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trouvait. M. de Montalivet se hâta donc de monter à la tri

bune:

Ce n'est, dit-il, que parce que mon honneur y est intéressé, parce que ma conscience m'en fait une loi impérieuse, que je vais continuer à donner à la Chambre le triste spectacle qu'on ne me reprochera pas du moins d'avoir provoqué; car l'honorable membre qui en a parlé après moi m'a rendu cette justice, que j'avais su prendre sous ma responsabilité les actes d'un fonctionnaire que je n'avais pas destitué.

L'orateur qui descend de la tribune a défendu le ministère : je lui adresse des remerciments. Mais dans ce qu'il a dit il y a une inculpation grave, qui m'est personnelle. Il a donné à la Chambre le spectacle d'un préfet qui est venu en quelque sorte citer son ministre à la barre; il lui a adressé un reproche à son banc, c'est là le mot dont il s'est servi.

.

Eh bien! Messieurs, apprécions ce reproche; voyons si l'on s'était mis dans une position grave, nouvelle, fâcheuse pour tous les intérêts, parce qu'on ne s'est pas bien rendu compte des fonctions qu'on avait à remplir. Messieurs, je n'ai qu'à rappeler à la Chambre que dans cette affaire il s'agissait malheureusement de spoliation, de dévastation, de dégradation des églises. L'arrêté du directoire du 10 messidor an VIII a mis dans les attributions du préfet de police la conservation des églises et des monuments religieux. Aussi c'est au préfet de police qu'à chaque instant j'ai adressé des ordres ou des instructions.

« Un autre fait a été cité. J'ai, dit-on, adressé aux maires une circulaire dont M. le préfet n'a pas eu connaissance. C'est beaucoup de susceptibilité d'étiquette, dans des moments pareils. Si c'était un acte de responsabilité (et ce n'en est pas un), je viendrais m'expliquer ici, et sur-le-champ la Chambre m'approuverait.

« La force matérielle, la force physique, semblaient devoir s'opposer à cette autre force qui voulait envahir les églises. On venait me dire de toutes parts que la garde nationale n'était pas assez nombreuse, que malgré tout son zèle, tout son dévouement, elle ne pouvait plus tenir. Dans ce moment extrême, j'ai adressé aux maires une circulaire dans laquelle je disais qu'ils devaient à l'instant même se montrer sur le seuil des églises avec leurs écharpes tricolores, et qu'ils sauraient en imposer plus au peuple que par la force des baïonnettes. Je n'ai pas voulu passer par l'Hôtel-de-Ville; il était urgent que cette circulaire arrivât sur-le-champ à sa destination. (Marques d'adhésion aux centres.)

«Au reste, cette susceptibilité d'étiquette, ne pourrai-je pas à mon tour l'avoir, et peut-être avec plus de raison? Elle peut plutôt se concevoir de haut en bas que de bas en haut.... (Interruption à gauche.) Je ne demande pas mieux, Messieurs, que de me reprendre si l'on a donné à mes paroles un sens que je n'y attache pas. Je veux dire que la susceptibilité de l'éti ette est plus naturelle du supérieur à l'inférieur que de l'inférieur au supérieur.» (Nouveau mouvement.)

Ainsi M. de Montalivet se défendait en attaquant; il opposait grief à grief, et blâmait le préfet de la Seine de n'avoir pas agi en février comme il l'avait fait en décembre, où chaque jour, sans ordres, de son propre mouvement, il se présentait, soit au

Palais-Royal, soit au Luxembourg, pour haranguer les mutins, et tâcher de rétablir le calme. A cette nouvelle inculpation, M. Odilon - Barrot répondit qu'en décembre il avait été appelé au conseil, où les mesures qu'on croyait devoir prendre pour la tranquillité publique lui avaient été communiquées, tandis qu'en février on s'était adressé aux maires, sans passer par son intermédiaire, sans l'en prévenir en aucune façon. Sans doute on avait jugé que l'autorité de la police exercée immédiatement suffirait à la répression des troubles, et qu'il n'était pas nécessaire de faire intervenir les magistrats civils.

Je ne m'en plains pas, ajouta-t-il ; mais je me plains de ce que, par la plus étrange fatalité, lorsque j'ai été appelé à agir officiellement dans les troubles de décembre, lorsque j'ai revêtu l'écharpe, que je me suis porté, comme l'a dit M. le ministre de l'intérieur, au Palais-Royal et au Luxembourg, faisant front aux attroupements, cherchant à les dissiper, j'ai été l'objet d'accusation; lorsque, au contraire, dans des circonstances analogues, je me renferme dans mon ministère purement civil que je ne vais pas au-devant d'une intervention qu'on ne me demande pas, que je fais, comme homme, ce qu'il est possible de faire, je suis encore l'objet d'ac

cusation. »

En terminant, M. Odilon-Barrot exprima le regret de s'être vu forcé d'entrer dans des questions individuelles, d'autant plus affligeantes qu'elles rapetissaient et faisaient perdre de vue toutes les autres questions. «M. le ministre de l'intérieur, «dit-il encore, si sa susceptibilité a été blessée, a des moyens plus naturels et plus sûrs de se donner satisfaction. >> En effet, le ministre n'avait que deux partis à prendre, se retirer ou destituer le préfet de la Seine.

M. de Salvandy, dans son discours, avait vivement reproché au gouvernement de s'être prêté au caprice des démolisseurs, de les avoir secondés en faisant lui-même abattre les croix. Le ministre des cultes, M. Barthe, déclara que, loin d'avoir encouragé la profanation et l'outrage, le gouvernement en gémissait; il ajoutait que, sous la restauration, le clergé par son intervention politique avait irrité les esprits; mais que, sous la Charte nouvelle, se bornant à un mandat d'union et de paix, il n'aurait Ann. hist. pour 1831.

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plus d'insulte à redouter. On avait dit qu'il serait bon de présenter une loi qui prononçàt le bannissement de la famille déchue:

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Si cette loi, disait le ministre, était proposée par les Chambres, le gouvernement s'empresserait d'y donner son adhésion. Jusqu'à présent, nous avions pensé que cette dynastie, qui datait pour nous de l'invasion étrangère, qui avait trouvé sa fin dans le parjure de juillet, avait été bannie par les barricades, et que, du sein de cette révolution, une dy. nastie nouvelle était fondée à jamais pour consolider la liberté et l'avenir de notre pays, sans que le gouvernement dût prendre l'initiative d'une loi de bannissement. Je livre ces réflexions à votre sagesse. » (Sensation prolongée.)

19 février. Au commencement de cette séance, M. de Quélen, frère de l'archevêque de Paris, dénonça à la Chambre les procédés rigoureux de l'autorité envers le prélat : un mandat d'amener, retiré depuis, avait été décerné, notifié avec des formes acerbes, menaçantes; les journaux et les rues en avaient retenti; une perquisition de police avait troublé le monastère où l'archevêque se retirait quelquefois auprès de son grand vicaire. M. Baude allégua les devoirs qui pesaient sur lui après l'attentat de Saint-Germain-l'Auxerrois; il nia l'emploi des formes acerbes. Du reste, ayant acquis la preuve que le service s'était célébré à l'insu de l'archevêque, il s'était empressé de retirer le mandat d'amener : il déclarait que la conduite de l'archevêque lui avait paru entièrement étrangère à la politique.

Les deux orateurs qui se succédèrent immédiatement, MM. Kératry et Mauguin, rentrèrent dans l'examen des questions générales qu'ils considéraient sous un point de vue opposé. M. Kératry, défendant le pouvoir et surtout la Chambre, s'effrayait des démonstrations républicaines de quelques jeunes gens, dont l'un s'était montré dans la cour même du palais de la représentation nationale, le poignard à la main et le bonnet rouge sur la tête. Au contraire M. Mauguin, plus préoccupé des mouvements carlistes qui se préparaient dans le midi, blàmant la mollesse du ministère à leur égard, demandait si, dans les derniers troubles, quelqu'un avait vu passer la

république. «Pour moi, disait-il, j'ai cherché, de toutes parte aet je ne l'ai pas vue.»

Après M. Mauguin, M. Dupin aîné occupa la tribune, et d'a bord il donna quelques détails sur l'attentat dout il avait été l'objet : il signala les imputations absurdes propagées contre lui. Abordant ensuite la question qui était devenue la principale, celle de la dissolution de la Chambre, il s'exprima ainsi :

. La Chambre a donné et donnera en tous temps, je l'espère, un exemple de dévouement au pays. On peut la dissoudre quand on voudra. Je suis un de ceux qui se glorifieront d'en avoir fait partie, d'avoir fait partie d'une association d'hommes où j'ai trouvé de la droiture, du patriotisme et des dispositions à accueillir, à faire le bien de quelque part qu'il vînt. On a accusé la Chambre de vouloir se perpétuer dans son pouvoir, et ce matin encore, après une attaque si violente dirigée contre un de ses membres, je lisais dans un journal : « Oui, la Chambre est un embarras. Tous nos maux découlent de la monstrueuse usurpation par laquelle elle s'est con⚫tinuée envers et contre tous. » Quelle est donc cette usurpation? Cette Chambre a-t-elle résisté à une ordonnance de dissolution? S'est-elle main. tenue, bon gré mal gré, dans son pouvoir? Cette Chambre, renforcée de cent-cinquante députés, et je suis du nombre, qui ont été réélus depuis quelques mois, cette Chambre qui a continué ses fonctions de l'aveu du gouvernement avec lequel elle marchait, des ministres dont l'opinion, sous le rapport du dévouement à la révolution de juillet, n'a pu être contestée, cette Chambre a-t-elle donc cherché à se perpétuer? N'a-t-elle pas dit constamment, quand il a été question de sa dissolution : « C'est à vous ⚫ de nous dissoudre. Et nous ne pouvons le répéter trop haut en présence de la malveillance.

Eh bien! je le dis le premier : prononcez la dissolution de la Chambre! non-seulement elle n'y résiste pas, mais elle le désire (Vivement au centre: Oui! oui!) chacun de ses membres le désire individuellement (Oui! oui!), je le désire profondément. Le pays répondra par d'autres élections, et je souhaite, dans l'intérêt du pays, qu'il puisse trouver de meilleurs citoyens que ceux qui ont accompli la révolution de 1830, qui ont consacré LouisPhilippe et qui ont modifié la Charte jurée dans cette enceinte.

Quant à ma disposition personnelle, tant qu'un moyen légal ne nous aura pas rendus à la condition de simples citoyens, ma disposition personnelle, toujours la même, est celle-ci : Je fais profession d'une modération qui n'est point faiblesse, d'une fermeté dont je ne me pique que pour ce qui m'apparait comme vrai; je veux une liberté largement établie, mais je la veux limitée, parce qu'une liberté sans limites ne saurait exister pour les uns sans détruire et méconnaître les droits d'autrui ; je veux du progrès dans les institutions, mais je le veux par les lois et non par les émeutes (Très bien! très bien!). J'ai combattu le désordre sous toutes les formes, je l'ai regardé comme l'ennemi de la liberté; j'ai détesté l'anarchie; l'anarchie mise en pratique jusque dans l'intérieur de ma maison, ne m'a pas réconcilié avec ses funestes théories.» (Marques d'une vive approbation...... Sensation prolongée.)

Désormais tout l'intérêt de la discussion allait se concentrer

sur deux orateurs, dont la position rendait les paroles singulièrement remarquables, l'un comme ayant fait partie du cabinet précédent, l'autre, comme étant le chef du cabinet actuel, M. Guizot et M. Laffitte. M. Guizot, tout en exprimant son dédain des précautions oratoires, commença par rappeler sa participation à la révolution de juillet; il fit observer que, depuis sa retraite des affaires, il avait évité de susciter aucun embarras au ministère nouveau, et regretta de ne pouvoir parler dans cette circonstance sans faire acte d'opposition. Ensuite il déclara que le gouvernement ne lui semblait pas réunir les conditions nécessaires pour défendre la société et se défendre lui même dans la crise présente :

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Pour qu'il existe, dit-il, un gouvernement capable de suffire à cette double tâche, il faut d'autres et de plus difficiles conditions, il faut autre chose que des lettres, que des instructions par les télégraphes, et des protestations d'amour pour l'ordre public. La première condition d'un pouvoir, d'un gouvernement capable de défendre la société et lui-même, Messieurs, c'est qu'il gouverne seul ; que personne ne s'en mêle que lui; qu'aucune intervention extérieure, aucune force extra-légale ne vienne prendre part au pouvoir; que les pouvoirs constitutionnels soient pleinement libres, en pleine sécurité dans leur action ; je le répète, qu'il agisse seul. Il y a une autre condition, c'est l'harmonie des pouvoirs constitutionnels, leur action commune, de concert, chacun à sa place; ce n'est pas trop de cette harmonie de tous les pouvoirs, de toutes leurs forces réunies pour suffire à des circonstances comme celles où nous nous trouvons. Si l'harmonie n'existe pas, si le faisceau n'est pas ferme, si chaque pouvoir agit pour son compte, et dans une direction différente, il n'y a pas de gouvernement possible. Encore une condition, et peut-être la plus indispensable à mon avis, c'est que le pouvoir, que le gouvernement soit à sa place, dans la situation qui lui appartient, c'est-à-dire à la tête de la société, et non à la queue, comme on l'a dit; que cela soit en effet, qu'il en ait le sentiment, qu'il le professe, qu'il le proclame lui-même et soit reconnu de tous les chefs et puis par les subordonnés de la société.

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L'orateur, envisageant les missions diverses données aux pouvoirs qui s'étaient succédé en France, à la république chargée de détruire l'ancien régime, à l'empire chargé de rétablir l'ordre, à la restauration qui avait promis de concilier l'ordre et la liberté, et qui, embarrassée du droit divin, était morte à la peine, s'écriait :

« C'est à nous, à la révolution de juillet que cette tâche a été imposée; c'est notre devoir et notre situation d'établir définitivement, non pas l'ordre seul, non pas la liberté seule, mais l'ordre et la liberté en même

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