque toujours l'enfant sera recueilli et sauvé. C'est le cas où les criminalistes admettent une tentative vaine par l'impossibilité des moyens. Mais cette règle n'est pas absolue. Le délaissement peut être accompagné de circonstances qui rendent possible l'exécution du dessein homicide, qui rendent même fort probable le résultat désiré. Dans une rue fréquentée et à la nuit tombante, une personne dépose et abandonne, sur la neige et dépouillé de ses langes, un enfant nouveauné. Si les débats, si les aveux de l'agent révèlent l'intention de faire périr l'enfant, il y aurait certainement infanticide ou tentative d'infanticide. D'ailleurs, les circonstances du fait ne constatent-elles pas cette intention?

19. Art. 417 (358 du code). Le délit est plus grave, lorsque l'enfant a été, nous ne disons pas exposé, mais délaissé dans un lieu solitaire. « Cette exposition, dit Monseignat, est plus criminelle si l'enfant est abandonné dans un lieu solitaire. Dans le premier cas (celui où l'enfant a été délaissé dans un lieu non solitaire), les auteurs de cet abandon ont moins voulu ôter la vie à l'enfant délaissé, que faire perdre les traces de sa naissance. Mais l'abandon dans un lieu isolé ou solitaire dénote l'intention de détruire jusqu'à l'existence de l'être infortuné, destiné à perdre la vie par un crime, après l'avoir reçue le plus souvent par une faute. »

Ce raisonnement est trop absolu pour être juste. Si le délaissement d'un enfant dans un lieu solitaire avait toujours pour cause une intention homicide, la loi devrait considérer ce fait comme tentative de meurtre, alors même que l'enfant serait resté sain et sauf. Or, ce fait n'est puni, par les art. 349 et 350, que de l'emprisonnement; il est assimilé aux blessures par

LIVRE II.

l'art. 351, si l'enfant est demeuré mutilé ou estropié; | criminalistes désignent sous le nom de dolus eventuaenfin, il est considéré comme meurtre, si l'enfant a lis, et qui ne mérite point d'être complétement assiperdu la vie. milé au dol proprement dit (1). Conformément au système adopté en cette matière par notre projet (2), le coupable est puni des travaux forcés de quinze à | vingt ans.

20. ART. 419 (360 du code). Si, par suite du délaissement dans un lieu solitaire, l'enfant est demeuré mutilé ou estropié, l'action est considérée, par l'article 351 du code pénal, comme blessures volontaires faites à l'enfant par la personne qui l'a abandonné; et si la mort s'en est suivie, l'action est considérée

comme meurtre.

Si l'enfant déposé dans un lieu solitaire, dit le conseiller d'Etat Faure, a été mutilé ou estropié, ou si la mort est résultée de l'exposition, le coupable est puni comme s'il l'avait lui-même mutilé ou estropié, ou comme s'il lui avait lui-même donné la mort. Car il ne pouvait se dissimuler que la privation absolue où il laissait l'enfant de toute espèce de secours, l'exposerait à cet événement, et il ne tenait qu'à lui de l'en préserver. Dès qu'il ne ne l'a pas fait, la loi déclare qu'il en est la cause volontaire, et le soumet aux peines établies contre les auteurs des blessures ou d'homicide volontaires. »

On demandera d'abord si, dans le cas où l'enfant a perdu la vie par suite du délaissement, le fait peut étre qualifié meurtre? Dans le système du code pénal, l'affirmative est incontestable. Le code considère, eu effet, comme meurtre l'homicide commis volontairement, c'est-à-dire dans l'intention d'attenter à la personne de la victime, quand même l'auteur n'aurait pas eu le dessein de donuer la mort; car ce dessein n'est point nécessaire pour qu'il y ait meurtre. Le fait en question devrait même être qualifié assassinat, si le coupable a agi avec préméditation. Mais le législateur de 1810 a reculé devant cette couséquence de sa théorie.

Dans le système de notre projet, la question doit recevoir une solution différente. Aux termes de l'article 455, le meurtre est l'homicide commis avec intention de donner la mort (animo occidendi). Cette définition ne comprend pas l'action d'abandonner, dans un lieu solitaire, un enfant qui meurt par suite de ce fait. Nous ne parlons point du cas où l'enfant a été délaissé dans le dessein bien constaté de le faire périr par ce moyen; par exemple, si un enfant de bas àge était déposé et abandonué sur les rails d'un chemin de fer. Il y aurait alors meurtre, assassinat, infanticide. Mais lorsque la volonté directe et positive de donner la mort ne résulte ni des circonstances du fait, ni des aveux de l'accusé, celui-ci ne peut être puni comme coupable de meurtre. Cependant, il a connu la nature de son action criminelle, il a prévu qu'elle pouvait avoir les suites les plus funestes; sa réflexion a dû s'appliquer forcément aux effets éventuels et probables de son entreprise; et malgré ces considérations, il n'a pas renoncé à son dessein criminel. En se déterminant à commettre l'action, il acceptait éventuellement les conséquences plus ou moins graves qui pourraient en résulter il ne le désirait point; mais il aimait mieux subir ces conséquences qu'abandonner son projet, qu'il voulait exécuter à tout prix. Mais quoique l'auteur ait prévu le mal occasionné par son fait, il n'a cependant pas voulu ce mal; il n'a pas eu l'intention positive de donner la mort; ce n'est pas le dessein de tuer qui l'a fait agir, qui l'a déterminé à abandonner l'enfant. Cet abandon doit être imputé à une résolution criminelle; mais relativement à la mort de l'enfant abandonné, on ne peut lui reprocher que cette espèce de dol que les

(1) HAUS, Cours de droit criminel, no 155. Gand, 1857. (2) Voyez l'art. 465 et les art. 412 et 437.

Ces remarques justifient également la disposition du premier paragraphe de l'art. 419, qui puuit de la reclusion le délaissement dans un lieu solitaire, si, par suite de ce fait, l'enfant est demeuré mutilé ou estropié. Si le mal occasionné par ce fait était imputable à un vrai dol, à l'intention positive de causer le mal qui a eu lieu, la peine devrait être, conformément à l'art. 464 du projet, celle des travaux forcés de dix à quinze ans, puisque le plus souvent il y a préméditation; mais comme il ne s'agit ici que d'un dol éventuel, il est juste d'abaisser la peine et de n'appliquer au coupable que la reclusion.

CHAPITRE III.-DES CRIMES ET DES DÉLITS TENDANT A EMPÊCHER OU A DÉTRUIRE LA PREUVE DE L'ÉTAT CIVIL DE L'ENFANT.

21. Akt. 420 (361 du code). Le délit prévu par cet article, qui reproduit, en le modifiant, l'art. 346 du code pénal, consiste dans une coupable omission, qui peut être volontaire, ou résulter d'une simple négligence.

L'art. 420 du projet est la sanction des art. 55, 56 et 57 du code civil. Les déclarations de naissance, porte l'art. 55, seront faites, dans les trois jours de l'accouchement, à l'officier de l'état civil du lieu; l'enfant lui sera présenté. L'art. 56 ajoute : La naissance de l'enfant sera déclarée par le père, ou, à défaut du père, par les docteurs en médecine ou chirurgie, sages-femmes, officiers de santé ou autres personnes qui auront assisté à l'accouchement, et, lorsque la mère sera accouchée hors de son domicile, par la personne chez qui elle sera accouchée. Enfin l'art. 57 est ainsi conçu L'acte de naissance énoncera le jour, l'heure et le lieu de la naissance, le sexe de l'enfant et les prénoms qui lui seront donnés, les prénoms, noms, profession et domicile des père et mère, et ceux des témoins. ›

L'art. 420 punit toute personne qui, ayant assisté à un accouchement, n'a pas fait la déclaration prescrite par la loi, sans distinguer si l'accouchement a eu lieu au domicile ou hors du domicile de la mère. Dans cette dernière hypothèse, la personne chez qui la mère est accouchée, et qui n'a pas fait la déclaration prescrite par l'art. 56 du code civil, n'est punissable, du chef de cette omission, que lorsqu'elle a assisté à l'accouchement. Dans l'hypothèse contraire, on ne peut lui appliquer la peine portée par l'art. 420, lors même qu'elle aurait eu connaissance de l'accouchement. Mais si elle a été présente, c'est elle qui est obligée, en vertu du code civil et du code pénal, de faire la déclaration, et si elle néglige de remplir cette obligation, l'accoucheur ou la sage-femme n'en sont pas responsables. Cependant, dans le cas où la mère est accouchée hors de son domicile, la cour de cassation de France, regardant l'art. 346 du code pénal comme la sanction pure et simple de l'art. 56 du code civil, punit, pour avoir omis de déclarer la naissance, la personne chez qui l'accouchement a eu lieu, quand même elle n'y aurait pas été présente, et soustrait à la peine celui qui a assisté à l'accouchement (3). Mais cette jurisprudence est évidemment contraire au

(3) Arr. cass. des 7 septembre 1823 et 19 juillet 1827.

texte et à l'esprit de l'art. 346 du code pénal, qui, tout en ajoutant une sanction à l'art. 56 du code civil, a pour but de le compléter, en punissant, sans distinction du lieu où l'accouchement s'est effectué, tous les assistants qui n'ont pas fait la déclaration (1). Quoique l'art. 420 du projet, comme l'art. 346 du code pénal, impose l'obligation de déclarer la naissance à tous ceux qui ont assisté à l'accouchement, on ne peut en conclure que chacun d'eux soit responsable de l'omission. Cette responsabilité n'existe que dans l'ordre successif établi par l'art. 56 du code civil. Ainsi, la cour de Bruxelles a décidé que, lorsque le père est connu, légalement avoué et présent sur les lieux, le docteur qui a assisté à l'accouchement n'est pas passible de poursuites pour n'avoir pas fait la déclaration de l'enfant, si le père l'a négligée (2). Mais toutes les personnes autres que celles qui sont spécialement désignées par l'article 56, et qui ont assisté à l'accouchement, répondent, chacune, de l'omission; à moins toutefois que l'une d'elles ne se soit expressément chargée de faire la déclaration; alors les autres avaient le droit de se reposer sur cette personne du soin d'exécuter la prescription de la loi.

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II, 22. 15 cheur ne peut se prévaloir de l'article 378 pour taire ce nom (5).

Si la jurisprudence de la cour de cassation de France est rigoureusement conforme au texte de la loi, la doctrine de la cour de cassation de Belgique est évidemment fondée sur l'intention du législateur. Mais, comme on ne peut étendre les dispositions d'une loi pénale par le raisonnement, quelque fondé qu'il soit, à des faits qui sont compris dans les motifs de cette loi, mais qui ne rentrent point dans ses termes, nous avons cru devoir modifier la rédaction de l'article 346 du code pénal, en y mentionnant l'art. 57 du code civil, passé sous silence par le législateur de 1810. D'un autre côté, le changement apporté par l'art. 539 du projet à l'art. 378 du code pénal empêchera qu'il ne puisse servir de prétexte aux hommes de l'art de se soustraire à une obligation que la loi leur impose. Sans doute, le système adopté par le projet rencontre des objections sérieuses, lorsqu'il s'agit de la naissance d'un enfant illégitime. Dans ce cas, dit-on, deux intérêts sont en présence d'une part, l'intérêt de l'enfant; d'un autre côté, l'intérêt de la mère et de la famille dont elle fait partie. Le premier est incertain; l'omission de la déclaration du nom de la mère peut nuire à l'enfant; mais ce préjudice est éventuel; en tous cas, il ne peut être mis en balance avec le préjudice actuel et certain que la déclaration porte à la et à sa famille. La mère est déshonorée; le repos et le bonheur de la famille sont détruits. Si la loi ménage l'honneur et la considération des familles au point de subordonner la punition du rapt, lorsque le ravisseur a épousé la fille enlevée, à l'annulation du mariage par les tribunaux civils et à une plainte des parents intéressés; si, dans ce même but, elle fait dépendre de la dénonciation du mari, la poursuite de la femme adultêre et de son complice, cette loi ne peut vouloir flétrir une famille tout entière, eu imposant à l'accoucheur qui a assisté à la naissance d'un enfant illégitime, l'obligation de révéler le nom de la mère, sous peine d'emprisonnement et d'amende. Le secret de la grossesse et de l'accouchement d'une fille séduite est le secret le plus grave. Comment exiger que celui qui, par état, en est le dépositaire, le tra

La disposition de l'art. 420 s'applique même au cas où l'enfant à la naissance duquel on a assisté est mort-né. On pourrait objecter que le présent chapitre ne comprend que les crimes et les délits qui compro-mère mettent l'état civil d'un enfant, et qu'un enfant mortné n'a pas d'état. Mais ici cette objection serait mal fondée. L'art. 420 du projet, comme l'art. 346 du code pénal, n'a pas en vue seulement la preuve de l'état civil de l'enfant, mais aussi la nécessité de constater les accouchements (3).

22. La déclaration de la naissance doit être faite à l'officier de l'état civil du lieu, dans le délai fixé par l'art. 55 du code civil, et elle doit contenir tous les éléments indiqués par l'art. 57 du même code, pourvu qu'ils soient à la connaissance de celui qui fait la déclaration. Pour se mettre à l'abri de la peine, il ne suflit donc pas que la personne qui a assisté à l'accouchement déclare la naissance de l'enfant; il faut, de plus, qu'elle fasse connaître les noms des père et mère de cet enfant, ou au moins ceux de la mère, si l'en-hisse? Et quelles seraient les conséquences de l'oblifant est illégitime.

Toutefois, sous l'empire du code pénal de 1810, la question est douteuse. D'après la jurisprudence de la cour de cassation de France, l'accoucheur qui a assisté à l'accouchement d'un enfant illégitime n'encourt aucune peine, s'il omet de déclarer le nom de la mère (4). La cour se fonde, d'abord, sur ce que l'art. 346 du code pénal ne se réfère qu'à l'art. 56 du code civil, et que ce dernier article n'impose aux personnes y dénommées qu'une obligation formelle, celle de déclarer le fait de la naissance de l'enfant à laquelle elles ont assisté; mais que cet article n'exige pas que l'on déclare les noms des père et mère de l'enfant. Elle invoque, ensuite, l'art. 378 du code pénal, qui prescrit à l'accoucheur le silence en ce qui concerne le nom de la mère.

La cour de cassation de Belgique, au contraire, décide que celui qui a été témoin d'un accouchement est tenu, sous les peines édictées par l'art. 346, de déclarer non-seulement la naissance de l'enfant, mais aussi les noms des père et mère, ou au moins le nom de la mère, si l'enfant est illégitime; et que l'accou

(1) Voyez, sur cette jurisprudence, CHAUVEAU et Hélie, nos 2980 et 2981.

(2) Arr du 20 octobre 1851; M. NYPELS, ad CHAUVEAU et HÉLIE, no 2982, note 4.

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gation imposée à l'accoucheur de dévoiler la honte de la mère? L'avortement et l'infanticide! Devant de telles conséquences, la loi doit reculer.

Malgré ces considérations, nous n'avons pas hésité à donner la préférence au système consacré par la jurisprudence belge. En effet, si la loi exemptait de toute peine les hommes de l'art qui, ayant assisté à la naissance d'un enfant illégitime, auraient omis de déclarer le nom de la mère, toute fille enceinte, même perdue de mœurs, prendrait un accoucheur à qui elle recommanderait de taire le nom de la mère. Ensuite, les motifs de cette exemption s'appliquent non-seulement aux hommes de l'art, mais à tous ceux qui ont été présents à l'accouchement en qualité de confidents, et qui, à ce titre, devraient jouir de la même · faveur. La conséquence en serait que la naissance de tous les enfants illegitimes serait déclarée d'une manière incomplète, et que la loi favoriserait ellemême la dissolution des mœurs.

Au reste, les médecins, chirurgiens, accoucheurs, sages-femmes, et généralement toutes les personnes qui, ayant assisté à un accouchement, ont omis de

(3) Arr. cass. de France, 2 septembre 1843.

(4) Arr. cass. des 16 septembre 1843, 1er juin 1844. (5) Arr. cass. du 14 novembre 1853 (Belgique judiciaire, 1854, p. 24).

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