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DES VOIES D'EXÉCUTION SUR LA PERSONNE OU LES BIENS.

CHAPITRE PREMIER.

Epoque antérieure au système formulaire.

Dans la période originaire du Droit romain, et à l'époque de ses premiers développements, le droit du créancier qui poursuit et exige l'exécution de sa créance porte sur la personne même de son débiteur, et ce n'est que par exception qu'il frappe et atteint par voie de saisie les biens eux-mêmes directement.

Examinons les deux moyens.

SECTION I.

Voies d'exécution sur la personne.

« Le monde, a dit Ihering, appartient à la force individuelle; c'est en lui-même que chacun porte le fondement de son droit; il doit le défendre par luimême telle est la quintessence des idées de la Rome antique sur la vie. »

Aussi, à l'époque primitive du Droit romain, alors que Rome ne possédait pour toute législation que « le

capital originaire reçu de l'histoire, » et que l'appréhension était, comme nous l'avons déjà dit, le seul moyen admis et reconnu de s'enrichir, est-il plus vrai et logique que jamais de dire « Jura vigilantibus scripta sunt. »

Il n'est pas impossible d'admettre, dès lors, qu'à cette époque le créancier qui n'était pas payé se chargeât luimême, aidé des siens et des forces dont il pouvait disposer, de prendre (capere vel rapere) en nature dans les biens de son débiteur ce qui lui paraissait suffisant pour le désintéresser. « Celui qui a un droit évident, écrit le même auteur, n'a pas besoin de l'autorité, ni pour le faire reconnaître, ni pour le faire réaliser. »

Il est clair qu'avec un tel principe, rien ne pourra limiter le droit du créancier. C'est le droit pour chacun de se faire son propre justicier, et c'est dès lors la plus complète application de ce que nous appelons le procédé de la déconfiture. Pour que le procédé de la faillite soit mis en pratique, il faut au contraire que les droits du plus pressé soient tempérés par une autorité supérieure, qui impose l'égalité à tous: or, c'est ce que nul ne saurait concevoir dans un système juridique où toute puissance dérive de la force matérielle, manus, tout enrichissement d'une appréhension brutale ou non (capere vel rapere), et toute justice de l'énergie personnelle développée par le citoyen lésé pour se venger: « neque enim qui potest in furem statuere, necesse habet adversus furem litigare, idcirco nec actio ei a veteribus prodita est. (Ulpianus 17, pr. D., XLVII, 2.)

Nous concevons donc que le créancier impayé veuille tirer vengeance de son débiteur. Or, à cette époque de barbarie, où les conceptions juridiques sont toutes

rudimentaires, on ne connaît que la personne physique du débiteur, et c'est elle qui constitue le gage du créancier. Quant à la notion de la personne juridique, elle suppose un degré de civilisation plus avancé : les biens ne constituent pas directement une garantie de l'obligation contractée. Tel est l'état primitif du Droit romain. Cette théorie historique serait incomplète si le droit de vengeance, avec ce qu'il comporte d'excès et de rigueurs, n'y figurait point. Ce droit de vengeance, que constate Ulpien, n'avait d'autre limite, chez le créancier lésé, que le souci de sa propre existimatio et la crainte des censeurs. Aussi, l'exercice en était-il plus ou moins complet et cruel, selon les circonstances, et aucun texte à notre connaissance ne nous empêche d'admettre que, à cette époque, les créanciers pouvaient, s'ils le préféraient, se venger sur les biens, sauf à négliger, par raison d'humanité, leur droit sur la personne. Pourquoi, en effet, ne pas admettre qu'une voie moins cruelle peut être employée alors que, comme on va le voir, il en existe une autre plus complète et plus radicale?

Mais c'est là plutôt analyse des mœurs qu'étude du droit. Car il faut bien reconnaître que ce droit de vengeance, qui apparaît comme illimité et que, dès lors, nous comprenons aussi bien comme s'exerçant sur les biens seulement que sur la personne même du débiteur, ne connut d'autre réglementation, à l'origine, que celle qui lui fut imposée par les mœurs et la coutume.

Il n'est question dans la loi des Douze-Tables que de l'exécution sur la personne du débiteur, et vraisemblablement cette intervention du législateur a eu pour but de règlementer, autant que faire se pouvait, les pratiques de la vengeance personnelle.

<< Eris confessi rebusque jure judicatis triginta dies justi sunto. » Ainsi s'exprime le législateur : il accorde un délai de trente jours au débiteur, dès que celui-ci, à la suite d'une confessio ou d'un judicatum, se trouve exposé à la vengeance du créancier qui veut l'exécution.

Le ménagement, nous dirions volontiers le progrès, est double le citoyen romain poursuivi par son créancier, obtient que la voie d'exécution sur sa personne soit retardée et suspendue pendant un délai bienfaisant de trente jours, et qu'elle ne s'exerce qu'en vertu d'un jugement du magistrat ou d'une confessio in jure.

A défaut de paiement, passé ce délai, le créancier exerce la manus injectio sur son débiteur confessus ou judicatus : « post deinde manus injectio esto; in jus ducito. » Cela veut dire que le créancier peut exercer violence sur son débiteur, mais la loi exige qu'il le conduise par devant le magistrat seconde comparution qui, selon toute vraisemblance, a été un nouvel acheminement vers l'amélioration du sort des débiteurs.

Devant le magistrat, il est possible que le judicatus échappe aux suites cruelles de la manus injectio : il faut pour cela qu'il fournisse immédiatement un vindex qui fasse le procès sien. Aussitôt, le procès recommence avec ce tiers, et un nouveau jugement intervient entre le créancier et ce tiers qui, s'il succombe, est condamné au double d'après une conjecture à laquelle M. Accarias n'hésite pas à se ranger.

Mais si le judicatus ne peut pas offrir de répondant, un décret du magistrat l'attribue (addicit) à son créancier qui l'emmène et le retient enchaîné. La loi des décemvirs est formelle sur ce point : « Ni judicatum

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