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dans ses diverses sections l'image de la France. Tandis que les départements que leur éloignement du centre des agitations avait laissés plus calmes, se choisissaient des mandataires éclairés, fermes, mais ennemis des excès, Paris et les départements qui l'avoisinent, s'étaient donné pour représentants les chefs des partis les plus extrêmes. La terreur inspirée par les massacres de septembre ouvrit à plusieurs des artisans de ces massacres les portes de l'assemblée. Ce fut sous la triple influence de la société des Jacobins, gouvernée par Robespierre, de celle des Cordeliers, soumise aux ordres de Danton et de Marat, et de la Commune, née de l'insurrection du 10 août, que s'accomplirent les opérations électorales de Paris. Ainsi la Convention nationale dut ajouter ses propres discordes à celles qui déchiraient la patrie, et ses propres dangers aux dangers qu'elle était appelée à conjurer.

La première lutte qui s'éleva entre les divers partis dont elle était composée, fut celle des systèmes à établir pour sauver l'état. Élue sous deux influences distinctes, l'assemblée présenta nécessairement deux grandes divisions. Elle se partagea entre le parti de la Gironde ', qui représentait l'o

'Ainsi nommé, parceque ses principaux chefs faisaient parte de la députation de Bordeaux, département de la Gironde.

pinion de la majorité des départements, et qui offrait parmi ses membres de grands talents et de grandes vertus; et le parti de la Montagne', livré aux doctrines de la société des Jacobins. Ce second parti, en majorité dans la députation de Paris, comptait pour autant de chefs les hommes nouveaux dont l'audace avait renversé le trône au 10 août. Il n'offrait pas moins de talents que ses adversaires, avec plus de résolution, mais aussi plus de machiavélisme et de violence.

Toutefois la Gironde, organe d'une population plus nombreuse, devait réunir la grande majorité des députés. Les hommes qui la dirigeaient, tels que Brissot, Pétion, Vergniaux, Rabaut-SaintÉtienne, Guadet et Gensonné, avaient gouverné constamment l'assemblée législative. Un ministère sorti de leurs rangs s'était acquis par ses résistances contre le trône, et par la disgrâce qu'il avait éprouvée, une popularité très étendue. La plupart des fonctions publiques appartenaient à leurs partisans; enfin ce peu qui restait encore de pouvoir et de gouvernement, ils l'exploitaient én maîtres.

Mais si leurs antagonistes n'avaient point encore la puissance du nombre, ils possédaient au dehors une autorité qui balançait au moins celle de leurs

Ce nom fut donné aux députés qui occupaient la partie la plus élevée de la salle.

adversaires. Le club des Jacobins, soumis à Robespierre, leur appartenait; Danton et Marat leur assuraient la coopération de celui des Cordeliers. La Commune de Paris leur était également dévouée. Chefs depuis trois années des sociétés populaires, connus des meneurs des faubourgs et même de la multitude qui les avait trouvés dans toutes ses émeutes, dont ils avaient partagé à la fois les passions et les dangers, ils étaient chéris du peuple auquel plaisait leur audace, et qui sympathisait avec eux. C'est ainsi qu'ils retrouvaient au dehors la puissance qui leur échappait dans l'intérieur de la Convention. Et si l'on réfléchit que leurs appuis étaient près d'eux, environnaient la salle de leurs délibérations, tandis que les soutiens du parti girondin se trouvaient dispersés dans l'éloignement, on concevra à la fois toute la force de la minorité soutenue d'une masse immense de citoyens, et la faiblesse réelle de la majorité. isolée de ses mandataires, dans lesquels elle ne pouvait trouver à l'instant des défenseurs.

Le système de chacun de ces partis était conforme aux passions différentes qui les avait créés.

Les Girondins, qui avaient contribué de tous leurs efforts à détruire les anciennes formes monarchiques, étaient arrivés après le 10 août au même point où se trouvèrent les Lameth et Barnave, après le retour de Varennes. Ils pensaient dès lors qu'on avait fassez détruit, et qu'il était

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temps de reconstruire. Ils pensaient que ce n'était plus la liberté, mais le pouvoir qui manquait de garanties. A leurs yeux, le plus pressant besoin de la France était le prompt rétablissement d'un régime légal, d'institutions libres et protectrices de tous. Ils étaient persuadés que la révolution pouvait se sauver par sa propre force, sans lois d'exception, sans actes arbitraires; système qui témoigne de l'honnêteté de ce parti, et que l'on doit estimer, même en le combattant.

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Les hommes de la Montagne, au contraire doués de plus d'audace et de résolution, considéraient toute tentative de ramener les esprits au calme des gouvernements réguliers, à la fois comme impossible et comme funeste. Ils pensaient que, dans la situation périlleuse où la patrie était précipitée, les moyens ordinaires ne pouvaient suffire; que loin de s'opposer au bouillonnement des esprits, il fallait l'entretenir et l'accroître. D'un côté l'enthousiasme, la fureur même des partisans de la révolution, et de l'autre le silence et l'asservissement complet de ses ennemis, pouvaient seuls garantir la victoire. Les Montagnards exposaient que tout était inouï, sans exemple dans la situation du pays, et que les voies de salut devaient être également extraordinaires. Selon eux enfin, la France, menacée par les puissances étrangères, était comme une ville en état de siége. Il fallait suspendre toutes les lois, la justice elle

même, jusqu'au jour du triomphe. On ne pouvait donner trop d'énergie à la révolution; trop de développement aux mesures extrêmes.

Une cause immense de divisions mit bientôt en lutte ces deux systèmes si différents: le jugement des auteurs des crimes de septembre.

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Quelques jours après la catastrophe du 10 août, des forfaits détestables avaient été commis dans les prisons de Paris. Un petit nombre d'assassins dirigés par des mains inconnues, avait massacré des prêtres, des nobles, des suspects de toute condition, et jusqu'à des femmes. Ces horribles boucheries s'étaient prolongées pendant plusieurs jours, sans qu'aucune autorité pût parvenir à les faire cesser. Mais ce qui devait particulièrement révolter les cœurs généreux, c'était la conduite de la Commune de Paris, qui, après avoir, dans une circulaire, applaudi aux forfaits, en avait ensuite payé les exécuteurs. C'était là l'énorme attentat dont les Girondins demandaient vengeance.

Ils voulaient que les instigateurs du crime fussent recherchés et punis. Mais, et nous l'avons dit plus haut, ces instigateurs siégeaient pour la plupart à la crête de la Montagne. Danton que la voix publique accusait, Billaud-Varenne qui, membre de la Commune, avait encouragé du geste et de la voix les meurtriers; Marat, Tallien, n'eurent pas de peine à persuader à leurs collègues de résister avec force à l'admission de tout principe d'eu

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