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la nature même de ses principes elle ne peut s'unir à Berne, qui n'a de république que le nom, et dont les dominateurs sont coalisés avec les despotes de l'Europe: dès lors elle reste forcément abandonnée à elle-même.

» Deux mille hommes en temps de guerre suffisent pour garder la Savoie devenue française; dix mille suffiraient à peine pour garder la Savoie formant un état à part.

>> La nécessité d'accroître sa force publique, d'élever des forteresses,de payer tous les agents de son gouvernement, la condamnerait ou à quadrupler la masse de l'impôt, ou, ce qui est la même chose sous une autre forme, à un emprunt énorme, dont la rente la greverait également, et produirait les mêmes effets: trouverait-elle d'ailleurs les fonds de cet emprunt? Ainsi, commençant par un déficit, sa dissolution politique serait prochaine; car, malgré ses efforts, bientôt elle serait engloutie par l'invasion de quelques despotes concertés, qui aggraveraient son joug en raison de la fureur de leur orgueil humilié, et le souvenir de la liberté, dont elle aurait goûté les prémices, ajouterait pour elle au malheur de l'avoir perdue.

» En confondant ses intérêts politiques avec les nôtres, c'est la partie faible qui s'unit à la partie forte : une nation pauvre s'associe à une nation riche; elle s'agrandit de toute notre puissance, et dès lors la générosité commande de lui ouvrir notre sein.

»Ne craignons pas que cette incorporation devienne une nouvelle pomme de discorde : elle n'ajoute rien à la haine des oppresseurs contre la révolution française; elle ajoute aux moyens de puissance par lesquels nous romprons leur ligue d'ailleurs le sort en est jeté; nous sommes lancés dans la carrière; tous les gouvernements sont nos ennemis, tous les peuples sont nos amis; nous serons détruits, ou ils seront libres!... Ils le seront, et la hache de la liberté, après avoir brisé les trônes, s'abaissera sur la tête de quiconque voudrait en rassembler les débris !

> A l'instant où vous, prononcerez la réunion, il n'y aura plus de Savoie; dès lors, sous une autre dénomination,

elle forme un quatre-vingt-quatrième département : la France reculant sa frontière, la porte au Saint-Bernard, et le code des lois de la république étend son empire sur cette contrée dès lors les citoyens de cette section de l'empire doivent nommer des mandataires, qui, siégeant au milieu de vous, travailleront de concert à fonder la félicité et la gloire de la république sur la base éternelle de la justice. Vos comités, n'ayant pu réunir tous les éléments qui règlent d'après la triple base le nombre des députés de ce département, se sont fixés, d'après un calcul approximatif, sur un nombre de dix.

» Nous vous proposerons une mesure que vous avez suivie avec succès dans une foule de circonstances, celle d'envoyer des commissaires pris dans votre sein, qui se transporteront dans cette partie de la république pour procéder à la division provisoire et à l'organisation de ce département en districts et en cantons. Les citoyens s'attendent à recevoir ces commissaires; ils aspirent au moment d'embrasser la France en leurs personnes.

» La réunion de ces deux contrées forme une époque unique dans l'histoire du monde; elle se consomme au moment où les trônes s'ébranlent de toute part, et où les peuples se réveillent.

>> Braves descendants des Allobroges, pendant trois siècles vous fûtes Français : vous le fûtes toujours par l'énergie de votre caractère : depuis mille ans le despotisme vous avait arrachés du sein de la patrie, et vous en tenait éloignés; sous le règne de plusieurs dynasties abhorrées vos ancêtres et les nôtres ont traîné leur pénible existence; ils ont versé des larmes brûlantes de désespoir; elles sont à peine séchées, et leurs gémissements retentissent encore dans nos cœurs! Mais ils sont vengés; leurs descendants ont brisé leurs fers, et si jamais ils repassent la cime des Alpes ce sera pour aller renverser le trône du despote de Turin. Ils sont vengés! la liberté embrasse les siècles futurs; à sa suite elle conduit les vertus et le bonheur, et ils vous béniront ces hommes de l'avenir, qui n'arrive

ront à l'existence que quand vous dormirez dans la poussière.

» Généreux Savoisiens, en vous nous chérirons des Français, des amis et des frères ; nos intérêts communs vont se confondre ; vous rentrez dans la famille pour n'en sortir jamais, et notre union, notre liberté et la souveraineté des peuples seront durables comme vos montagnes, immuables comme le ciel qui nous entend!

Le décret de réunion, lu par Grégoire après son rapport, fut accueilli avec enthousiasme. De toute part on criait aux voix: un seul membre, Pénières, se présente pour le combattre ; il se fondait sur les obstacles qu'une trop grande extension de population et de territoire oppose à la force d'un gouvernement: on l'écoute avec impatience. Tous les autres orateurs s'étant fait inscrire pour, et l'assemblée manifestant son vou par une acclamation réitérée, le décret est mis aux voix : Pénières seul se lève contre. La réunion de la Savoie à la France fut proclamée au bruit d'applaudissements unanimes et prolongés, et décrétée en

ces termes :

« La convention nationale, après avoir entendu le rapport de ses comités de constitution et diplomatique, et avoir reconnu que le vœu libre et universel du peuple souverain de la Savoie, émis dans les assemblées des communes, est de s'incorporer à la république française; considérant que la nature, les rapports et les intérêts respectifs rendent cette union avantageuse aux deux peuples, déclare qu'elle accepte la réunion proposée, et que dès ce moment la Savoie fait partie intégrante de la république française.

» Art. 1. La convention nationale décrète que la Savoie formera provisoirement un quatre-vingt-quatrième département, sous le nom de département du Mont

Blanc.

» 2. Les assemblées primaires et électorales se formeront incessamment, suivant la forme des lois établies, pour nommer leurs députés à la convention nationale.

3. Ce département aura provisoirement une représen tation de dix députés à la convention nationale.

4. Il sera envoyé dans le département du Mont-Blanc quatre commissaires pris dans le sein de la convention nationale, pour procéder à la division provisoire et à l'organisation de ce département en districts et en cantons. Ces commissaires seront nommés par la voie du scrutin.

» 5. Les bureaux de douanes établis sur les frontières de la France et de la Savoie sont supprimés; ceux sur les confins du Piémont, de la Suisse et de Genève seront conservés provisoirement, et le ministre des contributions publiques sera chargé de faire parvenir sur-le-champ les lois et tarifs relatifs à la perception des droits sur les objets exportés ou importés..

»6. Il sera établi dans les chefs-lieux de districts ou dans les bureaux de douanes aux frontières, après l'organisation des autorités, des commissaires pour la vérification des assignats.

>>7. Sur la proposition d'insérer dans le décret de réunion de la Savoie les mots au nom du peuple français, la convention nationale passe à l'ordre du jour, motivé sur la déclaration solennelle qu'elle a faite, qu'il n'y aura de constitution que celle qui aura été acceptée par le peuple français. >>

Ce décret rendu, les députés savoisiens exprimèrent en quelques mots la joie vive et reconnaissante qu'ils éprouvaient au succès de leur mission. Le président (Hérault) leur répondit :

c

Citoyens français, témoins des acclamations touchantes que vient d'exciter dans ce temple national, la réunion des Allobroges et des Français, vous devez juger si notre souverain s'empressera d'accepter la proposition du vôtre ! Une si douce espérance fait la plus belle partie du bonheur de cette auguste journée. Il sera donc répété deux fois dans tout l'empire que les deux nations seront unies éternellement ! Déjà la nature avait décrété l'unité physique et morale de nos communs territoires: nous venons de lui obéir;

et ce ne sera pas le dernier hommage que la convention se glorifiera de rendre aux inspirations de la nature. Dans cetle chute nécessaire et prochaine de tous les rois, ensevelis sous leurs trônes, le seul trône qui restera sera celui de la liberté, assise sur le Mont-Blanc, d'où cette souveraine du monde, faisant l'appel des nations à renaître, étendra ses mains triomphales sur tout l'univers ! »>

Les représentants du peuple, Grégoire, Hérault, Simon, Jagot, sont nommés commissaires dans le Mont-Blanc.

SÉANCE DU VINGT-HUIT NOVEMBRE.

Députations anglaises. Kersaint demande que la convention concoure à l'abolition de la traite. Faure pense que Louis n'est pas jugeable. Roland dénonce de nouveau la commune. Serres est d'avis qu'on peut juger Louis.

Le président. « Vous avez décrété hier qu'aujourd'hui seraient admises à la barre deux députations d'Anglais, je vais ordonner que la barre leur soit ouverte. »

La première députation composée d'un grand nombre d'Anglais paraît à la barre. Elle est accueillie par les applaudissements unanimes et prolongés de l'assemblée et des spectateurs.

L'orateur de la députation. « Citoyens législateurs, les citoyens britanniques et irlandais, actuellement à Paris, animés constamment des principes qui ont fait naître et triompher la révolution française, se sont réunis dimanche pour célébrer le succès de vos armes, et ont arrêté de venir vous présenter leurs sentiments de félicitation sur des évènements qui sont d'un si favoral le augure pour les peuples qui voudront devenir libres. Recevez donc cet hommage pur et fraternel des hommes qui portent dans leur cœur tous les principes de la constitution que vous allez

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