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les dispositions de la loi n'avaient pas été violées : l'élection fut donc maintenue, après que le président du conseil eut justifié le pouvoir de toute participation à cette mesure de l'administration locale.

A Marseille, des faits d'une gravité extrême s'étaient passés : une force brutale avait empêché le premier arrondissement électoral de terminer ses opérations, en envahissant le collége au moment où l'on procédait au dépouillement du scrutin. Cette violence populaire s'était exercée dans le sens opposé au parti légitimiste, qui avait concentré toute son activité, toutes ses ressources sur le premier arrondissement, où l'élection de son candidat, M. Berryer, paraissait certaine. Le clergé avait remué les consciences et quêté des votes aux portes même du collége électoral. Le bruit s'était propagé parmi les classes ignorantes que la nomination de M. Berryer serait le signal d'une contre-révolution et du retour de Charles X. Des pamphlets anonymes avaient fortifié ces rumeurs, en prodiguant l'outrage à la révolution de juillet et en menaçant le peuple d'une réaction terrible. Enfin on répandit une lettre dans laquelle le candidat absolutiste s'excusait de ne pouvoir solliciter les suffrages en personne, forcé qu'il était d'aller régler les affaires de Charles X à Holy-Rood. Ce fut une étincelle jetée sur la poudre: le peuple indigné envahit l'enceinte du collége, se précipita sur le bureau, brisa l'urne et déchira les bulletins. Il n'y eût donc pas d'élection dans le premier arrondissement, et, par suite, cent et un électeurs du troisième demandèrent l'annulation des opérations de ce dernier collége, comme viciées par le défaut de protection et les troubles croissants qui avaient été pour eux une cause légitime de s'abstenir. Nonobstant cette demande, et après une discussion approfondie, l'élection du troisième collége fut déclarée valable, et l'admission de M. Félix Beaujour prononcée à une très grande majorité.

La chambre avait tellement hâte d'arriver à la nomination de son président, qu'elle poursuivit ses travaux pendant la

journée du 28 juillet, consacrée aux réjouissances, et qu'elle n'avait voulu les suspendre que pour rendre hommage à la mémoire des victimes. Une trève momentanée entre les partis, une apparence de concorde et d'union, l'absence complète de tout désordre, malgré de sinistres prévisions, et quoique la population fût en quelque sorte livrée à elle-même; l'explosion des sympathies pour la Pologne à la nouvelle, subitement répandue, et bientôt démentie, d'une importante victoire remportée sur les Russes aux bords de la Vistule, tels furent les principaux traits des journées commémoratives de la révolution de 1830 (voy. la Chronique). Cependant, et bien que la nation se fût associée à la célébration des anniversaires, les esprits s'étaient à peine détournés de la question si grave que la Chambre des députés allait résoudre par la nomination de son président. Le cabinet, pour ne pas prolonger l'état d'incertitude dont souffrait le pays, avait résolu d'interroger d'abord nettement les dispositions de la Chambre, sans attendre le résultat de l'adresse. L'élection du président étant la première épreuve que le ministère pût choisir, il avait déclaré que, dans sa pensée bien arrêtée, le vote qui déciderait de la présidence déciderait, en même temps, de l'existence du cabinet. C'était une question de système que le ministère proposait sous la forme d'une question de personnes, et la lutte engagée, en apparence, entre M. Girod (de l'Ain), candidat du gouvernement, et M. Laffitte, que portait l'opposition, devait l'être, en réalité, entre les opinions représentées par ces deux députés.

1er août. Par suite d'annulations d'élection, d'absence de députés et de non-vérification de pouvoirs, la Chambre ne comptait que 355 membres lorsqu'elle procéda au scrutin pour la présidence. Au premier tour, les suffrages furent ainsi partagés: M. Girod ( de l'Ain ) 171; M. Laffitte 168; le général Lafayette 1; M. Bérenger 8; M. Dupont (de l'Eure) 2; M. OdilonBarroti, et M.de Mosbourg 1.Trois bulletins, dont l'un était conçu d'une façon injurieuse pour l'honorable M. Laffitte, furent annulés. Après que la vive agitation d'indignation causée par cette

lacheté anonyme fut calmée, la Chambre passa à un second scrutin, aucun des candidats n'ayant réuni la majorité absolue. Sur 358 suffrages, le nouveau scrutin en donna 181 à M. Girod ( de l'Ain ), 176 à M. Laffitte et à M. Dupont (de l'Eure). M. Girod (de l'Ain ), ayant atteint la majorité absolue plus une voix, fut, en conséquence, proclamé président. Au scrutin qui s'ouvrit immédiatement après pour la vice-présidence, M. Dupont (de l'Eure), candidat de l'opposition, sur 344 voix, en obtint 182 (9 voix de plus que la majorité absolue), et M. Dupin, candidat ministériel, 153 seulement. 179 suffrages s'étaient portés sur M. Bérenger, représentant une opinion intermédiaire. MM. Dupont (de l'Eure) et Bérenger ayant seuls la majorité voulue, furent proclamés vice-présidents ; et la Chambre eut à procéder le lendemain à l'élection des deux vice-présidents qui lui restaient encore à nommer.

Le ministère ne l'ayant ainsi emporté que de 5 voix (trois ministres,MM.Barthe,Périer et Sébastiani avaient cependant déposé leur vote en qualité de députés) dans la lutte pour la présidence, et ayant été battu par une majorité de 10 voix dans le scrutin pour la vice-présidence, dut reconnaître que le concours parlementaire ne lui était pas acquis: il se déclara donc aussitôt dissous, conformément à la loi qu'il s'était préalablement faite. Quatre des ministres, MM. Casimir Périer, Sébastiani, Louis et Montalivet, rapportèrent au roi leurs portefeuilles. Les autres membres du conseil paraissaient disposés à faire partie du nouveau cabinet, dont la prompte organisation était de nécessité urgente dans la situation grave des affaires intérieures et extérieures, et l'imminence de la discussion de l'adresse. Mais des difficultés presque insurmontables s'opposaient à la formation d'un ministère quelconque, et, d'après les dispositions incertaines de la Chambre, il semblait impossible d'arriver à une combinaison telle qu'une majorité forte lui fût assurée.

Les négociations entamées et suivies pendant deux jours ne produisirent aucun résultat, et une solution satisfaisante devenait d'autant plus problématique, que la Chambre, en amendant, en

quelque sorte, ses premières décisions par ses votes subséquents, compliquait de plus en plus la position. Sur 343 votants, M. Dupin avait obtenu 175 suffrages pour la vice-présidence (2 août), et un scrutin de ballotage avait également conféré la vice-présidence à M. Benjamin Delessert, avec un avantage de 55 voix sur son concurrent, M. Eusèbe Salverte. Les nominations des secrétaires et des questeurs (3 août) furent généralement faites dans le même esprit, et la Chambre, avec une défaveur vivement manifestée, repoussa par l'ordre du jour une motion tendant à ce que des mesures fussent prises pour hater la discussion de l'adresse, «qui seule, disait «l'honorable auteur de la proposition (M. Taillandier), pou«vait éclairer le gouvernement sur le système politique que la « majorité de la Chambre avait le désir de voir adopter, puisque «la dissolution ou la simple modification du cabinet rendait la «formation d'un nouveau ministère indispensable. »

Dans ces circonstances, un événement extérieur, l'entrée de l'armée hollandaise en Belgique, vint, en appelant des résolutions promptes et énergiques, décider le ministère à essayer si une nouvelle épreuve tentée sur la Chambre, ne le laisserait pas en possession du pouvoir.

Le 4 août, vers deux heures, le supplément suivant au Moniteur fut publié et affiché à la Bourse.

Le roi de Hollande a dénoncé l'armistice et annoncé la reprise des hostilités contre les Belges pour ce soir à 9 heures et demie (1).

Ce matin, à cinq heures, le roi a reçu une lettre du roi des Belges, qui lui demande le secours d'une armée française.

Le roi ayant reconnu l'indépendance du royaume de Belgique et sa neutralité, de concert avec l'Angleterre, l'Autriche, la Prusse et la Russie, et les circonstances étant pressantes, obtempère à la demande du roi des Belges. Il fera respecter les engagements pris d'un commun accord avec les grandes puissances.

• Le maréchal Gérard commande l'armée du Nord qui marche au secours de la Belgique, dont la neutralité et l'indépendance seront maintenues; et la paix de l'Europe, troublée par le roi de Hollande, sera con

solidée.

« Dans de telles circonstances, le ministère reste; il attendra la réponse des Chambres au discours de la couronne. »

(1) Voyez le chapitre de Belgique à la partie étrangère.

Les premiers actes de la Chambre, après qu'elle eut appris cette décision, firent déjà préjuger que l'événement justifierait la confiance du cabinet. Dans le choix des commissaires de l'adresse, élus le même jour, l'opinion dont les voix pouvaient être comptées comme acquises au gouvernement emporta six nominations, tandis que l'opposition n'en obtint que trois, et le total réuni des votes des neuf bureaux n'attribua aux adversaires déclarés du ministère que 150 voix sur 360.

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L'esprit général du projet d'adresse, rédigé par M. Etienne, fut en quelque sorte en rapport avec la composition de la commission si les trois commissaires appartenant à l'opposition ne réussirent pas à lui donner une couleur hostile au ministère, ils purent du moins tempérer son langage approbateur, et le rendre moins absolu, moins explicite.

9 août. La discussion s'ouvrit en séance publique, contrairement à ce qui avait lieu sous la restauration, par la lecture du projet d'adresse et par un discours du président du conseil. Ce discours, dans lequel M. Casimir Périer exposait succinctement les principes et les actes du cabinet qu'il dirigeait, fournit principalement le texte des débats : les orateurs des deux partis s'en emparèrent et le commentèrent, soit pour l'attaquer, soit pour le défendre. Le chef du ministère formulait en deux mots le système adopté et appliqué par l'administration: la Charte et la paix : la Charte de 1830, dernier mot de la France, dernière conquête dont elle était définitivement satisfaite, tellement qu'elle voulait clore les révolutions auxquelles elle n'avait plus rien à demander, et qu'elle comprenait qu'un pas de plus vers un avenir illimité d'améliorations théoriques l'engageait dans une carrière pleine de périls et sans bornes ; la paix, source plus féconde, et plus sûre que les armes, de prospérité et de gloire pour le pays, besoin impérieux de l'Europe.

L'orateur, dans un tableau tracé à grands traits des opérations administratives, démontrait que le ministère, conséquent avec son système, n'avait gouverné que par la Charte et pour

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