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dans les communes les répartiteurs ne se mêlaient pas du travail de l'assiette de l'impôt, ou du moins s'y livraient avec la plus grande insouciance; que l'on concevait que les contrôleurs, ayant l'habitude des répartitions, fussent plutôt chargés de ce travail que des répartiteurs qui n'ont aucun intérêt à y apporter le même soin. Ces assertions excitèrent le tumulte dans l'assemblée. MM. Gaujal, Viennet, Sapey, adversaires déclarés du projet, les réfutèrent avec force. Le dernier surtout mit dans sa réponse tant de vivacité, que le ministre des finances, prenant généreusement la défense de M. Thiers, se plaignit que l'on fit retomber sur le commissaire du roi les reproches qui pouvaient s'adresser à la loi, et témoigna son regret qu'une question financière dégénéràt en une question personnelle.

Dans la discussion des articles, plusieurs amendements à l'article 1er furent proposés. M. Sapey en présenta un qui, comme le plus large, obtint la priorité : il tendait à faire décider « qu'à la prochaine session des Chambres il serait présenté «une nouvelle répartition du contingent de la contribution «personnelle et mobilière et de celle des portes et fenêtres en<«tre les départements, conformément à la loi de finances du «23 juillet 1820. » C'était la ruine de tout le système du projet de loi. MM. Gaujal, Berryer, Lachèze, Voyer d'Argenson, appuyèrent l'amendement : cependant la Chambre restait incertaine; la majorité, qui repoussait généralement le mode de quotité à l'égard de la contribution mobilière, semblait plus disposée à l'admettre pour l'impôt personnel et pour celui des portes et fenêtres. La commission profita de cette disposition, et, dans la séance du 21 janvier, produisit un amendement concerté entre elle et le ministère. Par un premier paragraphe, l'impôt personnel, séparé de la contribution mobilière devenait impôt de quotité; par un second paragraphe, la contribution mobilière demeurait impôt de répartition, mais e contingent devait en être porté pour l'année 1831 au principal assigne en 1830 aux deux contributions réunies. Néan

la

moins le contingent devait être ramené au principal de 24 millons par un dégrèvement sur les départements les plus chargés. M. Sapey ayant dès lors retiré son amendement, le premier paragraphe et la première partie du second paragraphe de celui de la commission devinrent le sujet d'une discussion nouvelle, à la suite de laquelle, malgré l'opposition de MM. Gaëtan de La Rochefoucauld, de Tracy, Voyer d'Argenson, Prunelle et Charles Dupin, cette partie de l'amendement fut adoptée, et le reste renvoyé à la commission, ainsi que tout le projet de loi, pour coordonner avec l'ensemble la décision qui venait d'être prise.

24 janvier. La commission rapporta le projet de loi distribué dans un nouvel ordre, et la Chambre l'adopta, en votant successivement sur chacun des articles, qui subirent encore des modifications. La loi passa entière à une majorité de 210 voix contre 109 (26 janvier).

Ainsi cette longue discussion se termina par une transaction qui ne satisfit complétement ni les adversaires du projet de loi, ni encore moins ses auteurs; car, en le présentant à la Chambre des pairs (19 février), le ministre des finances manifesta clairement le regret que la Chambre élective eût refusé de consacrer pour la perception de la cont ibution mobilière le même système que pour la contribution person nelle et la contribution des portes et fenêtres. Il n'en conclut pas moins à l'adoption de la loi telle qu'elle venait de sortir de l'autre Chambre. La commission chargée d'en faire l'examen en approuva le principe fondamental, et ne proposa, par l'organe de son rapporteur, M. Roy, que quelques amendements de détail.

12 mars. La Chambre des pairs adopta la loi et les amendements en une seule séance. Ces légères modifications nécessitèrent une nouvelle présentation à la Chambre des députés. Après toutes ces épreuves la loi fut définitivement adoptée le 17 mars

Ce n'est pas sans motif que nous avons insisté sur l'innova tion que cette loi avait pour but d'introduire : plus tard nous

aurons occasion de parler de ses funestes conséquences. En effet, les prédictions des orateurs qui l'avaient combattue ne tardèrent pas à se réaliser : sa mise à exécution excita des clameurs universelles, et l'année ne se passa pas sans que les Chambres ne reconnussent la nécessité de remettre les choses sur l'ancien pied.

La Chambre des députés se livrait encore à l'examen de la loi dont l'analyse précède, lorsque, dans la séance du 24 janvier, M. Mauguin annonça qu'il était dans l'intention de demander, le jeudi suivant, à M. le ministre des affaires étrangères, quelques éclaircissements sur les événements de la Belgique et de la Pologne, et sur la marche générale du ministère. Déjà, le 13 novembre de l'année dernière, le même membre avait usé de cette faculté, non reconnue par le gouvernement de la restauration, mais que celui de la royauté nouvelle avait laissé s'introduire au nombre des usages parlementaires.

27 et 28 janvier. Au jour fixé, une affluence considérable se porta à la Chambre des députés et en remplit l'enceinte : M. le duc d'Orléans et M. le duc de Nemours assistaient à la séance. M. Mauguin ayant demandé la parole, M. Casimir Périer, président, crut devoir saisir l'occasion pour faire sentir à Ja Chambre la nécessité de consacrer ce droit d'interpellation par des dispositions réglementaires, et concilier ainsi le droit du député et le devoir du président. Après avoir répondu en peu de mots à l'observation de M. Casimir Périer, M. Mauguin s'exprima en ces termes :

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Des événements graves se passent autour de nous. Un peuple qui n'a eu qu'un tort, celui de suivre notre exemple, et que son voisinage et d'anciennes relations placent sous notre protection, se trouve le jouet d'une diplomatie qui malheureusement rappelle les antécédents de l'OE! de-boeuf et du cabinet de Versailles. (Mouvement.) La Belgique a été, pendant quelque temps, placée sous la protection du principe de la nonintervention. Quand nous avons voulu demander au ministère ce qu'il entendait par ce principe, il nous a répondu que c'était « l'obligation que s'imposait la France de ne pas s'immiscer dans les affaires d'un Etat étranger, et le droit qu'elle s'attribuait avec justice de ne pas permettre que d'autres puissances y vinssent s'immiscer de leur côté. »

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Cependant, depuis quelque temps nous voyons que ce principe n'a eu pour effet que de faire menacer les Belge d'une intervention armée. Il

'agit pour eux du choix d'un souverain; et ce principe aboutit à leur faire choisir tont le monde, excepté tous ceux qu'ils ont voulu choisir. (Rumeur.) Je ne vous rappellerai pas ces débats où notre diplomatie a peutêtre eu quelques reproches à se faire; chacun a vu avec douleur que la dignité de la couronne de France pouvait être compromise; chacun se rappelle, et a regardé comme une espèce d'outrage, ces démentis donnés par le Moniteur, et rendus à la tribune de Bruxelles.

Je n'insisterai pas plus long-temps sur ce sujet; c'est avec douleur, je le répète, que j'ai vu les faits dont je vous parle. J'ai voulu dans cette seance demander aux ministres, ou du moins au ministre des affaires etrangères, de s'expliquer sur les affaires de la Belgique. Depuis hier, un nouvel incident, une nouvelle pièce est intervenue dans ce grand procès. Nous avons vu, et nous le savions déjà, que la Belgique voulait surtout se réunir à la France; nous avons vu que le ministère déclarait qu'il ne consentirait jamais à cette réunion. Je viens demander au ministère comment il a pu faire une déclaration pareille; comment il a pu croire qu'il avait le droit de refuser un accroissement de territoire, de lui-même, de son propre pouvoir, sans avoir consulté les Chambres? Je viens lui demander de s'expliquer à cet égard. Je lui demanderai également de s'expliquer sur ces desseins cachés, inconnus, que la France et les puissances étrangères ont sur les Belges et sur leur future destinée.

- J'ai conçu pendant quelque temps la réserve diplomatique du ministère; aussi ne l'ai-je pas provoqué. Peut-être, quand il est arrivé au pouvoir, n'étions-nous pas encore prêts; nous étions peut-être alors sous l'empire des fautes du ministère déchu. Mais, grâce à un illustre maréchal, nous pouvons maintenant défendre nos amis et faire face à nos ennemis. Il faut donc que la politique de la France réponde à sa force.

Je finirai par rappeler que la Pologne et la Russie doivent se livrer un combat à mort; le manifeste des Polonais, la déclaration de la Russie, tout indique que la lutte se terminera par les armes. Je demande au ministère de dire ce qu'il pense sur les affaires de la Pologne, de dire s'il abandonne les Polonais, s'il veut les soutenir, s'il y a quelque négociation entamée à ce sujet; si enfin la France peut concevoir quelque espoir pour ce peuple qu'elle a toujours aimé. »

Le ministre des affaires étrangères, M. le général Sébastiani, remplaça M. Mauguin à la tribune. Il commença par établir que le principe de la publicité, général et absolu quant à l'administration intérieure, admettait des restrictions quant aux affaires extérieures. Réfutant le reproche adressé au gouvernement dans la séance du 15 janvier, de n'avoir pas répudié les traités de 1814, il rappela que les ministres n'étaient pas moins étran gers à ces traités que les orateurs de l'opposition. A l'exemple de Napoléon brisant son sceptre en 1814, plutôt que de signer la mutilation de la France, il opposa celui de Napoléon, cédant en 1815 à la nécessité des temps, et offrant à l'Europe de ratifier les traités dictés par les rois coalisés. Répudier les

traités de 1814, consentis, garantis par tous les gouvernements de l'Europe, qu'était-ce autre chose que la guerre avec toute l'Europe? Et comment la France aurait-elle pu l'entreprendre? Pendant un mois et plus, elle était restée sans forces militaires; car, outre l'affaiblissement numérique où l'ancien gouvernement avait laissé tomber l'armée, 36,000 hommes étaient alors en Afrique, une brigade en Morée, et de plus il avait fallu licencier la garde royale, renvoyer dans leur pays 12,000 Suisses; enfin, renouer les liens de la discipline et rétablir l'ordre dans les régiments.

Abordant le point principal de la discussion, le ministre répondait directement aux interpellations relatives à la Pologne et à la Belgique :

Le peuple polonais a des droits à la bienveillance, à l'amitié de la France. Seul entre tous, par une exception unique et dont l'histoire lui tiendra compte, il nous est resté fidèle aux jours de l'adversité. L'anéantissement de cette brave et généreuse nation a été une calamité pour l'Europe; mais enfin ce n'est pas de nos jours que ce grand attentat politique a été commis. Ses auteurs, rois et ministres, ont tous disparu de la scène du monde. Les douleurs de la Pologne retentissent au fond de nos ames; mais que pouvons-nous pour elle? Quatre cents lieues nous séparent de ce peuple infortuné. Quand même l'intérêt de la France, premier devoir du gouvernement, lui permettrait de risquer en sa faveur tous les hasards de la guerre, et de violer le principe de non-intervention proclamé par elle, comment arriver jusqu'à lui? Pacifiquement, la Prusse s'y refuserait. Les armes à la main, il faudrait donc tenter la conquête de tout le nord de l'Europe? Ce sont les campagnes de Napoléon qu'on nous propose. Disons-le donc avec douleur, nous ne pouvons rien pour la Pologne par la force des armes La sainte-alliance reposait sur le principe de l'intervention, destructeur de l'indépendance de tous les États secondaires. Le principe contraire que nous avons consacré, que nous saurions faire respecter, assure l'indépendance et la liberté de tous. Mais si, les premiers, pour servir une cause qui nous inspire tant d'intérêt, nous donnions l'exemple de sa violation, notre politique serait injuste et mensongère: elle perdrait par cela même toute autorité en Europe.

Quant à la Belgique, Messieurs, elle n'est point placée en dehors de la sphère de notre puissance. Dès que le grand déchirement qui sépare à jamais la Belgique de la Hollande eut été consommé, sans consulter l'état de nos forces, dont nous seuls avions le secret, nous nous empressâmes de proclamer le principe tutélaire de la non-intervention; nous n'hésitàmes point à déclarer que si un seul soldat étranger violait le territoire de la Belgique, la France à l'instant prendrait fait et cause. Ne craignons donc point de le dire, ce jour-là la France a sauvé la Belgique de l'invasion étrangère; il s'agit maintenant de sauver la Belgique d'elle-même. Or, pour cela que faut-il faire? (Mouvement d'attention.]

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