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formaliste des Romains; car il est essentiellement formaliste, plus formaliste même en un certain sens que la stipulation, ou du moins plus strict qu'elle. Ce carac tère rigide, il ne l'a certes pas emprunté au formalisme qui a dû aller en s'adoucissant: le fait est qu'il aurait dû être moins strict, car il est né probablement après la stipulation, les procédés graphiques n'ayant pu s'introduire qu'assez tard dans la société romaine. La stipulation était donc le contrat usuel quand le contrat litteris a commencé à se développer. Sous l'empire de quelles nécessités, de quels besoins a-t-il pu donc naître? Peut-être qu'avec le développement de la société romaine et partant avec l'extension des relations juridiques, la stipulation est-elle devenue un instrument insuffisant; on sait, en effet, que la stipulation ne pouvait avoir lieu qu'entre personnes présentes. Il devait donc devenir utile d'inventer un instrument nouveau pour permettre de traiter avec les personnes absentes : cet instrument fut le contrat litteris, qui pouvait intervenir entre absents, ainsi que nous le verrons par la suite. Quoi qu'il en soit, cette raison essentiellement utilitaire ne nous semble pas pouvoir expliquer par elle seule l'apparition du contrat litteris dans la pratique romaine. Il est difficile, en effet, si on s'en tient là, d'expliquer le caractère particulièrement rigoureux de l'obligation littérale. Il faut donc rechercher des causes d'un ordre différent. Ne pourrait-on pas, avec plus de vraisemblance, en rattacher les origines à la dureté implacable de la législation romaine envers les emprunteurs? On sait combien le droit primitif était cruel envers les débiteurs : les formalités

qui entourent le prêt nous l'attestent; le lien juridique qui unit le débiteur au créancier ne prend naissance en effet, qu'après une mancipation préalable de la personne de celui qui s'oblige. A Rome, plus que partout ailleurs, cet usage que l'on constate au début de toute société persista longtemps; le tempérament froid, sec, âpre au gain, impitoyable du peuple romain, était bien fait pour garder longtemps une aussi cruelle empreinte. La terminologie elle-même la porte: elle nous accuse la force du lien de volonté, qui allait jusqu'à l'asservissement de la volonté de celui qui s'obligeait, par ces mots vinculum, et surtout nexum (nectere, attacher). Sans doute, la nécessité de se livrer d'avance à son créancier pour obtenir de lui de l'argent, va en s'effaçant, à mesure que le crédit se développe. Mais le débiteur n'en reste pas moins exposé pendant fort longtemps à devenir la propriété de son créancier; s'il ne paye pas à l'échéance, il devient son esclave, et le créancier a sur lui droit de vie et de mort. L'action de la loi per manus injectionem aboutit à ce résultat: elle est, en effet, la main-mise sur une personne, son appréhension corporelle. Le débiteur a trente jours pour s'acquitter: « triginta dies justi» (1). C'est une sorte de trève, d'armistice légal. Passé ce délai, s'il n'a pas payé, le créancier peut l'amener devant le magistrat in jure; il le saisit par quelque partie du corps en disant: « Quod tu mihi judicatus sive damnatus es (par exemple sestertium decem milia) quæ dolo malo non solvisti, ob eam rem ego tibi sestertium X millia judicati manu injicio. » Impossible au

1. Aulu-Gelle, Nuits attiques, XX, 1.

débiteur de repousser cette main-mise. De fait il est esclave et comme tel il ne peut plus agir par lui-même s'il a des objections à faire ou des contestations à élever: il lui faut un garant, un répondant solvable, un vindex qui le réclame et le libère. S'il ne s'en présente pas, il est attribué par le préteur à son créancier dont il devient l'esclave. Pendant soixante jours cela se continue; puis, à l'expiration de ce délai, après trois jours de marché consécutifs, il est définitivement addictus et il est vendu comme esclave à l'étranger, trans Tiberim. Voilà le droit de la loi des Douze Tables (1) et voilà ce que nous voyons chez les jurisconsultes et chez les écrivains (2). Telle est à cet égard la cruauté caractéristique du vieux droit quiritaire. Aussi l'histoire nous présente-t-elle le spectacle sans cesse renouvelé de luttes violentes, souvent sanglantes entre Plébéiens et Patriciens, entre riches et pauvres. La plèbe se soulève souvent et pousse le cri de vengeance contre la classe riche qui écrase par l'usure, l'usure toujours grandissante, les pauvres débiteurs; la République s'en trouve plus d'une fois profondément agitée (3). Au milieu de ces luttes incessantes, le droit n'a-t-il pas pu se modifier quelquefois au profit de la classe victorieuse? Cela est fort probable, particulièrement en ce qui concerne le codex. Simple instrument de preuve pendant longtemps, le codex a grandi en autorité;

1. Loi des Douze Tables.

la légist. rom.. p. 101.

2. V. Aulu-Gelle, loc. cit.

III, 189 et 199.

Table III. Ortolan, t. I, Hist. de

Gaïus, Comm., IV, 21; Comm.,

3. Tite-Live, V. 14; VI. 36; VII, 16. Denys d'Halic., IV, II, etc.

certaines mentions sont devenues obligations littérales. Ne pourrait-on pas considérer cette extension de la force probante du codex qui va jusqu'à être un mode créateur d'obligations, comme une de ces transformations qui ont été en quelque sorte la consécration d'un triomphe de l'aristocratie d'argent sur la classe des plébéiens, à un instant donné dans l'histoire de ces longues luttes intestines qui désolèrent pendant si longtemps la République? Rien ne contredit une pareille hypothèse et l'histoire semble bien lui donner un certain caractère de vraisemblance. Le contrat litteris serait donc né accidentellement: il serait venu accentuer la rigueur de la législation romaine à l'égard des débiteurs. Ce sont là des conjectures et des conjectures sans doute très vagues qu'il est impossible d'appuyer sur aucun texte précis; mais c'est une hypothèse à laquelle la nature même de l'obligation littérale telle que nous la connaissons à travers quelques passages de jurisconsultes et d'écrivains, paraît bien donner quelque apparence de raison. C'est ce que va montrer la suite de cette étude.

SECTION I. Conditions de validité du contrat litteris.

Tout contrat était subordonné en principe quant à son existence à deux sortes de conditions à des conditions de fond ou de validité et à des conditions de formes; en d'autres termes, il y avait dans tout contrat ce que l'on appelle des formalités intrinsèques et des formalités extrinsèques. Le contrat littéral était soumis comme tous les autres contrats à ces deux formalités et ce sont ces

deux points que nous allons successivement parcourir. Nous examinerons d'abord les conditions de validité du contrat litteris en nous attachant à rechercher quelles personnes pouvaient en faire usage, à quels objets il était applicable, quelles étaient en effet les modalités dont il était susceptible.

La stipulation d'abord exclusivement accessible aux citoyens romains a fini par pouvoir être employée par les pérégrins (1); elle est entrée dans le droit des gens. Le contrat littéral n'a pas suivi cette marche ; il a gardé toujours son caractère originaire; toujours l'usage en est demeuré restreint aux seuls citoyens romains. Toutefois à en croire Gaius, il y avait grande dissidence à cet égard entre les deux principales sectes de jurisconsultes, les Proculéiens et les Sabiniens (2). La doctrine de Nerva, c'est-à-dire la doctrine proculéienne affirmait qu'il n'y avait pas possibilité pour les pérégrins, de se servir du contrat littéral exclusivement réservé aux Romains. Les Sabiniens au contraire faisaient une distinction: ils distinguaient entre la transcriptio a re in personam et la transcriptio a persona in personam. «Si a re in personam fiat nomen transcriptitium etiam peregrinos obligari si vero a persona in personam non obligari. » La transcriptio a re in personam était donc selon les Sabiniens à la portée des pérégrins. Mais pourquoi cette différence? Voici l'explication qu'on a essayé d'en donner: la transcriptio a re in personam était accessible aux pérégrins sans doute parce qu'elle paraissait moins créer

1. Gaius, Comm. III. § 93.

2. Id. § 133.

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