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purement et simplement la volonté des parties. Dans son but originaire, dans sa forme extérieure, elle n'était qu'un mode de preuve (1). Ce n'est que plus tard qu'elle a acquis une force créatrice d'obligations, qu'elle est devenue, dans certaines conditions données, une présomption juris et de jure de l'existence du contrat. Le simple instrument de preuve s'est fait lui-même contrat. C'est là un phénomène anormal dont l'apparition a été favorisée sans aucun doute par l'idée formaliste : il a même pris l'empreinte dure et étroite du formalisme en l'exagérant; mais cette apparition dans le champ des contrats solennels ne peut s'expliquer que par quelque chose de purement accidentel que nous essaierons d'indiquer dans le courant de notre étude.

Mais avant d'insister sur ce point obscur, nous aurons à examiner dans un premier chapitre la nature des écrits probatoires, dans lesquels devait résider le contrat littéral. Puis nous étudierons dans un second chapitre ce contrat littéral en nous efforçant, si nous le pouvons, de faire cadrer l'explication que nous donnerons de ses origines, avec la nature et les différents caractères que nous sommes obligés de lui reconnaître d'après les textes des écrivains et des jurisconsultes qui nous en parlent. Enfin, dans un troisième chapitre, nous traiterons de certains écrits probatoires (écrits séparés) qui, à une époque relativement récente s'introduisirent dans la pratique romaine et qui se développèrent de telle façon qu'on a pu croire qu'ils avaient fini par devenir de véritables

1. Ihéring, op. cit., t. III, p. 279 et suiv.

modes créateurs d'obligations et par remplacer les obligations littérales proprement dites. Ce chemin parcouru, il nous sera facile de nous prononcer sur la question de savoir si le contrat littéral dont nous parlent les Institutes, existe réellement au temps de Justinien.

CHAPITRE Ier

DES LIVRES DOMESTIQUES

Section Ire Généralités; esquisse historique.

Chez un peuple méthodique à l'excès, parcimonieux souvent jusqu'à l'avarice, l'usage de registres destinés à relater les évènements de chaque jour, à constater les dépenses et les recettes de chaque mois, à consigner en quelque sorte tous les mouvements de fonds, a dû devenir de bonne heure une coutume nationale. Le caractère particulièrement laborieux et surtout tenace du Romain ne dut pas peu contribuer également au développement de pareilles pratiques. A quelle époque naquirent exactement ces pratiques? — Quelles furent les causes directes qui en amenèrent l'introduction dans les mœurs romaines? Ce sont là des problèmes obscurs dont le savant soulève bien difficilement le voile. Songer à donner sur ces points des solutions précises nous paraît impossible. L'induction seule est permise; nous ne pouvons nous placer que sur le terrain de l'hypothèse, essayant de découvrir et de fixer la vérité à l'aide du développement naturel de l'histoire, et des quelques passages

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1. Asconius sur la 2 Verrine, lib. I, § 23 : « Moris fuit unum quemque domesticam rationem sibi totius vitæ suæ, » etc.

que nous pouvons trouver chez des écrivains souvent récents (1).

Ce que nous pouvons toutefois assurer, c'est que cet usage existait du temps de la République (2). Mais il dut exister bien longtemps auparavant aussitôt que le Romain sut écrire, il songea assurément à consigner ses comptes. Cet usage se forma peu à peu et il se développa à mesure que l'écriture se généralisa.

Ces registres furent-ils d'un seul coup des registres de recettes et de dépenses? Cela est peu probable. Nés du culte domestique (3), d'abord simples cahiers retraçant les généalogies des ancêtres, rappelant les hauts faits qui pouvaient marquer leur existence, ils acquirent chaque jour une importance croissante. Mais à mesure qu'on s'éloigna des temps rudes et grossiers, et que les lumières pénétrèrent peu à peu dans la société, ces registres durent s'écarter peu à peu de leur caractère originaire. D'exclusivement religieux, ils devinrent domestiques; chaque citoyen romain finit par y inscrire les évènements qui pouvaient l'intéresser à quelque degré que ce fût; puis ce fut le tour des évènements juridiques qui vinrent eux aussi prendre place sur ces tablettes et grandir ainsi aux yeux de chacun leur utilité et leur créance. Dès lors les codices

1. C'est surtout dans Cicéron, Valère Maxime, Aulu-Gelle, Pline l'ancien, que nous trouverons des indications sur ce point. 2. Plusieurs passages des comédies de Plaute en attestent l'existence à cette époque. V. Asinaria, act. 2, scœn. 4, vers 34.

3. C'est là une pure hypothèse qui s'appuie du système historique qui fait découler toutes les institutions de la religion. Voir Fustel de Coulanges: Cité antique.

durent devenir de véritables recueils constatant des contrats.

Voilà en quelques mots l'évolution probable du codex. La base que nous lui donnons, c'est la religion; lui assigner une pareille origine nous paraît plus conforme à la vérité historique et plus en harmonie d'ailleurs avec les principes qui gouvernent la société antique, particulièrement la société romaine. Ainsi peut s'expliquer la confiance excessive que l'on attacha pendant longtemps aux livres domestiques, confiance tellement grande que Cicéron (1) regarde comme quelque chose de nouveau et d'inouï de son temps, qu'un citoyen n'ait pas tenu de tabulæ.

Quand on considère le danger qu'il pouvait y avoir à laisser aux citoyens la faculté de se créer des titres et des preuves eux-mêmes, la source permanente d'abus à laquelle on ne pouvait que s'exposer, la mauvaise foi à laquelle on risquait de donner ainsi libre carrière, et quand on songe que les Romains ne furent jamais bien effrayés de la perspective de tels dangers, on est bien forcé de rattacher ces antiques habitudes au culte domestique. Sans doute, ces registres se dépouillèrent de bonne heure de la partie religieuse qui existait exclusivement au début pour conserver exclusivement la partie financière, mais le sentiment religieux n'en persista pas moins. Le culte du foyer n'est-il pas d'ailleurs la pierre angulaire de la société romaine sur laquelle reposent

1. Cic. In Verrem, act. 2, lib. I, § 23: « In isto, judices, hoc novum reperietis Audimus, aliquem tabulas nunquam confecisse », etc.

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