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médecine, des sciences et des lettres, autant que la profession serait jointe au grade, et en portant à cinq les trois ans de domicile exigés par le projet. La commission repoussait l'admission des membres des conseils généraux, des maires et adjoints, fonctionnaires électifs: mais elle proposait celle de la magistrature, en exceptant les officiers amovibles du ministère public celle des professeurs des facultés de droit, de médecine, des sciences et des lettres, des notaires, des avoués licenciés ou non licenciés.

En résumé, la commission appelait au droit d'élection tout citoyen payant 240 fr. de contributions directes. Partout où les électeurs de cette classe ne seraient pas dans la proportion d'un pour deux cents habitants, elle appelait les moins imposés jusqu'à ce que la proportion fût atteinte, ce qui devait donner cent soixante deux mille électeurs ; mais comme dans beaucoup de départements le nombre des électeurs payant 240 fr. excèderait la proportion indiquée, cette différence ajouterait vingt neuf mille électeurs. La propriété et l'industrie seraient donc représentées par cent quatre-vingt-onze mille électeurs. L'admission des professions libérales complèterait les colléges, sans augmenter le chiffre des électeurs de plus de quatorze mille leur nombre total n'excèderait donc pas deux cent cinq mille.

. Vous voyez par-là, Messieurs, disait le rapporteur, en quoi le projet adopté en dernier lieu par la commission diffère de celui auquel elle avait d'abord donné la préférence.

« Cette différence n'est pas dans le nombre apparent des électeurs, car l'un et l'autre systèmes le font égal à quelques milliers près. En effet, dans le premier, et dans la supposition où les deux cent deux mille cotes de 200 francs formeraient réellement deux cent deux mille électeurs, les adjonctions dont le tiers, lorsque le cens était à 300 francs, faisait déjà partie des colléges, y entreraient dans la proportion d'un autre tiers, s'il était abaissé à deux cents francs, et leur nombre, se trouvant ainsi réduit à environ dix mille, ne porterait guère qu'à deux cent douze mille celui de la totalité des électeurs.

La différence essentielle consiste en ce que, dans le premier système, on craint de ne pouvoir évaluer ce nombre avec précision; car, comme je l'ai déjà fait remarquer, le ministre de l'intérieur ne paraît pas lui-même bien sûr de l'exactitude des tableaux qu'il produit; tandis que, dans le second, les bases sont plus faciles à apprécier. On sait positivement ce

qu'un électeur par deux cents habitants produit; on croit connaître aussi, du moins très approximativement, l'excédant que les électeurs formeront dans tous les lieux où ils dépasseront la proportion d'un sur deux cents.

Une seconde différence, c'est que, par l'abaissement du cens à 200 fr., le nombre des électeurs aurait augmenté dans une proportion plus grande, dans les départements riches et les grandes villes, que dans les départements pauvres; il eût, de cette manière, suivi la progression de la richesse, sans toutefois préjudicier beaucoup a la population, puisque chaque collége n'aurait jamais pu être moindre de cent cinquante électeurs, tandis que, en combinant le cens de 240 francs avec le nombre d'habitants dont chaque arrondissement électoral sera formé, on répartira peut-être plus également les électeurs sur toute la surface du pays.

Une autre différence, qui a paru déterminante à la majorité de votre commission, consiste en ce que l'augmentation des charges publiques, si elle a lieu, produirait un bien plus grand nombre d'électeurs dans le système du cens à 240 francs que dans le premier; car dans les départements pauvres, où on sera obligé de descendre beaucoup au-dessous pour obtenir un nombre d'électeurs proportionné à la population, il est peu probable que l'augmentation des contributions y soit jamais assez forte pour élever à 240 francs le cens des moins imposés. Ainsi, pour ces départements au moins, le nombre des électeurs ne sera pas susceptible de s'accroître, et, quant aux départements plus riches, s'il augmente, ce ne pourra jamais être que dans une proportion très modérée.

Tandis que les partisans de l'abaissement du cens à 200 francs, loin de trouver un inconvénient à voir augmenter le nombre des électeurs en proportion des charges publiques, y trouvaient au contraire l'avantage de donner, dans les moments difficiles, de plus forts appuis au gouvernement, puisqu'on appellerait dans ces cas un plus grand nombre de citoyens à sanctionner les sacrifices demandés au pays.

Dans un système, enfin, Paris aurait trente-six mille électeurs, il en aurait dix-neuf mille dans l'autre. »

Le principe des délégations était resté tel que l'avait posé le gouvernement celui de l'immutabilité des listes, une fois arrêtées, avait reçu une sanction de plus.

La question de l'éligibilité venait ensuite: la commission n'avait été d'accord que sur la nécessité d'un cens quelconque, et sur celle d'un abaissement du cens primitif: deux opinions s'étaient formées sur la fixation du cens nouveau.

L'une d'elles, exposait le rapporteur, a cru trouver de graves inconvénients dans un abaissement qui serait excessif. Elle n'a pu se résoudre à descendre au-dessous, d'abord de 800 francs, et, en dernier lieu, de 750 francs. Elle s'est fondée sur des raisons qui méritent toute l'attention de la Chambre.

Le caractère de la dernière révolution est, selon elle, le triomphe de la démocratie; la Chambre a gagné tout ce que les autres pouvoirs ont perdu: de son organisation vont donc dépendre la nature et le sort du gouvernement. Si elle ne renferme pas certains éléments d'aristocratie, si elle

n'appelle pas dans son sein des hommes qui aient intérêt à s'opposer à l'envahissement trop subit des idées démocratiques, on ne peut pius répondre de l'avenir.

Il est d'ailleurs utile de n'appeler que des hommes auxquels leur position de fortune a donné assez de loisir et d'indépendance pour leur permettre de diriger leurs études et leurs réflexions vers les affaires publiques; cette classe, qui existe abondamment en Angleterre, manque en France: ce n'est que parmi eile, cependant, qu'on peut espérer de trouver des idées gouvernementales et la véritable aptitude à s'occuper des intérêts généraux. Descendre le cens de l'éligibilité à 500 francs, c'est faire un appel à l'ambition de ceux qui, ayant à peine un revenu de 4 à 5,000 francs, ont été livrés toute leur vie au soin d'agrandir leur fortune ou de la conserver, et dont l'esprit a reçu de cette occupation, légitime à la vérité, mais étroite, une sorte d'empêchement à généraliser ses vues et à les approprier aux nécessités du gouvernement.

En appelant ceux qui se trouvent dans une meilleure position, on se dispense d'ailleurs de donner une indemnité aux députés : nouvelle question que nous examinerons bientôt.

La nécessité de circonscrire les choix dans cette classe est même plus grande que par le passé, car les changements qu'a subis la Charte française sont de nature à exiger, dans la Chambre élective, le concours de plus de lumières : le droit d'initiative qui lui est accordé fait un devoir à chacun de ses membres d'être plus instruit des intérêts généraux de la société; ce droit, si utile quand il est judicieusement exercé, mais qui, confié à une Chambre malveillante ou peu éclairée, pourrait devenir si pernicieux au pays, a besoin d'un plus grand discernement et d'une connaissance plus étendue des lois, des institutions de l'État et des príncipes de l'administration. Ces motifs font donc sentir aujourd'hui, plus encore que sous l'empire de la Charte de 1814, la nécessité d'une représentation nationale forte et surtout éclairée. La majorité de votre commission, que ces considérations ont touchée, a cru que la fixation du cens de l'éligibilité à 750 francs satisferait suffisamment à ce que l'on doit accorder aux nécessités du moment, sans trop affaiblir les conditions qui lui paraissent indispensables pour garantir de bons choix.

La minorité, Messieurs, qui, avec le gouvernement, aurait voula l'abaissement de ce cens à 500 fr., a cru de son côté qu'il fallait proportionner cette garantie à l'état de la société en France, c'est-à-dire à la difficulté où l'on est de la rencontrer abondamment répandue. N'oublions pas que lorsque le cens de 1,000 francs était exigé, il ne se trouvait en France que seize mille éligibles: si l'on veut distraire de ce nombre les infirmes, les hommes peu capables, ceux dont la fortune est insuffisante ou embarrassée, ceux auxquels la nature de leurs affaires ou des soins de famille ne permettent pas de s'éloigner de leur domicile pendant la moitié de l'année; ceux, enfin, qui, par une multitude de causes aussi difficiles à saisir qu'à indiquer, ne peuvent jamais devenir, sous le point de vue politique, les objets de la confiance de leurs concitoyens, on trouvera que c'est beaucoup s'il se trouve un dixième des éligibles qui puissent réellement être élus : sous l'ancienne Charte, les choix de toute la France étaient donc tenus de se circonscrire entre quinze ou seize cents personnes. Il faut ajouter encore que, si les éligibles se trouvaient en plus grand nombre dans les grandes villes, les trois quarts des départements n'en comptaient pas cent; de sorte que, le plus souvent, le choix des

électeurs pouvait à peine se porter sur huit ou dix citoyens, et si leur députation se composait de trois ou quatre députés, la loi ne leur offrait réellement, pour chacun d'eux, qu'une candidature de deux ou trois personnes; on sent tout ce qu'un tel système avait de vicieux.

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En réduisant le cens à 750 francs, le nombre des éligibles serait augmenté de cinq à six mille, ce qui ne pourrait être suffisant ; tandis qu'en l'abaissant à 500 fr., il serait porté à quarante-deux mille, c'est-à-dire au cinquième environ du nombre des électeurs, proportion semblable à celle qui existait précédemment. Mais en faisant sur ce nombre la déduction des neuf dixièmes incapables ou impropres aux fonctions de député, les choix des électeurs seraient réellement limités à quatre mille deux cents éligibles, ce qui n'offrirait guère que neuf ou dix candidats à chaquechoix.

La minorité de la commission a puisé dans ces calculs, susceptibles à la vérité de contradiction, de puissants motifs pour croire qu'il convenait d'abaisser à 500 francs le cens de l'éligibilité.

«Après cela, elle n'a point été touchée des considérations qui, aux yeux de la majorité, ont paru établir une si grande différence entre le chiffre de 500 francs et celui de 750 fr; car la fortune que représente le dernier chiffre ne peut guère plus que celle représentée par le premier, offrir les conditions de grande aisance et de loisir qu'on paraît désirer. La France, où la division des propriétés est si grande, ne peut espérer de rencontrer ces conditions aussi abondamment qu'en Angleterre, où la propriété se trouve réunie dans un très petit nombre de mains, ce qui constitue dans la société un véritable état de souffrance que nous ne pouvons envier; et si l'on voulait à cet égard une garantie absolue, ce n'est pas à 750 ni à 1,000 francs qu'il faudrait élever le cens de l'éligibilité, il faudrait le porter au moins à 2,500 francs, fixation qui, selon les localités, pourrait représenter 20 à 25,000 francs de rente; mais cette classe de propriétaires est si restreinte que les choix ne pourraient réellement pas s'exercer. Il faut donc renoncer à exiger un signe de fortune exagéré et qui ne serait pas en rapport avec l'état de la société en France. Le cens de 500 fr. suppose, dans la plupart de nos départements, une certaine aisance; il suppose toujours un intérêt proportionné au vote de l'impôt.

Il ne faut pas croire d'ailleurs que, parce que le cens de l'éligibilité serait réduit à 500 francs, les électeurs ne nommeraient leur député que. parmi les imposés de cette classe. Malgi é nos habitudes démocratiques la France ne cesse pas de se distinguer par une déférence marquée pour les supériorités sociales; partout où elle ne trouve pas les supériorités en hostilité ou simplement en opposition avec les intérêts généraux, elle leur donne la préférence; c'est le signe caractéristique de notre nation; il offre la meilleure preuve de son bon sens et de ses lumières. Ainsi, lorsque la Charte de 1814 fixait le cens de l'éligibilité à 1,000 fr., les électeurs ne s'étudiaient pas à choisir leurs députés dans les seuls imposés à cette somme sur deux cent soixante-treize députés qui, nommés en juin et juillet dernier, sont restés dans la Chambre, et qui représentent les départements dans lesquels le cens de 1,000 francs était nécessaire, vingt-neuf seulement ont été pris dans les classes des imposés de 1,000 à 1,too fr.; il est même remarquable que la classe qui a fourni le plus de députés est celle qui paie de 2,000 a 2,500 francs d'impôts; elle en a fourni trente-sept.

On pourrait croire que les événements de juillet ayant donné plus d'impulsion au mouvement démocratique, les élections faites depuis lors

auraient principalement porté sur les imposés les plus rapprochés du cens de 1,000 fr. Eh bien! Messieurs, sur cent trente-huit élections, vingtneuf seulement ont eu lieu parmi les imposés de 1,000 à 1,100 fr., et la moitié du nombre total s'est faite parmi ceux qui paient au-delà de 1,500 fr. Je ne parle pas des dix départements où l'insuffisance des éligibles à 1,000 fr. oblige de descendre même jusqu'à 300 fr. Ces départements donnent lieu aux mêmes observations.

Ainsi, parce que le cens de l'éligibilité descendrait à 500 francs, il ne faudrait pas craindre que tous les députés fussent pris parmi cette classe d'imposés: seulement les choix des électeurs seraient moins gênés; cette fixation de cens, une fois admise, n'introduirait pas dans la Chambre élective un principe démocratique tellement prononcé qu'il changeât la nature de notre gouvernement. L'effet de cette modification, comme celui du système électoral proposé, serait au contraire d'attacher le gouvernement au pays par des liens plus étroits.

« Ces considérations, qui motivaient l'opinion de la minorité de votre commission, n'ont pas prévalu, et le cens de 750 fr., auquel la majorité s'est arrêtée, est la condition qu'elle vous propose d'attribuer à l'éligibilité..

A la question du cens d'éligibilité se liait celle du traitement des députés, et sur ce point la commission était unanime; elle proposait de maintenir le projet du gouvernement. Elle le modifiait, en restreignant le cercle des incompatibilités absolues, réduites par elles à deux cas, 1o celui où l'élu serait personnellement intéressé à l'augmentation de l'impôt, 2o celui où les fonctions obligeraient à une résidence tellement sévère qu'on ne pût se soustraire à sa nécessité sans mettre en souffrance les intérêts qu'on serait chargé de surveiller ou de défendre. Telles étaient, suivant la commission, les fonctions dé préfet et de sous-préfet. Quant aux circonscriptions électorales, la commission n'avait pu résoudre plusieurs des difficultés qu'elles présentaient, sans adopter quelques règles générales. Ainsi, par exemple, elle avait admis en principe que chaque arrondissement administratif aurait un député, sauf les Hautes et Basses-Alpes et la Corse, dont les arrondissements peu riches offrent une si faible population qu'on ne pourrait y trouver des électeurs en nombre suffisant sans baisser excessivement le cens. S'appuyant sur cette base, la commission ne souffrait aucun fractionnement d'arrondissement administratif partout où le nombre des députés serait égal au nombre des arrondissements.

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