Page images
PDF
EPUB

DROIT ROMAIN

DES ORIGINES ROMAINES DE LA DISTINCTION

ENTRE

LA FAILLITE ET LA DÉCONFITURE

INTRODUCTION.

Il importe que les débiteurs acquittent leurs dettes. C'est un devoir d'intérêt général auquel nul ne doit se soustraire, mais dont l'accomplissement parfait serait en quelque sorte une réalisation de la justice idéale. Or, les hommes ont toujours vu retarder l'avènement de cette ère de bonheur et d'équité, et, au moment où des philosophes proclament la doctrine du pessimisme, nous croyons pouvoir supposer qu'entre les âges passés et les temps futurs, il y aura ce point commun de toujours compter des débiteurs malheureux et des débiteurs malhonnêtes.

Le Droit se préoccupe de cette situation: il tend à assurer, dans sa sphère d'action, l'observation des enga

gaments pris. Et en cela il reste fidèle à sa mission, qui est de faire respecter la justice.

Si nous prenons pour exemple d'étude une législation dégagée des entraves primitives, et même parvenue au développement qui convient à des peuples civilisés, force nous est de reconnaître que, en présence d'un débiteur insolvable, on a dû songer à deux procédés différents pour arriver à l'acquittement du passif. L'un s'inspire du besoin de donner une satisfaction égale à tous les créanciers, sinon complète; et l'autre, du désir de satisfaire entièrement les plus vigilants. Ce dernier système est une application d'un principe fondamental du Droit, que les jurisconsultes romains ont ainsi formulé jura vigilantibus scripta sunt non dormientibus.

Il est juste, en général, que quiconque veille et agit, soit récompensé. Aussi, voyons-nous, en Droit romain surtout, l'activité personnelle jouer un rôle décisif : << l'acquisition du Romain, a dit von Ihering, consistait a capere, et, pour lui, la propriété était ce qu'il avait pris avec la main. »

Mais, d'autre part, il faut aussi reconnaître que l'application de ce principe doit être, dans une bonne législation, combinée avec d'autres considérations puisées également à la source même de l'équité. Or, il semble bien juste que les divers créanciers d'un même débiteur soient, si faire se peut, dans une situation égale; car, en l'absence de causes de préférence particulières, leurs droits sont égaux.

Il paraît donc y avoir lutte, sinon antinomie, entre ces deux procédés, au point de vue de l'équité : quoi de plus équitable, en effet, que de donner satisfaction à celui

qui se prévaut d'un droit justifié, et qui employe et dépense toute son énergie à en assurer le triomphe? Et, d'autre part, quoi de plus équitable aussi que de faire et assurer une situation égale à ceux qui n'ont que des droits égaux? L'équité n'est-elle pas en quelque sorte dérivée de l'égalité?

En se plaçant sous le point de vue de l'utilité sociale, on arrive à la même opposition, à la même contradiction le premier système, en effet, n'a-t-il pas cet inappréciable avantage d'éviter les embarras et les pertes que les lenteurs du second peuvent entraîner? Et, par contre, celui-ci n'assurera-t-il pas la situation du plus grand nombre contre les tentatives et l'àpre avidité d'un seul?

Il serait aisé d'insister sur cette comparaison. Comment en concilier les deux termes?

L'adoption de l'un entraîne, cela est certain, le rejet de l'autre le droit du premier occupant est exclusif du droit à l'égalité pour les autres. On doit donc supposer, ou qu'un législateur adopte l'un à l'exclusion absolue de l'autre, ou qu'il attribue à chacun d'eux un champ séparé d'application. Il doit choisir, car c'est pour lui une nécessité de sanctionner les droits reconnus.

Un droit dépourvu de sanction n'est plus un droit. La loi française moderne, pour résoudre la difficulté posée, n'a pas opté d'une façon absolue en faveur de l'un ou de l'autre système. Elle fait une application divise et séparée de l'un, en cas de faillite, et de l'autre, en cas de déconfiture.

Donc, selon nous, ce qui caractérise essentiellement le régime de la faillite, c'est qu'il a été organisé et réglementé par la loi en vue d'assurer l'égalité entre les

créanciers d'un même débiteur; et ce qui est le signe essentiel de la déconfiture, c'est que, sous ce régime, le débiteur insolvable paye ses créanciers au fur et à mesure qu'ils se présentent à lui, les premiers arrivés pouvant ainsi épuiser l'actif du patrimoine, et se trouver complètement désintéressés à l'exclusion des moins vigilants.

Toute liquidation doit nécessairement se faire par l'un ou l'autre procédé. On a prétendu que le Droit romain n'avait mis en pratique que le premier seulement : la loi de l'égalité aurait donc sur sa rivale l'avantage moral inappréciable de pouvoir seule remonter jusqu'aux sources romaines.

Cette prétention mérite d'être examinée, et nous devons avouer que la littérature juridique est, sur ce point, singulièrement réservée; il semble qu'un malin génie, doué de sympathie pour la loi du régime de faillite seulement, ait comme à plaisir détourné les interprètes du devoir de la discuter. Telle est, pourtant, la tâche que nous assignons à notre dissertation inaugurale.

Nous n'avons, certes, pas la force voulue pour traverser heureusement un domaine inexploré. Aussi, toute notre ambition serait-elle pleinement satisfaite si, à l'aide des données et des matériaux les plus connus du Droit romain, nous arrivions à montrer clairement que nos deux systèmes de liquidation des patrimoines ont été connus et pratiqués à Rome, et à mettre en relief l'importance relative qu'il faut attribuer et reconnaître à l'un et à l'autre dans la législation romaine.

En d'autres termes, nous ne cherchons ce résultat que dans un classement particulier, sinon nouveau, de

textes dont le commentaire appartient à tout enseignement du Droit romain.

Par ce qui précède, on voit, et nous n'avons pas à y revenir, ce qui constitue à nos yeux le point. essentiel de la distinction entre la faillite et la déconfiture. Pour éviter toute confusion, nous croyons devoir faire cette remarque que la qualité de commerçant et celle de non commerçant, qui, dans le Droit français, sert à délimiter le champ d'application de l'une ou de l'autre, est ici, pour nous, d'un intérêt secondaire, puisqu'il est très-aisé de concevoir les deux modes de liquidation que nous étudions comme existant en dehors de toute considération puisée dans la nature de la profession du débiteur.

Nous aurons, dans ce travail, à examiner rapidement les divers modes d'exécution sur les biens et les divers exemples de liquidations que nous présentent les textes des jurisconsultes romains. C'est à propos de chacun d'eux que nous indiquerons, et parfois même que nous développerons ce qui se réfère à l'un et à l'autre de nos deux systèmes, et ce qui les caractérise en les séparant nettement.

« PreviousContinue »