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méconnaître la majesté, la souveraineté nationale? Les communes nous ont délivrés jadis de la féodalité; voudriez-vous aujourd'hui voir les abus de la féodalité reparaître, à l'aide des communes, avec ses tours et ses créDeaux! En organisant les communes, ne perdez pas de vue cette magnit fique unité du peuple français! Nos pères ont déclaré le territoire un et indivisible; ils n'ont établi des circonscriptions en départements, arrondissements, cantons, communes, que pour la commodité de l'administration, mais non pour préparer le fractionnement du pouvoir et pour scinder cette action unique qui, dans l'intérêt de l'État, pour sa protection, et surtout pour sa défense, est seule propre à surmonter les résistances particulières et à poursuivre le privilége partout où il essaierait de se cantonner. (Approbation générale.)

Ne pourrait-il pas en effet se trouver tel point sur le territoire, où, par des situations de fortune et d'influence pour les uns, de dépendance pour les autres, trois candidats, entre lesquels on propose de concentrer le choix du roi, fussent tous trois des hommes hostiles au gouvernement, et qui, capables d'ailleurs de le servir, y seraient cependant mal disposés ? (Sensation.)

C'est ainsi qu'on a pu rencontrer en juillet, parmi les hommes en place, beaucoup de gens très capables, très éclairés, très habiles. Un ministre aura pu leur écrire : Oui, vous êtes bon administrateur, vous savez ce qu'un préfet, ce qu'un maire doit savoir; mais... (l'orateur se croise les bras) êtes vous patriote? êtes-vous pour l'ordre de choses créé en juillet? prêtez-vous serment à Louis-Philippe?

Le mode proposé par la commission semblait à l'orateur bien préférable au système de candidature de M. Berryer, parce qu'en choisissant entre trois candidats présentés par la commune le gouvernement désobligeait deux personnes; tandis qu'en faisant son choix parmi tous les membres du conseil municipal il ne donnait à personne de motif de se plaindre d'une préférence injurieuse.

. C'est ainsi, continuait M. Dupin, que le gouvernement satisfera à l'esprit de localité, sans satisfaire aux exigences de l'esprit de parti. Il choisira le maire parmi les hommes qui tiennent à un juste milieu.» (Rire et interruption à gauche.)

Voix de la gauche. « le juste milieu! Le jeu de bascule! Voilà ce que vous demandez, vous autres hommes de la résistance. »

M. Dupin. Je répète l'expression de juste milieu, dont je me suis servi à dessein. Le maire, tel que je le conçois, tient le juste milieu dont l'homme de bien et le bon citoyen font leur règle de conduite; il administrera la commune sans passions et sans faiblesse; il fera exécuter les lois envers et contre tous; il sera l'ami de l'ordre public, et l'ennemi de tous les excès: il ne se lance pas dans un avenir incertain; il ne reporte pas ses regards sar un passé qui n'est plus; c'est l'homme du présent.

4 février. M. de Laborde, votant pour l'amendement de M. Berryer, proposait, par un sous-amendement, que les candidats

fussent pris parmi les membres du conseil municipal. M. de Tracy considérait ce même amendement comme un moyen terme capable d'atténuer les inconvénients de la résolution prise la veille à l'égard de la proposition de M. Thouvenel. Mais plusieurs orateurs s'élevèrent contre un système qui n'était pas en harmonie avec celui du projet de loi, et la Chambre consultée rejeta les deux amendements.

Les deux premiers paragraphes de l'article 3 furent alors. adoptés avec une légère modification proposée par M. Gaujal, et consistant à attribuer au roi personnellement, et non au préfet, la nomination des maires des chefs-lieux d'arrondissements, quelle que soit leur population.

Il restait à discuter les deux derniers paragraphes sur lesquels divers amendements étaient encore présentés : aucun n'ayant été accueilli, la Chambre adopta l'ensemble de l'article 3, à peu près tel qu'il avait été rédigé par la com

mission.

4 et 7 février. Nous passons sur les articles 4, 5, 6, 7, 8, 9 et 1o, dont la discussion n'offrit aucun intérêt, pour arriver à l'article 11, sur lequel la divergence des opinions était le plus prononcée.

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Le premier paragraphe de cet article consacrait le système des plus imposés, en appelant à l'élection des conseillers municipaux, dans une proportion décroissante en raison du chiffre de la population, les citoyens de la commune payant le cens le plus élevé. Le second paragraphe adjoignait aux plus imposés certaines catégories de personnes dont la position garantissait la capacité. La discussion générale avait fait sentir que de nombreux amendements seraient proposés. Avant d'arriver à ceux qui ne faisaient en quelque sorte que modifier le principe adopté par la commission, la Chambre dut se prononcer sur trois systèmes, fondés sur des principes contraires: système de suffrage à peu près universel (MM. Koechlin et Marchal); système de cens déterminé (MM. Paixbans, Baudet-Lafarge et Demarçay); système basé sur la position so

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ciale, suivant l'expression de son auteur, M. le général Lamarque. Les deux premiers furent écartés sans longs débats, et à une majorité très-forte; le troisième souleva une discussion plus vive. Il avait pour but d'appeler à l'assemblée municipale, 1o dans les villes, tout propriétaire de maison, chef de fabrique, d'atelier, marchand établi; 2° dans les communes rurales, tout propriétaire, tout chef de ferme exploitée à prix d'argent ou à portion de fruits.

. En accordant à la couronne le droit de nommer les maires, disait le général Lamarque, vous avez voulu donner quelques garanties de plus à fordre, sans lequel la liberté serait de la licence. Je viens vous demander de donner quelques garanties à la liberté, sans laquelle l'ordre serait le despotisme. Ainsi, après avoir étendu et fortifié la prérogative royale, je vous propose d'étendre et de fortifier les droits des citoyens. Ces droits sont tellement méconnus dans le projet qu'on vous propose, que j'ai peine à m'en expliquer le but et les motifs..

L'orateur n'hésitait pas à déclarer que les dispositions de l'article 11, mises en pratique, amèneraient des scènes déplorables.

⚫ Morceler ainsi la société, continuait-il, au moment où elle peut avoir besoin des efforts de tous, est un danger plus grand que l'on ne pense. C'est surtout méconnaître, c'est violer les principes du gouvernement qu'ont créé les derniers jours de juillet; vainement s'agite-t-on pour échapper à leur conséquence. Le pouvoir ne descend plus d'en-haut: il faut donc élargir la base sur laquelle il repose; il faut intéresser le plus de citoyens possible au maintien de notre nouvel ordre social; et ici, permettez-moi, Messieurs, d'emprunter la voix d'un publiciste que vous n'accuserez pas de démagogie, et qui, en 1821, cherchait de bonne foi à créer ou renforcer les moyens de gouverner: Des ministres, des préfets, des maires, des percepteurs, des soldats, disait-il, sont plutôt des machines de gouvernement que des moyens de gouverner; les vrais moyens sont ■ au sein de la société elle-même: c'est dans les masses, dans le peuple, qu'il faut puiser la principale force et chercher les moyens de gouver⚫ner. Et plus loin : « Le Directoire et Buonaparte (c'est l'empereur qu'on • veut dire) sont tombés pour avoir perdu de vue les masses. C'est là • qu'est le grand ressort du gouvernement, c'est là qu'est la force : inté ⚫ressez les masses, et le problème sera résolu. » (.Au centre: Nommez Torateur.)

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- Après ces éloquentes paroles de notre collègue M. Guizot (on rit). qui, je l'espère, soutiendra mon amendement, je n'ajouterai que quelques mots: toutes ces craintes de la démocratie qui nous envahit, craintes avec lesquelles on cherche à priver un grand nombre de citoyens de leurs droits, sont chimériques. Nous n'appelons pas au pouvoir, ni même à l'exercice des droits de citoyen, ces prolétaires avides de troubles et de pillage qui peuplaient le Forum de Rome. Un nouveau Gracque ne pour

rait pas s'écrier, dans les comices de nos communes rurales: Plus mal« heureux que les bêtes féroces, qui ont une caverne où elles peuvent trouver un abri, vous n'en avez pas sur la terre.» Car les habitants des villes et des campagnes, pour lesquels je réclame le droit de voter, ont une maison, sont propriétaires de troupeaux, d'instrumens aratoires, sont des chefs de famille intéressés au maintien de l'ordre, et ils ont droit aux bénéfices de la société, puisqu'ils en supportent toutes les charges.

A l'espèce d'interpellation du général Lamarque, M. Guizot répondait qu'il n'avait pas changé d'opinion; mais il faisait observer que, après avoir rendu hommage au principe de la capacité pour conférer des droits politiques, on l'abandonnait afin de réintégrer dans nos lois le suffrage universel, puisque l'amendement proposé reconnaissait les mêmes droits, malgré les diversités de situation, dans une petite comme dans une grande ville.

M. Salverte soutenait, au contraire, que l'amendement du général Lamarque présentait les garanties de capacité nécessaires or, tout le monde accordait qu'on ne pouvait restreindre le droit que pour cause d'incapacité. D'ailleurs, pour élire des conseillers municipaux, fallait-il une capacité supérieure à celle du commun des hommes ?

9 février. La discussion en était venue à ce point, lorsque M. Dupin, dans une improvisation véhémente, entreprit la censure des doctrines de l'opposition.

Il n'y a pas de théories générales, dit-il en commençant, dont on ne puisse abuser; chaque parti, chaque opinion a ses doctrines susceptibles d'exagération et d'abus. Les vices et les vertus de ces théories ne peuvent donc se rencontrer que dans l'abus ou dans la juste application qu'on en fait. Avec trois mots: intérêt, capacité, droit, on peut également ou s'élever trop et se perdre dans les régions inaccessibles de l'aristocratie, ou descendre trop bas et s'égarer dans les excès du radicalisme et de la démocratie. Oui, du radicalisme, on en professe ouvertement les maximes au dehors et même ici. N'a-t-on pas été jusqu'à vous alléguer les droits des mendiants à propos de capacité électorale? N'a-t-on pas parlé de leur exclusion prononcée par le bon plaisir des législateurs, qui ne leur confieraient pas les mêmes droits qu'à ceux qui offrent plus de garanties à la société? Ne vous a-t-on pas parlé de l'aristocratie des plus imposés ? Ne cherche-t-on pas à exciter des sentiments haineux contre les détenteurs de la richesse publique? Voilà où conduit la maxime poussée trop loin, que, du moment qu'on a un devoir à remplir, on a un droit à exercer, en traduisant ce droit à exercer par l'électorat, par l'éligibilité. ■

Ensuite M. Dupin se justifiait du reproche d'inconséquence

que lui avait adressé M. Podenas, en citant un passage d'un de ses ouvrages sur les communes. Il se plaignait qu'on ne l'eût pas cité complétement, et démontrait que, loin de demander l'élection directe des maires et des adjoints, il avait exprimé le vœu qu'il y eût candidature, et par suite institution ou nomination royale.

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Je déclare, ajoutait-il, que c'est là mon opinion intégrale, en 1831 comme en 1823, et je le déclare avec la même bonne foi que je reconnaîtrais mon erreur si je m'étais trompé. Je crois qu'il y a impossibilité et danger d'admettre tout le monde. Je ne fais pas des privilégiés de ceux que j'admets; mais je ne crois pas que ceux que je n'admets point doivent étre regardés comme des ilotes. Comment des ilotes! Un peuple vaincu, réduit en esclavage, qui n'avait pas de liberté individuelle, qui ne comp tait pas parmi les personnes, mais parmi les choses d'une existence physique, qui était corvéable et taillable à volonté, voilà à quoi l'on veut comparer des citoyens jouissant d'ailleurs de tous leurs droits, mais qui ne seraient pas admis à l'exercice du droit de nommer à des fonctions pabliques, parce qu'ils ne réunissent pas certaines conditions exigées comme garanties de capacité! Et qu'on ne dise pas que cette expression d'ilotes est une forme oratoire, un mot employé par hasard : on a insisté là-dessus, et l'on a dit qu'en 1789, s'il y avait eu des commotions terribles, c'est qu'on avait réduit les citoyens à la condition d'ilotes, et qu'il ne fallait pas recommencer en 1830 ce qui avait été fait en 1789.

L'orateur prouvait sans peine que recommencer en 1830 l'œu vre de 1789 n'était pas possible, puisque la société avait subi un changement total. Ensuite, s'attachant à établir qu'exiger des preuves de capacité pour l'exercice d'une fonction publique quelconque, n'était pas instituer un privilége, il indiquait le danger de l'opinion qui, renversant toute barrière, appellerait les soldats à s'insurger contre leurs chefs, sous prétexte qu'avec autant de talents pour commander, ils avaient la force et le nombre.

Vous détruisez la discipline, direz-vous, en prêchant à l'armée de pareilles doctrines. Et quelles maximes prêche-t-on donc à nos citoyens? Faut-il dire aux mendiants qu'ils doivent s'insurger contre la société ? »

A ces mots, une explosion de murmures long-temps contenus éclata sur les banes du côté gauche. MM. de Tracy, Marchal, réclamèrent à la fois la parole. «Qu'on rappelle l'orateur à «l'ordre! s'écria M. de Corcelles, il calomnie! » Ayant laissé passer cette longue interruption, M. Dupin termina son dis

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