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La restauration, dans son ensemble, forme une période historique à part et définitivement close à la révolution de juillet qui la complète. Cette période et cette révolution sont un tout indivisible, et ont été retracées, par M. Lesur, dans les volumes de l'Annuaire déjà publiés, avec un talent et dans un esprit grâce auxquels le succès de l'ouvrage a toujours été croissant. Chaque année, la liste des souscripteurs à l'Annuaire historique a pris une nouvelle extension, malgré l'espèce d'obligation de payer d'un seul coup tous les volumes précédents; obligation devant laquelle la plupart n'ont pas reculé, comme beaucoup d'autres, dans la suite, s'y soumettront encore, déterminés par Pintérêt d'une collection de plus en plus recherchée. Cependant, une partie considérable du public, pour qui l'Annuaire historique est un besoin, hésitait à le satisfaire, parce que, ne voulant pas prendre tout un recueil, dont le nombre des volumes augmente beaucoup le prix, elle répugnait, d'un autre côté, à n'avoir qu'une collection incomplète. Aussi, pendant long-temps, l'éditeur a-t-il reçu de fréquentes sollicitations de rémédier à cet inconvénient, en commençant une nouvelle série. C'est ce qu'on a souvent fait pour les recueils périodiques de la Grande-Bretagne. Mais ce changement, qui aurait été adopté si l'on n'eût

consulté qu'un intérêt matériel, n'avait d'ailleurs jusqu'alors aucun motif raisonnable. Aujourd'hui il n'en est plus de même : la série qui s'ouvre avec l'Annuaire historique de 1831 peut et doit même se séparer de la période précédente.

ans,

En effet, une nouvelle ère s'est levée pour la France et pour l'Europe. Après une lutte de quinze dans laquelle des esprits distingués ont essayé de marier des choses jugées par beaucoup d'autres incompatibles, la liberté constitutionnelle et la légitimité monarchique se sont posées vis-à-vis l'une de l'autre en ennemis irréconciliables, et ont engagé un dernier combat qui a été mortel à la restauration. Alors, la France, quoiqu'elle ne puisse jamais craindre de succomber dans un combat pareil, a voulu du moins en prévenir le retour, en basant son droit politique sur un nouveau principe, en corrigeant ses institutions, et en appelant le duc d'Orléans au trône.

La révision de la Charte et l'avénement d'une autre dynastie appartiennent, il est vrai, à l'année 1830. Mais le second de ces deux grands faits n'a besoin que d'être rappelé ici pour l'intelligence des événements ultérieurs, et, quant au premier, qui est aussi du ressort de l'année suivante, par la discussion de l'article constitutif de la pairie, nous l'avons, en quelque sorte, rendu propre à l'Annuaire de 1831, en réimprimant le texte de la Charte, à l'Appendice, en tête de nos documents officiels.

Voilà tout ce que nous avions à emprunter à l'année 1830, pour pouvoir entamer une nouvelle pé

riode historique complétement indépendante de celle qui l'a précédée; car tous les autres changements importants, survenus en France, datent de 1831. C'est dans cette année que surgissent les plus grands obstacles à la marche du gouvernement sorti de la crise de juillet, que les passions politiques se développent dans toute leur force, que se fait l'épreuve d'une représentation nationale fondée sur des bases plus larges. C'est encore à l'année 1831, ou à la suivante, qu'appartiennent les grandes modifications exécutées dans notre législation, et particulièrement toutes les lois organiques de la Charte; la loi municipale, la loi sur la garde nationale, la loi électorale, la loi sur la pairie, la loi départementale, etc.

Voilà quelques-unes des raisons qui nous paraissent justifier d'une manière péremptoire le parti que nous avons adopté de commencer une nouvelle série. Nous devons ajouter que par suite des circonstances, l'Annuaire historique est devenu nécessaire à une foule de personnes qui, jusqu'alors, avaient pu s'en passer. L'administration, en France, a été renouvelée de fond en comble; d'autres personnages occupent les hautes fonctions civiles, tiennent les premières positions dans l'armée, siégent sur les bancs de la Chambre élective et de la Chambre des pairs. Pour eux aussi, l'Annuaire historique devait ouvrir une nouvelle série; car il conservera toujours, qu'il nous soit permis de l'espérer du moins, la place que les hommes d'État lui ont donnée jusqu'ici dans leur bibliothèque.

Cette série, qui continuera à se distinguer par un

esprit de modération et d'impartialité inaltérable, et recevra également le tribut de l'expérience et des lumières de M. Lesur, a été confiée à un autre écrivain. Heureusement inconnu à tous les partis, étranger à toute querelle politique, sans engagements sur quoi que ce soit, ne voulant que la gloire et le bonheur de sa patrie, cet écrivain offre aujourd'hui son premier volume au public.

Notre récompense serait que ce volume, qui a déjà pour lui le suffrage de M. Lesur, parût porter partout le cachet de l'indépendance, de la justice; en un mot, qu'il fût jugc omme il a été écrit, dans un amour vif et sincère de la vérité historique.

Maintenant faut-il parler de l'intérêt que présente ce volume en raison des grands événements qu'il raconte? En Europe, où deux principes, représentés par des millions de soldats armés, sont à chaque instant sur le point de recommencer les guerres de la révolu tion et de l'empire, la France avec ses luttes intestines et le développement plus ou moins rapide des conséquences de la révolution de juillet; l'Angleterre qui essaie de régénérer ses institutions politiques par des voies purement parlementaires, et sans avoir à subir la grande crise sociale de la France dans les dix dernières années du xvII° siècle; la Belgique où la carte de l'Europe, telle que l'avait dessinée le congrès de Vienne, reçoit une modification si importante; le Portugal où don Miguel peut déjà prévoir que le détrônement de don Pédro sera cause de sa chute à lui-même; l'Espagne qui voit étouffer dans des flots de sang des

tentatives de liberté prématurées; la Suisse complétant une révolution qui a aussi emprunté sa plus grande force à celle de juillet; l'Italie comprimée par les baïonnettes autrichiennes dès quelle tente d'imiter la France et la Suisse ; l'Allemagne travaillée d'un besoin de réformes non moins profond peut-être que les autres parties de l'Europe, mais où les faits s'accomplissent avec une lenteur que l'impatience et la vivacité française s'expliquent difficilement; la Russie et la Pologne luttant corps à corps dans un duel qui, après d'héroïques exploits, ne rapportera encore qu'une gloire stérile à l'infortunée patrie des Sobieski et des Kosciuszko; la Grèce déchirée par des discordes au milieu desquelles le président, Capo-d'Istria, tombe sous les coups de deux assassins; enfin, à l'extrémité de l'Europe, la Turquie dont les efforts de Mahmoud pour la réveiller de son engourdissement ne font que précipiter la décadence, à l'approche d'une guerre, qui attirera l'attention de toute l'Europe, entre le sultan et un vassal plus puissant que son suzerain.

Sans doute, en regard de cet immense théâtre, où tant d'événements d'une si vaste portée se pressent devant les yeux du spectateur, pour l'émouvoir, le frapper, le captiver au plus haut degré, comme dans la plus féconde et la plus animée des chroniques dramatiques de Shakspeare, sans doute l'Amérique n'offrira pas le même attrait. Cependant, il ne faut pas croire que le Nouveau-Monde n'ait pas aussi fourni en 1831 son contingent de révolutions et de catastrophes à l'histoire. Et quand nous n'aurions eu qu'à raconter

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