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aurait osé colporter des listes pareilles et des sentiments de ce genre? A Paris on interroge les sections sur les questions de cette nature; on suppose donc qu'on y trouvera des voix pour l'affirmative. Il est donc vrai qu'au sein de Paris, que même dans les assemblées de sections, le royalisme élève encore sa tête altière et hideuse. Et c'est dans de pareilles circonstances que vous voudriez dégarnir cette cité des républicains qui y sont accourus de tous les départements au moment du danger! que vous voudriez en chasser tous les fédérés qui ont si bien fraternisé avec les citoyens ! Rappelez-vous du procès-verbal que je vous ai lu hier; rappelez-vous que vous applaudîtes aux témoignages touchants de fraternité qu'il contenait.

» Je conclus de tout ceci que le projet de votre comité de la guerre, que même la force départementale sont des questions précoces et prématurées, puisqu'elles doivent être précédées d'un rapport sur la situation de Paris. Si cependant il fallait dès à présent délibérer sur la question, je dirais que vous pouvez faire partir les bataillons organisés, mais non pas les volontaires fédérés qui sont venus pour rester à Paris. De quel droit voulez-vous forcer ces citoyens à s'organiser en bataillons organisés, et à marcher aux frontières, quand leurs départements ont déjà fourni leur contingent? De quel droit voudriez-vous empêcher une garde nationale de venir à Paris. Je demande que vous adoptiez l'article premier du projet qui vous est présenté, mais que vous ajourniez les deux autres. »

Saint-André demande à répondre. Une grande partie de l'assemblée invoque la clôture de la discussion.

Thureau, Goupilleau, Rouyer, Legendre, etc., demandent que les volontaires qui ne rejoindront pas l'armée, ne soient point payés. Barbaroux veut parler contre cette proposition. (Une violente agitation se manifeste dans l'assemblée.)

Letourneur soumet à la délibération le premier article de son projet.

Plusieurs membres demandent que l'assemblée passe à

l'ordre du jour, motivé sur ce qu'une loi antérieure autorise le ministre à disposer de tous les bataillons organisés qui se trouvent dans la circonférence soumise à la police de l'assemblée.

Goupilleau. « Il faut que l'assemblée décide s'il faut forcer les autres volontaires qui sont rassemblés à Paris, au nombre d'environ dix mille, à se former en bataillons; et si, en cas de refus de leur part, ils doivent continuer à être payés à raison de trente sous par jour, tandis que les volontaires qui se battent aux frontières n'ont que quinze sous. » (Murmures d'une partie de l'assemblée.)

Thureau. «Que voulez-vous donc faire de ces hommeslà ? »

Barbotte. « Si c'est un pouvoir révolutionnaire, il faut, même d'après vos principes, qu'il disparaisse.»

Saint-André demande à répondre à Barrère; des murmures lui coupent la parole.

Pétion. «Les agitations qui nous déchirent sont extrêmement affligeantes. Nous donnons au public qui nous écoute un spectacle, j'ose le dire, vraiment scandaleux. (Applaudissements d'une partie de l'assemblée et des tribunes.) Et remarquez que non seulement les tribunes, que non seulement la France vous écoute, mais que les étrangers sont témoins de nos débats et qu'ils s'en réjouissent.

» Ce n'est pas de cette manière que des hommes libres doivent discuter. ( Mêmes applaudissements. ) Il faut l'avouer, il y a eu dans cette tribune des opinants qui n'ont pas été libres d'énoncer leurs pensées, ni de se faire entendre. Il faut cependant que tout le monde puisse défendre sans contrainte son opinion. J'ai vu avec douleur que, d'autres opinants ont continuellement divagué de la question. Ils ont fait rouler toute la discussion sur des faits que nous devions oublier ici; car toutes les fois que vous parlerez des évènements du 2 septembre, soyez sûrs que vous verrez les divisions renaître dans l'assemblée. Promettonsnous donc d'ensevelir dans le plus profond oubli tous ces

faits qui ne sont propres qu'à troubler nos délibérations par le choc des passions qu'ils réveillent. (Applaudissements et murmures. Barbaroux interrompt.) Je parle de ces faits qu'il n'a pas été en votre pouvoir d'empêcher, et dont le souvenir, lié à des haines et à des préventions personnelles, peut jeter des semences de troubles et de discordes dans l'assemblée. (Rumeurs dans une partie de la salle.)

» Je dis qu'il est très inutile de reproduire ces éternelles lamentations sur des faits sur lesquels nous gémissons, mais que nous n'avons pu empêcher, et qui ont été favorisés par des circonstances qui certainement ne se renouvellent plus. »

Le projet est rejeté.

SÉANCE DU TREIZE NOVEMBRE,

Procès de Louis XVI. Le roi peut-il être jugé?

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Pétion. Citoyens, j'ai demandé la parole pour une motion d'ordre, et je n'en abuserai pas pour entrer dans le fond de la question. Dans une cause aussi solennelle votre intention est certainement de prendre une marche imposante, de discuter, de prononçer avec maturité. Mon opinion n'est pas équivoque sur le dogme stupide de l'inviolabilité, puisque je l'ai combattu à cette tribune lorsqu'il était presque une superstition politique; mais nous devons traiter cette question séparément de toutes les autres questions qui se présentent avec elle; nous ne devons la résoudre qu'après une discussion lumineuse. J'ai entendu avec surprise demander dans la dernière séance qu'on décrétât sans discussion que le roi était jugeable... N'en doutez pas, citoyens, la France, l'Europe vous contemplent; elles attendent votre décision; il est important de prouver, la loi à la main, que Louis XVI ne peut pas même invoquer la loi. Il est donc inutile d'examiner le mode du

jugement avant de savoir s'il peut être rendu, d'examiner la peine avant de savoir si elle peut être portée. Je demande qu'on s'occupe d'abord de cette première et importante question: Le roi peut-il être juge?

Cette proposition est adoptée et Morisson ouvre la dis

cussion.

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Citoyens, lorsque nous avons à traiter une question de la plus grande importance, une question qui tient essentiellement à la politique et aux principes de la justice distributive, nous ne devons prendre une détermination qu'après la discussion la plus approfondie; et si parmi les orateurs, il en est un qui présente une opinion contraire à celle du plus grand nombre, c'est précisément l'orateur que nous devons écouter avec le plus d'attention: l'erreur souvent est utile pour mieux faire sentir la vérité ; c'est une ombre au tableau; il en faut pour en préciser les traits.

J'invoque, citoyens, ces vérités en ma faveur : mon opinion paraît isolée; elle se trouve en opposision avec celle du plus grand nombre; mais ici mon devoir a dû faire taire mon amour-propre ; ici la nature même de la discussion peut rendre utile jusqu'à mes erreurs. Je vous prie donc, au nom de la patrie, de m'écouter en silence, quelque choquantes que puissent vous paraître quelques unes de mes réflexions.

D

Citoyens, je sens comme vous mon âme pénétrée de la plus forte indignation lorsque je rassemble dans mon esprit les crimes, les perfidies, les atrocités dont Louis XVIs'est rendu coupable; la première de toutes mes affections, la plus naturelle sans doute, est de voir ce monstre sanguinaire expier ses forfaits dans les plus cruels tourments: il les a tous mérités, je le sais; mais à cette tribune, représentant d'un peuple libre, représentant d'un peuple qui ne cherche`son bonheur, sa prospérité, que dans les actes. de justice, dans les actes d'humanité, de générosité, de bienfaisance, parcequ'ils ne sont que là, je dois renoncer à moi-même pour n'écouter que les conseils de la raison, pour ne consulter que l'esprit et les dispositions de nos lois,

pour ne chercher que l'intérêt de mes concitoyens, objet unique sans doute vers lequel doit tendre la totalité de nos délibérations.

>> Votre comité de législation, dont j'ai l'avantage d'être membre, s'est proposé la discussion des questions sui

vantes :

» Le roi est-il jugeable? Par qui doit-il être jugé? De quelle manière peut-il être jugé ? Et moi, citoyens, sans m'écarter de l'objet principal que nous discutons dans ce moment, je vous présenterai une autre série de questions, dont la première scule se trouve au nombre de celles qui vous ont été proposées par votre comité.

» Louis XVI peut-il être jugé? L'intérêt de la république est-il qu'il soit jugé ?

» N'avons-nous pas le droit de prendre à son égard des mesures de sûreté générale ?

>> Enfin quelles doivent être ces mésures?

» Je discuterai successivement ces différentes questions, et si la convention les décide dans mon sens, il en résultera la question préalable contre le projet du comité, et l'adoption des mesures que je propose; c'est dans l'ordre de la discussion générale, l'objet de ma demande.

» Louis XVI peut-il être jugé ?" Citoyens, je traite cette question au milieu d'un peuple qui exerce sans contrainte la plénitude de sa souveraineté ; je n'ai point ici l'intention de contester ses droits; je saurai toujours les respecter; mais ces droits ont des limites, des limites d'autant plus sacrées que c'est la nature elle-même qui les posa pour notre bonheur, pour le bonheur du genre humain tout entier.

>> Citoyens, nous naissons tous susceptibles de diverses affections qui agissent sans cesse sur nous, et très souvent en sens contraire; nous serions dans une agitation continuelle, et toujours malheureux, si nous n'avions pas le pouvoir de résister à quelques unes de ces affections, et de nous livrer par préférence à celles qui nous conduisent plus sûrement vers notre félicité.

Nous avons ce pouvoir: mais pour l'exercer il faut

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