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eses membres juges plus compétents de ses conditions organiques.»

Dans le nouveau débat qui s'établit, quelques membres de l'opposition, et M. Mauguin entre autres, s'emparèrent du chiffre fixé par la Chambre des pairs, comme favorable à l'extension du nombre des électeurs. Le ministère rappela les paroles de M. Mauguin, qui avait dit que la France, avec un cens électoral fixé à 200 fr., serait le pays le plus libre du monde. Sans désavouer ses paroles, M. Mauguin soutint que plus on exigeait de sacrifices d'un pays, plus on lui devait en échange de droits politiques: il cita l'exemple de l'Angleterre, qui venait d'adopter, pour constituer le cens électoral, non pas un impôt, mais un revenu foncier de 250 fr. Néanmoins, après trois jours de discussion, la Chambre des députés en revint à son vote primitif, quant à la base du cens électoral (12 avril), et la Chambre des pairs adopta la loi telle qu'elle lui fut rapportée, pour ne pas en retarder l'exécution et prolonger des travaux qui touchaient à leur terme (15 avril).

Cette même Chambre, constituée en cour de justice, avait, dans sa séance du 11 avril, jugé par contumace les sieurs d'llaussez, Capelle et de Montbel, ex-ministres de Charles X, signataires des ordonnances du 25 juillet 1830, et les avait condamnés, comme coupables du crime de trahison, à la prison perpétuelle, interdiction légale, et déchéance de leurs titres et ordres.

Enfin les deux Chambres adoptèrent (2 et 5 avril) une loi ayaut pour objet de rectifier une erreur de copiste qui s'était glissée dans la loi du 14 décembre dernier, relative aux cautionnements des journaux, et qui consistait dans la substitution du mot régulièrement au mot irrégulièrement.

Le moment tant attendu, tant hâté par le vœu des organes de l'opinion publique, par celui des députés même, était arrivé, où la Chambre élective pouvait être congédiée, et bientôt dissoute. De cette Chambre, qui siégeait depuis neuf mois, qui avait pris à la révolution une part si grande, et qu'on accusait

chaque jour de ne pas la comprendre, de résister à ses conséquences, étaient sorties récemment, à travers une foule de lois de circonstance, deux lois organiques, deux institutions, l'une municipale, l'autre électorale: cette Chambre n'avait refusé au nouveau ministère aucun des actes de confiance qu'il lui avait demandés; elle lui avait tout accordé, contributions extraordinaires, erédits éventuels par une condition bizarre, suivant la remarque d'un de ses membres (M. Berryer), elle avait livré au ministère près de 1300 millions par provisoire, et n'avait pas fait un budget. Rien n'entravait donc plus l'exercice de la prérogative royale; rien ne s'opposait à ce qu'un appel au jugement du pays ne fût tenté dans des élections gé

nérales.

Le ministère jugea convenable d'environner d'un appareil inusité les derniers instants d'une session si longue, si laborieuse, et de solenniser en quelque sorte les adieux du roi à uné Chambre qui lui avait donné le trône. (20 avril.) Le roi vint en personne, dans l'enceinte de la Chambre des députés, cloré la session: toute sa famille, tout le corps diplomatique, tous les membres du ministère assistaient à la séance. S. M. prononça un discours dans lequel les travaux des deux Chambres, leurs efforts, leurs dangers, étaient rappelés, appréciés; la garde nationale y recevait aussi son tribut d'hommages. S. M. exprimait la confiance que la session prochaine compléterait l'œuvre de celle qui venait de finir. D'ailleurs, quant aux relations diplomatiques et aux dispositions des puissances de l'Europe à l'égard de la France, le discours ne contenait rien de plus que les expressions vagues qui semblent le protocole invariable de toutes les allocutions royales (voy. l'Appendice).

Après le discours, M. Casimir Périer, quittant sa place et se rapprochant de l'estrade du trône, donna lecture de l'ordon nance qui prorogeait les Chambres au 15 juin.

: Le terme de cette prorogation indiquait assez qu'avant son échéance la dissolution de la Chambre élective serait prononcée.

CHAPITRE VI.

Emprunt de 120 millions. — Souscription nationale.

- Troubles à Paris

sur la place du Châtelet et le Marché aux Fleurs→ Ordonnancé royale pour le rétablissement de la statue de Napoléon. Fête du roi. Affaire des décorés de juillet. — Troubles à Paris sur la place Vendôme. - Troubles dans les départements. Ordonnance royale qui nomme

un commissaire extraordinaire dans l'Ouest. → Voyage du roi dans les départements du Nord. Ordonnance royale qui dissout la Chambre des députés, convoque les colléges électoraux, et fixe l'époque de l'ouverture des Chambres. Circulaire relative aux élections. - Question du mandat. -Voyage du roi dans les départements de l'Est.

Discours du conseil municipal et adresse de la garde nationale de Metz. —Troubles à Paris, dans le faubourg Saint-Denis et sur les boulevards. Ordonnance royale qui change l'époque de l'ouverture des Chambres.- Élec tions. Troubles à Paris pour l'anniversaire de la prise de la Bastille et la plantation d'arbres de la liberté.

Pour ne pas interrompre le compte rendu des travaux légis latifs, depuis l'avénement de M. Casimir Périer à la présidence du conseil jusqu'à la prorogation des Chambres, nous avons remis à traiter dans ce chapitre quelques faits d'une date antérieure à celle de la prorogation : tels sont, entre autres, l'emprunt de 120 millions, et le projet de souscription nationale.

Une ordonnance royale du 27 mars avait autorisé le ministre des finances à ouvrir un emprunt de cette somme, moyennant la vente de rentes cinq pour cent portant jouissance du 22 mars. L'idée d'une association destinée à réaliser cet emprunt le plus promptement et le plus avantageusement possible, c'est-à-dire au cours le plus élevé, fut conçue par M. Henri Rodrigues, qui en exposait le plan dans une lettre du 4 avril, publiée dans les journaux. Ce plan consistait à réunir, soit à Paris, soit dans les départements, trente mille individus au plus, qui verseraient chacun immédiatement, ou par dixièmes, aux termes fixés par le gouvernement, dans les mains d'une des premières maisons

de banque, ou à la caisse des dépôts et consignations, une somme de 4,000 fr., pour prendre au pair de 100 fr., dans l'emprunt, une inscription de 200 fr. de rente cinq pour cent.

La souscription s'ouvrait dès ce moment chez divers banquiers. L'auteur du plan donnait l'exemple, en s'inscrivant sur la liste pour 200 fr. de rente, au capital de 4,000 fr. Il était bien entendu que les souscriptions ne seraient obligations que si la totalité de l'emprunt se remplissait.

L'idée de cette souscription fut vivement accueillie. Le ministère s'en empara comme d'un moyen d'agir sur l'esprit public, de déconsidérer l'association nationale, dont les progrès l'irritaient toujours. En deux jours la souscription s'organisa : les signatures se multiplièrent; celle du maréchal Jourdan figurait en tête. Le Moniteur et les autres journaux ministériels en publièrent une liste chaque matin : des noms de pairs de France, de députés, de magistrats, s'y mêlaient à ceux de fonctionnaires, de négociants, de propriétaires. Bientôt la souscription s'étendit en province, et les listes départementales vinrent se grouper autour des listes de Paris.

Cependant, malgré les encouragements prodigyés à cet élan de patriotisme, dans l'état des esprits et des fortunes, après une secousse terrible, dont l'ébranlement se faisait sentir encore en présence d'un avenir incertain, il semblait peu probable que la souscription atteignit son but. Le ministre des finances, que pressaient d'impérieuses nécessités, se vit donc forcé de recourir aux voies et moyens ordinaires. L'adjudication de l'emprunt fut indiquée au 19 avril : il ne se présenta qu'une seule compagnie, formée de toutes les notabilités financières de la capitale. Cette compagnie offrit 82 fr. 10 cent., et le minimum, fixé par le ministre, étant de 84 fr., l'emprunt ne fut pas adjugé mais le jour même, la compagnie déclara qu'elle acceptait l'emprunt au taux du minimum, et une ordonnance royale autorisa cette négociation. Deux journaux l'attaquèrent, et soutinrent que le ministre avait compromis sa responsabilité en signant une négociation qu'ils qualifiaient d'illégale, de sub

versive de tous les principes, de toutes les garanties financières, et de contraire aux intérêts de l'État : le Moniteur défendit l'emprunt, en alléguant qu'il avait été contracté suivant les formes usitées depuis 1821, avec publicité et concurrence.

«Quant aux conditions de la négociation, ajoutait le Moni«teur, elles se justifient par elles-mêmes. Hier tout le monde approuvait le ministre d'avoir fixé son minimum à 84 fr.; il y aurait contradiction à le blâmer aujourd'hui d'avoir accepté cune offre égale à ce minimum, c'est-à-dire d'avoir réussi. «Sans doute il ne faut pas mesurer la valeur de nos rentes sur le cours il y a quinze jours; mais si la compagnie et le ministre avaient pris ce cours pour mesure, à quel taux pense-t-on «que l'emprunt aurait été négocié? Le 2 avril, le cinq pour cent evalait à la Bourse 75 fr.»

L'emprunt une fois réalisé, la souscription devait sembler superflue : un avis émané du ministère combattit cette opinion.

La souscription nationale continua donc concurremment avec l'emprunt; mais on conçoit que son essor dut être sensiblement ralenti. Au mois de juin, le Moniteur en publia le bordereau total. D'après les relevés faits au ministère des finances, les souscriptions s'élevaient à 20,540,000 francs.

Un mois environ s'était écoulé sans que la tranquillité de la capitale fût troublée par des désordres et des excès graves. Mais vers l'époque où l'emprunt de 120 millions devait être négocié, à l'occasion d'un procès de complot tendant au renversement du gouvernement, dans lequel le jury avait absous tous les accusés, des symptômes d'émeute se manifestèrent ( 15 avril ). Dans le cours de la journée, des démonstrations furent essayées en faveur des individus acquittés. Plus tard, des rássemblements se formèrent sur divers points. Les invitations des magistrats municipaux suffirent pour déblayer, sans qu'on fût obligé de recourir à la force, la place du Châtelet, le Pont-auChange et le quai aux Fleurs; quelques arrestations eurent lieu. Un groupe de jeunes gens se retira du côté du Panthéon, signalant son passage par quelques clameurs et brisant des réverbères.

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