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HISTORIQUE UNIVERSEL

POUR 1831.

PREMIÈRE PARTIE.

HISTOIRE DE FRANCE.

État du pays.

:

CHAPITRE PREMIER.

Félicitations du jour de l'an. Travaux des deux Chambres Loi sur la composition des cours d'assises et les déclarations du jury. — Loi sur la répression de la traite des Nègres. Loi sur l'amortissement. Discussion sur une pétition relative à la réunion de la Belgique à la France.

Après la grande crise que les derniers jours de l'année 1830 avaient vue se terminer, une trève était nécessaire entre les partis ils disparurent de la lice; mais en observant leur atti-, tude, on ne pouvait douter qu'ils n'y rentrassent bientôt, et que le gouvernement n'eût de plus à redouter les menées d'un nouvel ennemi, le parti de la dynastie déchue, qui alors ne faisait encore qu'essayer timidement ses forces dans la Vendée, et ne devait pas tarder à se montrer avec audace à Paris mème. La royauté nouvelle venait de subir une épreuve décisive: née d'une révolution, elle avait triomphé d'une émeute, et il lui importait que la distinction fût bien établie entre ces deux choses si différentes et pourtant si faciles à confondre. La royauté avait donc profité de sa victoire, mais non le ministère, qui l'avait aidée à la gagner: les circonstances l'empêAnn. hist. pour 1831.

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chèrent d'en recueillir le bénéfice. Porté aux affaires par l'opinion la plus libérale, qui était en minorité dans la Chambre, et supporté plutôt que soutenu par la majorité, dans ces temps d'effervescence populaire, le cabinet, que dirigeait M. Laffitte, dans que ne pouvait trouver de force une alliance intime avec les chefs de cette opinion les démissions successives de MM. Lafayette, Dupont de l'Eure, la déclaration de M. OdilonBarrot, qui dès la fin de l'année dernière avait annoncé la sienne comme très prochaine, prouvèrent que l'alliance n'existait plus. Toujours en butte aux reproches d'irrésolution, de faiblesse, d'absence de système, ce cabinet était encore accusé de ne pas savoir maintenir son indépendance vis-à-vis de la couronne : les conseils journaliers, tenus chez le roi et sous sa présidence, devinrent l'objet d'une polémique dans laquelle l'opposition se prévalut, sur les organes ministériels, de l'avantage d'une rigoureuse fidélité à la constitution et aux principes. Désormais cette opposition, grossie, ralliée, offrait une masse redoutable, à laquelle l'ancienne popularité de M. Laffitte, privée de ses appuis naturels, n'était plus en mesure de résister. Placé entre la crainte de la guerre étrangère et celle des agitations intestines, le pays continuait de languir dans un état plus voisin de la mort que de la vie. Il y avait suspension presque absolue d'affaires, de travaux de tout genre: à peine, durant les deux ou trois premiers jours de janvier, la capitale sembla-t-elle reprendre quelque activité, pour retomber aussitôt dans sa désastreuse léthargie. Chacun éprouvait le besoin d'un retour à la confiance, et en exprimait le vou, mais personne n'y croyait encore personne ne voyait dans la situation respective du ministère et des partis une garantie suffisante d'ordre et de stabilité.

Les félicitations adressées, le premier jour de l'an, par les grands corps de l'État à la couronne, et les réponses de celleci, empruntèrent de la gravité du moment un intérêt qui n'appartient pas aux formules de pure étiquette. L'année précédente, ces félicitations avaient salué pour la dernière fois une

royauté décrépite et déjà penchée vers sa tombe: cette année, pour la première fois, elles saluaient une royauté récemment sortie du berceau. Le nonce du pape, portant la parole au nom du corps diplomatique, se prononça en faveur de «tout ce qui «pourrait contribuer à raffermir de plus en plus le repos dans ala France, et par cela même l'état de paix et de bonne intelligence avec l'Europe entière. » Ainsi l'Europe faisait du calme de la France une condition de la paix! Parmi les réponses de Louis-Philippe, on remarqua celle qu'il adressa au président de la Chambre des pairs, et dans laquelle il félicitait cette Chambre de sa conduite aussi courageuse qu'honorable. En général, on se plut à reconnaître dans le style des allocutions royales un notable changement : aux phrases où Charles X plaçait habituellement les expressions de religion et de providence, Louis-Philippe en avait substitué d'autres, qui reproduisaient fréquemment les mots de droits du peuple et de la liberté.

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Cependant la Chambre des députés poursuivait le cours de ses travaux : le 6 janvier, elle adopta le projet de loi relatif à la garde nationale, dont la discussion durait depuis le 11 décembre de l'année précédente, et sur laquelle nous rèviendrons lors des débats approfondis et tout nouveaux dont elle devint l'objet à la Chambre des pairs. La Chambre élective passa immédiatement à la délibération du projet de loi sur la composition des cours d'assises et les déclarations du fury. Ce projet, qui touchait à l'un des points capitaux de notre légis¬ lation criminelle, aux intérêts les plus chers de l'homme, la vie, la liberté, l'honneur, appela faiblement l'attention pu blique, déjà préoccupée de l'examen de la loi électorale, Composé de quatre articles seulement, il avait été présenté à la Chambre des députés dans la séance du 1er décembre 1830, par M. Dupont de l'Eure, alors ministre de la justice. Le premier et le second article tendaient à réduire à trois le nombre des conseillers ou juges tenant les cours d'assises, fixé à cinq par l'art. 92 de la loi du 6 juillet 1810; le troisième, à établir que désormais la décision du jury se formerait à la majorité de

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huit voix contre quatre pour tous les cas de condamnation ; le quatrième abrogeait la loi du 24 mai 1821 et les articles du code d'instruction criminelle auxquels il était dérogé.

Des deux innovations introduites par ce projet de loi, la plus importante était celle qui réintégrait le jury dans la souveraineté de la décision du fait soumis à son appréciation, et corrigeait cette partie vicieuse de notre législation criminelle, laquelle, réservant aux juges le pouvoir de délibérer et de vider le partage du jury, lorsque ce dernier ne se prononçait pour la culpabilité qu'à la majorité de sept contre cinq, ne respectait pas assez la distinction entre les juges du fait et les juges du droit, l'une des bases principales de l'institution. C'est ce que le ministre expliquait très clairement dans l'exposé des motifs de la loi:

Le code d'instruction criminelle, disait-il, a porté atteinte à cette distinction fondamentale, lorsqu'il a voulu que les juges du droit participassent à la déclaration du fait, dans tous les cas où le jury ne se prononcerait sur la culpabilité de l'accusé, relativement au fait principal, qu'à une simple majorité de sept contre cinq.

La combinaison de l'article 351 du code d'instruction criminelle était fort bizarre: elle consistait à additionner les voix des juges avec celles des jurés, en telle sorte que, très-fréquemment, après que le doute avait été solennellement proclamé par le partage des jurés, ce doute se résolvait ensuite contre l'accusé, bien que celui-ci eût en sa faveur l'opinion de la majorité des juges. En effet, l'on recourait à compter les voix des juges dans les cas de doute légal où les jurés ne se prononçaient pour la culpabilité qu'à une majorité de sept contre cinq: or, en additionnant les voix des juges avec celles des jurés, si deux voix de juges se prononçaient pour la culpabilité, et trois pour l'innocence, l'accusé était déclaré coupable, parce que les deux voix de la minorité des juges formaient avec celles des sept jurés un total de neuf voix, tandis que huit voix seulement proclamaient l'innocence. Ainsi l'on arrivait à ce résultat inconcevable de proclamer d'abord le doute, et de prononcer ensuite la culpabilité, lorsqu'une grave présomption d'innocence était venue donner à ce doute un caractère plus problématique encore.»

A la vérité, le ministre reconnaissait que la loi du 24 mai 1821 avait réformé cette combinaison choquante, en ordonnant que toutes les fois que les juges auraient à délibérer sur une déclaration du jury, formée à la majorité simple, l'avis favorable à l'accusé prévaudrait, lorsqu'il serait adopté par la majorité des juges : mais il faisait observer que cette loi, quoi

que plus humaine, portait encore une grave atteinte à l'institution du jury:

Sous le code d'instruction criminelle, ajoutait-il, l'addition des voix des juges avec les voix des jurés laissait les uns et les autres sur un pied d'égalité. Sous la loi de 1821, la délibération des juges forme un véritable jugement complétement indépendant du jury, qui, par le fait d'un partage de sept voix contre cinq, n'arrive à d'autre résultat qu'à résigner son pouvoir et son caractère pour en investir les juges. Ceux-ci, appelés seuls a juger lorsque le doute du jury le dessaisit et le constitue incapable, sont par cela seul, de fait comme de droit, les supérieurs du jury et les suprêmes arbitres. »

Le ministre terminait en disant qu'il fallait abroger la loi du 24 mai 1821, comme on avait abrogé l'art. 351 du code d'instruction criminelle, la supériorité attribuée aux magistrats sur les jurés, la confusion entre les pouvoirs des juges du fait et des juges du droit étant réellement destructive du jury.

Quant à la réduction du nombre des conseillers ou juges tenant les cours d'assises, une longue justification de cette mesure semblait superflue: accréditée depuis long-temps parmi les magistrats, elle s'appuyait d'ailleurs sur le besoin de simplifier l'administration de la justice, sur la suppression récente des conseillers-auditeurs, et sur cette considération, que le jury demeurant seul chargé de l'appréciation du fait, le rôle des magistrats formant la cour, à l'exception du président, deviendrait presque nul.

La commission chargée de l'examen de la proposition du gouvernement en adopta entièrement le fond. Dans son rapport, présenté à la Chambre par M. Bernard (7 décembre 1830) on ne remarquait que quelques modifications légères, uniquement relatives à la forme; mais elle ajoutait deux dispositions nouvelles. La première portait «qu'un tableau des membres de «chaque cour royale qui devraient présider les assises serait aarrêté tous les ans au mois d'août, par le garde-des-sceaux, « et que les présidents seraient pris à tour de rôle sur ce tableau. >> C'était l'abrogation d'un article de la loi du 20 avril 1810, attribuant au ministre de la justice, et, à son défaut, au premier président de chaque cour royale, la nomination et le choix des

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