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bord tous les partis s'en montrèrent satisfaits, et l'on ne doit pas s'en étonner. Les dispositions de la Chambre, qui ne furent jamais bien fixes, bien tranchées, se prêtaient, surtout au moment de sa nomination, à toutes les interprétations, à toutes les espérances. Beaucoup de députés nouveaux étaient réclamés par des opinions de nuances diverses, qui les regardaient à la fois comme leur conquête. En définitive, la monarchie nouvelle n'eut pas à se plaindre de son appel au pays. A Paris, sur douze députés, huit candidats du pouvoir avaient été nommés; sans être aussi forte dans les départements, la proportion était honorable. Le ministère pouvait donc aussi, jusqu'à un certain point, s'applaudir du résultat de l'appel, et se présenter devant les Chambres avec confiance.

Entre l'époque des élections et l'ouverture de la session se trouvait l'anniversaire de la prise de la Bastille (14 juillet). Cette journée avait été désignée d'avance par les agitateurs comme favorable à une tentative politique. Deux jours auparavant, le programme d'une cérémonie dans laquelle devait avoir lieu la plantation d'un ou de plusieurs arbres de la liberté, avait été arrêté au sein d'une assemblée tumultueuse. La veille, deux proclamations du préfet de police et du préfet de la Seine avertirent les citoyens que l'autorité veillait sur les mauvais desseins de quelques hommes, et qu'elle se tenait prête à les déjouer. En effet, des mesures concertées avec le commandant en chef de la garde nationale avaient été prises sur tous les points; partout les postes étaient doublés.

Le matin même du 14 juillet, quelques individus étant allés chercher l'arbre destiné par eux à être planté solennellement, la police les fit saisir dans le trajet. Vers onze heures, cent cinquante jeunes gens, environ, ayant des cocardes tricolores au chapeau et des œillets rouges à la boutonnière, arrivèrent sur le Pont-au-Change, où des sergens de ville, qui s'étaient avancés à leur rencontre, firent quelques arrestations. A midi, une troupe de jeunes gens débouchant par la rue

Dauphine, prit aussi la direction de la place du Châtelet. Un homme, portant l'uniforme de la garde nationale, et deux autres portant celui d'artilleurs, paraissaient les diriger : ils furent arrêtés sur le Pont-Neuf; le reste de la troupe se dispersa Des trois points désignés pour la plantation d'arbres (la place de Grève, la place de la Bastille, la place de la Concorde), les deux premiers étaient occupés, l'un par la seconde légion, qui reconnaissait ses officiers, l'autre par des troupes de réserve, et, d'après les termes mêmes de la relation que donna le Moniteur «par une population indignée, dont les sen«<timents se manifestaient avec énergie.» Quelques hommes qui marchaient vers la place de la Bastille furent forcés de se réfugier dans un café au coin de la rue Saint-Antoine. L'un d'eux, monté sur une table, pérorait et excitait le peuple à la révolte, aux cris de vive la république! Un bataillon du 52° de ligne, venant du boulevard et passant devant ce café, fut accueilli par des cris de vive la ligne! auxquels il répondit par celui de vive la garde nationale! Ce bataillon s'étant rangé sur la place Saint-Antoine, des sergents de ville, secondés par les habitants du quartier, ou, suivant une version qui, répétée dans plusieurs journaux, devint la matière d'un procès (Voy. la Chronique), par des ouvriers embrigadés et soudoyés, enveloppèrent le café, qu'ils firent évacuer, en opérant un grand nombre d'arrestations.

Les agitateurs se portèrent alors sur la place de la Concorde, et entrèrent dans les Champs-Élysées pour y couper un arbre. Huit à neuf cents individus s'étaient réunis sur ce point. Le maire du premier arrondissement, accouru immédiatement avec un bataillon de la première légion, rencontra l'attroupement traînant vers sa destination l'arbre qu'on venait de scier. Il s'élança au devant, sommant ces hommes, au nom de la loi, de se retirer : quelques-uns se jetèrent contre lui et le renversèrent sur l'arbre. A cette vue, les gardes nationaux se mirent en devoir de défendre le magistrat; l'arbre, abandonné, fut lancé dans la Seine. Les individus arrêtés en ce lieu, et dont

la plupart étaient bien mis, portaient des pistolets, des poignards, des cartouches. Deux faux gardes nationaux furent saisis et dégradés sur-le-champ. Un jeune homme, ayant dirigé deux pistolets sur la poitrine du maire, en accompagnant ce geste d'injures et de menaces, tomba percé de plusieurs coups de baïonnette.

Depuis cette scène, qui se passa vers quatre heures, aucun trouble sérieux ne se manifesta. Des placards avaient été arrachés; on recueillit des proclamations jetées de quelques toits. La garde nationale de Paris et la troupe de ligne n'avaient cessé de fraterniser; dans la cour du Conservatoire des arts et métiers, elles répétèrent, d'un commun accord, le serment de fidélité au roi. La garde nationale de la banlieue avait fourni des réserves à toutes les barrières.

Dans plusieurs villes des départements, la plantation d'arbres de la liberté réussit mieux qu'à Paris : il y en eut où la cérémonie se fit en présence des autorités civiles et militaires, où les soldats refusèrent de faire usage de leurs armes pour disperser des groupes qui se pressaient et dansaient autour de l'emblème emprunté à la première révolution française.

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CHAPITRE VII.

Statistique électorale. — Ouverture de la session.

Discours du roi. Première séance de la Chambre des pairs, et déploiement des drapeaux autrichiens.- Commencement des travaux de la Chambre des députés. - Vérification des pouvoirs. - Anniversaire des trois journées. — Nomination du président de la Chambre des députés. Retraite et rentrée du ministère. — Discussion et vote de l'adresse de la Chambre des députés. — Discussion et vote de l'adresse de la Chambre des pairs. - Réponses du roi.

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Deux graves questions préoccupaient les esprits : l'une relative à la physionomie de la nouvelle Chambre élective, premier produit d'une loi postérieure à la révolution de 1830, et l'autre à la situation de la Chambre des pairs, placée, par l'art. 68 de la Charte, sous un régime provisoire. La Chambre élective sanctionnerait-elle le système politique du 13 mars, ou bien renverserait-elle le cabinet? La pairie conserveraitelle son principe héréditaire ? C'est ce que la session qui allait s'ouvrir devait décider.

Déjà nous avons indiqué l'esprit général dans lequel s'étaient faites les élections. Ajoutons que, parmi les députés élus, 222 faisaient partie de la Chambre précédente, 7 des Chambres antérieures, et 195 n'avaient encore appartenu à aucune représentation. 203 députés, membres de la Chambre dissoute, n'avaient pas été réélus. Enfin, il y avait 34 réélections à faire, par suite de nominations doubles, et à Marseille une élection, par les motifs qui seront déduits lors de la vérification des pouvoirs.

Une réunion préparatoire se tint le 22 juillet, pour le tirage au sort de la grande députation qui devait aller au-devant du roi : jamais les membres présents n'avaient été aussi nombreux: 300 au moins assistaient à cette séance. L'empressement des députés répondait à l'impatience du pays.

23 juillet. Depuis la révolution, l'enceinte de la Chambre

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des députés était le local consacré aux séances royales. Les dispositions de la salle, pour la séance d'ouverture, furent les mêmes que pour celle de clôture, qui avait eu lieu au mois d'avril dernier. Le trône s'élevait sur l'emplacement ordinairement occupé par le bureau du président et par la tribune. Du reste, le cérémonial n'offrit d'autre incident à noter, que l'arrivée de la reine, qui jusqu'alors entrait sans apparat, accompagnée de ses filles, et qui fut cette fois annoncée solennellement. Dans le corps diplomatique, on remarquait et on interprétait diversement l'absence de M. Pozzo di Borgo, ambassadeur de Russie. Le roi parut et se plaça sur le trône, au milieu de vives acclamations; ensuite, il dit aux pairs et aux députés : «Messieurs, asseyez-vous. »

Les questions d'ordre intérieur formaient la première partie du discours de la couronne.

Après avoir témoigné sa satisfaction de se retrouver dans l'enceinte où il avait prononcé ses serments, et avoir exprimé sa volonté de toujours s'appuyer sur le vœu national, manifesté par les organes constitutionnels, le roi rappelait cette parole mémorable, «la Charte sera désormais une vérité», et déclarait qu'elle avait été accomplie. En même temps, pour assurer dans l'avenir l'exécution de cette Charte, «qui est la monarchie <«constitutionnelle avec toutes ses conditions loyalement main<«tenues, avec toutes ses conséquences franchement acceptées », S. M. attendait des Chambres la coopération franche et entière qui devait donner la force à son gouvernement.

Sa majesté annonçait ensuite qu'elle avait pris en considération les vœux recueillis pendant son voyage, et que, pour les accomplir, comme aussi pour satisfaire aux promesses de la Charte, et pour consolider de plus en plus la monarchie constitutionnelle, elle avait fait exécuter divers travaux préparatoires dans la législation. Des projets de loi, nominativement spécifiés, devaient, en conséquence, être soumis aux Chambres, projets destinés à compléter l'organisation municipale et départementale, projets sur la responsabilité des agents du pouvoir,

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