Page images
PDF
EPUB

facit, poursuit-elle, aut quips endo em jure vindicit, secum ducito; vincito, aut nervo, aut compedibus: quindecim pondo ne majore, aut si volet, minore vincito » (1). De ces limitations réglementaires de la cruauté du créancier, l'esprit remonte aisément à l'époque encore plus barbare dont Ihering a tracé l'image en traits si puissants, et où le créancier exerçait sans autres entraves que le sentiment de sa propre existimatio et de son intérêt les rigueurs de la vengeance.

Quelle est, à l'époque de la loi des Douze-Tables, la situation du judicatus, dès qu'il a été enfermé dans la prison privée de son créancier ?

La loi lui permet de vivre à ses frais « si volet suo vivito», ce qui indique qu'il est encore sui juris, qu'il n'est pas esclave: mais la simple contrainte par corps ne sera pas le dernier terme de son infortune! Après le décret précité du magistrat, court un délai de soixante jours, pendant lequel à trois jours de marché consécutifs (de neuvaine en neuvaine), les judicati étaient exposés sur la place publique, tandis qu'à haute voix, on publiait le chiffre de leurs dettes, pour que, dans cette société où le droit de famille établissait des liens de solidarité si étroits, leurs dettes pussent être payées par les parents ou amis.

Passé ce délai, le créancier pouvait mettre à mort son débiteur ou le vendre au-delà du Tibre comme esclave: on ne voulait pas qu'un citoyen romain devînt esclave et servît dans sa propre patrie. « Tertiis nun

(1) Nous donnons cette version, qui est celle de Pellat, parce qu'elle nous paraît plus raisonnable que celle des manuscrits qui porte: « Quindecim pondo ne minore aut si volet majore vincito. » Comment comprendre que le législateur fût intervenu pour imposer au créancier un minimum de cruauté ?

dinis capite pœnas dabant aut trans Tiberim peregre venum ibant », nous rapporte Aulu-Gelle (Nuits att., 21.)

Dans ce système oppressif on voit ce que devient le patrimoine du débiteur en fait, pour échapper aux tortures physiques et morales qui le menacent, il n'est pas difficile de comprendre que tous ses efforts tendront à désintéresser ses créanciers lui-même (1). Les plus avides, les plus cruels auront les mains pleines, et les derniers arrivés n'auront plus qu'à exercer le droit de rigueur qui leur appartient et que nous venons de décrire. Le privilége du premier occupant sera complet: impossible aux autres créanciers, à cette époque du droit rudimentaire et solennel, d'obtenir que l'égalité soit rétablie. Jura vigilantibus scripta sunt. C'est, dans la pratique, le triomphe de fait et extra-juridique de ce que nous avons appelé le procédé de la déconfiture.

Hâtons-nous de constater, au contraire, qu'en droit et devant le magistrat les choses iront autrement en cas de concours de créanciers partes secanto, dit énergiquement la loi des Douze-Tables, en parlant de la personne physique. J'en conclus que si au lieu d'exercer le droit de mettre à mort l'addictus, les cocréanciers le vendent au-delà du Tibre, ils se partageront le prix de vente comme ils auraient pu se partager son corps : les termes de la loi visent un partage du corps. Quant aux copartageants, ils devront être traités également : « si plus minusve secuerunt se fraude esto. C'est donc le procédé de la faillite qui judiciairement l'emporte notons même que l'exposition

(1) Erat autem jus interea paciscendi », écrit Quintilien.

de la personne « ad prætorem ad prætorem in comitium » dont parle Aulu-Gelle, et la proclamation du chiffre des dettes constitueront pour les autres créanciers une publicité assez utile.

Nous décidons ainsi, parce que, selon nous, avant l'expiration du délai de 60 jours qui est accordé à l'addictus, celui-ci n'est pas encore esclave. La preuve en est que la loi des Douze-Tables lui permet de se nourrir s'il le veut sur son propre patrimoine si volet suo vivito. Or, l'esclave n'a pas de patrimoine.

Disposant de ses biens, l'addictus pourra s'en défaire : il aura à cela un si puissant intérêt, que tous ses efforts tendront assurément à ce but. Comment supposer, en effet, qu'il ne cherche pas à recouvrer sa liberté, et à éviter la perspective menaçante qui, par l'expiration du délai de 60 jours, va devenir une réalité? Car, passé ce délai, il devient esclave, ses biens deviennent la proie du créancier, et, dernier outrage, il est vendu à l'étranger.

Tel est le mode d'exécution forcée que nous présente la législation des Douze-Tables; on le voit, c'est la personne qui est frappée, et la main-mise sur les biens n'est que la conséquence et en quelque sorte l'accessoire de la main-mise sur la personne. Quant à une exécution directe, elle est, dans ce système, tout à fait inutile: car le droit du créancier se trouve surabondamment garanti et armé par l'addictio et ses conséquences, et l'intérêt du débiteur trouve sa sauvegarde dans le droit et la possibilité de vendre son bien, s'il en reste, dans les délais accordés par la loi.

Aucun texte, en effet, ne paraît accorder au créancier sous le système des legis actiones, le droit de saisir les

biens du débiteur pour se payer. Qu'à l'origine, le créancier usât librement de ce moyen, cela est très-conforme à l'esprit de toute civilisation qui débute; mais la législation décemvirale porte les traces nombreuses d'un progrès réalisé sur l'état antérieur, elle affirme le principe de la limitation des droits excessifs du créancier, et c'est former une conjecture sans appui sérieux dans les textes de supposer que, sous son empire, le droit du créancier se trouvait encore aggravé par la reconnaissance d'un droit direct d'exécution forcée sur les biens.

Dire qu'il n'y a pas de voie légale d'exécution directe sur les biens pour le créancier qui a obtenu jugement, c'est nier que le système de la déconfiture pût s'exercer judiciairement. Mais nous avons montré que, dans les faits, les choses se passaient, à l'amiable (1), au gré du premier créancier poursuivant, lequel était toujours payé en raison même et en proportion de son renom de cruauté, et sans recours possible de la part des autres créanciers. Au contraire, en cas d'addictio suivie de non paiement dans le délai de deux mois ci-dessus rapporté, le concours entre créanciers trouvait dans la loi des Douze-Tables un embryon d'organisation : les créanciers se partageaient le corps de leur débiteur, et, par conséquent, et a fortiori ses biens aussi.

(1) Grâce au jus paciscendi dont il est parlé antérieurement.

SECTION II.

Voies d'exécution sur les biens.

Il est d'usage de n'étudier sous cette rubrique que la legis actio connue sous le nom de « pignoris capio. » Nous croyons, pour les exigences particulières de notre travail, devoir y placer une rapide esquisse du nexum. Il nous paraît en effet que, sans trop de subtilité, il est permis de voir dans l'engagement des biens que comportait le nexum, la négation radicale et absolue du principe d'égalité entre les créanciers. Quant au caractère d'exécution sur la personne, qu'il convient, sans aucun doute, de reconnaître à cette institution toute romaine, il paraît avoir disparu assez rapidement et le premier.

La loi des Douze-Tables mentionne le nexum, et lui donne la force de loi entre les parties: « Cum nexum faciet mancipiumque, uti lingua nuncupassit, ita jus < esto. »

On a beaucoup discuté sur la nature du nexum, et sur la situation faite au nexus, c'est-à-dire au débiteur qui a contracté sous cette forme. Ce qui est certain, c'est que le nexum comprenait à la fois un engagement des biens du débiteur qui empruntait, et un engagement de sa personne. M. Giraud, dans son célèbre traité des nexi, enseigne que le débiteur engage non-seulement sa personne physique, mais encore « sa personne juridique, c'est-à-dire son patrimoine et tout ce qui est soumis à sa puissance personnes et choses.

Nous adoptons pleinement la conclusion de Tambour

« PreviousContinue »