Page images
PDF
EPUB

Clovis ayant reçu de l'empereur Anastase des lettres de consul, fut revêtu, dans la basilique de SaintMartin, de la tunique de pourpre et de la chlamyde, et posa la couronne sur sa tête. Ensuite, étant monté à cheval, il jeta de sa propre main, avec une extrême bienveillance, de l'or et de l'argent au peuple assemblé sur le chemin qui est entre la porte du vestibule de la basilique de Saint-Martin et l'église de la ville, et, depuis ce jour, il fut appelé consul ou Auguste. Ayant quitté Tours il vint à Paris et y fixa le siége de son empire. Théodoric vint l'y trouver.

A la mort d'Eustoche, évêque de Tours, Licinius fut créé le neuvième évêque de cette ville depuis saint Martin. C'est de son temps qu'eut lieu la guerre dont nous venons de parler, et que le roi Clovis vint à Tours. On rapporte que cet évêque voyagea dans l'Orient, visita les lieux saints, alla même à Jérusalem, et qu'il contempla souvent le théâtre de la passion et de la résurrection de Notre Seigneur, que nous lisons dans l'Évangile.

Le roi Clovis, pendant son séjour à Paris, envoya en secret au fils de Sigebert, lui faisant dire : « Voilà « que ton père est âgé, et il boite de son pied malade: <«< s'il venait à mourir, son royaume t'appartiendrait de <«< droit ainsi que notre amitié. » Séduit par cette ambition, Chlodéric forma le projet de tuer son père. Sigebert étant sorti de la ville de Cologne, et ayant

* Clovis ne fut point nommé consul; il fut seulement revêtu des honneurs consulaires, honneur fréquemment accordé par la cour de Byzance. Le vrai consulat était toujours écrit dans les Fastes, et servait à désigner l'année. Le nom du roi des Francs ne s'y trouve nulle part. (Histoire des Français, par M. de Sismondi, t. 1, p. 228. )

passé le Rhin pour se promener dans la forêt de Buconia, s'endormit à midi dans sa tente; son fils envoya contre lui des assassins et le fit tuer, dans l'espoir qu'il posséderait son royaume. Mais, par le jugement de Dieu, il tomba dans la fosse qu'il avait méchamment creusée pour son père. Il envoya au roi Clovis des messagers pour lui annoncer la mort de son père et lui dire : <«< Mon père est mort, et j'ai en mon pou« voir ses trésors et son royaume. Envoie-moi quel<< ques-uns des tiens, et je leur remettrai volontiers << ceux des trésors qui te plairont. » Clovis lui répondit: « Je rends grâces à ta bonne volonté, et je te « prie de montrer tes trésors à mes envoyés, après << quoi tu les posséderas tous. » Chlodéric montra donc aux envoyés les trésors de son père. Pendant qu'ils les examinaient, le prince dit : « C'est dans ce coffre « que mon père avait coutume d'amasser ses pièces <«< d'or. » Ils lui dirent : « Plongez votre main jus« qu'au fond pour trouver tout. » Lui l'ayant fait et s'étant tout-à-fait baissé, un des envoyés leva sa francisque et lui brisa le crâne. Ainsi cet indigne fils subit la mort dont il avait frappé son père. Clovis, apprenant que Sigebert et son fils étaient morts, vint dans cette même ville, et ayant convoqué tout le peuple il lui dit : « Écoutez ce qui est arrivé. Pen«<dant que je naviguais sur le fleuve de l'Escaut, « Chlodéric, fils de mon parent, tourmentait son « père en lui disant que je voulais le tuer. Comme Sigebert fuyait à travers la forêt de Buconia, Chlo« déric a envoyé contre lui des meurtriers qui l'ont « mis à mort; lui-même a été assassiné, je ne sais par

1 Forêt voisine de Cologne.

[ocr errors]

<«< qui, au moment où il ouvrait les trésors de son père. « Je ne suis nullement complice de ces choses. Je ne puis répandre le sang de mes parens, car cela est « défendu; mais, puisque ces choses sont arrivées, je « vous donne un conseil; s'il vous est agréable, ac« ceptez-le. Ayez recours à moi, mettez-vous sous « ma protection. » Le peuple répondit à ces paroles par des applaudissemens de main et de bouche, et, l'ayant élevé sur un bouclier, ils le créèrent leur roi. Clovis reçut donc le royaume et les trésors de Sigebert et les ajouta à sa domination. Chaque jour Dieu faisait tomber ses ennemis sous sa main et augmentait son royaume, parce qu'il marchait le cœur droit devant le Seigneur et faisait les choses qui sont agréables à ses yeux.

Il marcha ensuite contre le roi Chararic'. Dans la guerre contre Syagrius, Clovis l'avait appelé à son secours; mais Chararic se tint loin de lui et ne secourut aucun parti, attendant l'issue du combat pour faire alliance avec celui qui remporterait la victoire. Indigné de cette action, Clovis s'avança contre lui, et, l'ayant entouré de piéges, le fit prisonnier avec son fils, et les fit tondre tous deux, enjoignant que Chararic fût ordonné prêtre et son fils diacre. Comme Chararic s'affligeait de son abaissement et pleurait, on rapporte que son fils lui dit : « Ces branches ont été coupées << d'un arbre vert et vivant, il ne se sèchera point, et en << poussera rapidement de nouvelles. Plaise à Dieu que <«< celui qui a fait ces choses ne tarde pas davantage à << mourir ! » Ces paroles parvinrent aux oreilles de Clovis, qui crut qu'ils le menaçaient de laisser croître

' Chef Franc établi à Térouane.

leur chevelure et de le tuer; il ordonna alors qu'on leur tranchât la tête à tous deux. Après leur mort, il s'empara de leur royaume, de leurs trésors et de leurs sujets.

Il y avait alors à Cambrai un roi nommé Ragnachaire, si effréné dans ses débauches qu'à peine épargnait-il ses proches parens eux-mêmes. Il avait un conseiller nommé Farron, qui se souillait de semblables déréglemens. On rapporte que lorsqu'on apportait au roi quelque mets ou quelque don, ou quelque objet que ce soit, il avait coutume de dire que c'était pour lui et son Farron, ce qui excitait chez les Francs une indignation extrême. Il arriva que Clovis ayant fait faire des bracelets et des baudriers de faux or (car c'était seulement du cuivre doré), les donna aux Leudes de Ragnachaire pour les exciter contre lui. Il marcha ensuite contre lui avec son armée. Ragnachaire avait des espions pour reconnaître ce qui se passait. Il leur demanda, quand ils furent de retour, quelle pouvait être la force de cette armée. Ils lui répondirent : « C'est un renfort très-considérable pour

I

<< toi et ton Farron. » Mais Clovis étant arrivé lui fit la guerre. Ragnachaire, voyant son armée défaite, se préparait à prendre la fuite lorsqu'il fut arrêté par les soldats, et amené, avec son frère Richaire, les mains

Les Leudes ou Fidèles étaient les compagnons des chefs barbares, les hommes qui s'attachaient à leur personne, formaient leur bande, les suivaient à la guerre, leur promettaient fidélité, et en recevaient en échange des présens qui furent d'abord, comme le dit Tacite, des chevaux, des armes, et plus tard des terres ; les Leudes devinrent alors des vassaux. (Voir, à ce sujet, les Essais sur l'Histoire de France, par M. Guizot, 4 Essai, chap. 1, au §. des Bénéfices, chap. 2, au §. des Leudes.)

liées derrière le dos, en présence de Clovis. Celui-ci lui dit : « Pourquoi as-tu fait honte à notre famille en << te laissant enchaîner? il te valait mieux mourir; » et ayant levé sa hache, il la lui rabattit sur la tête. S'étant ensuite tourné vers son frère il lui dit : « Si « tu avais porté du secours à ton frère, il n'aurait pas « été enchaîné; » et il le frappa de même de sa hache. Après leur mort, ceux qui les avaient trahis reconnurent que l'or qu'ils avaient reçu du roi était faux. L'ayant dit au roi, on rapporte qu'il leur répondit : <«< Celui qui, de sa propre volonté, traîne son maître « à la mort, mérite de recevoir un pareil or; » ajoutant qu'ils devaient se contenter de ce qu'on leur laissait la vie, s'ils ne voulaient pas expier leur trahison dans les tourmens. A ces paroles, eux voulant obtenir sa faveur, lui assurèrent qu'il leur suffisait qu'il les laissât vivre. Les rois dont nous venons de parler étaient les parens de Clovis. Renomer fut tué par son ordre dans la ville du Mans. Après leur mort, Clovis recueillit leurs royaumes et tous leurs trésors. Ayant tué de même beaucoup d'autres rois, et ses plus proches parens, dans la crainte qu'ils ne lui enlevassent l'empire, il étendit son pouvoir dans toute la Gaule. On rapporte cependant qu'ayant un jour assemblé ses sujets, il parla ainsi de ses parens qu'il avait lui-même fait périr: : «< Malheur à moi qui suis resté comme un voyageur «< parmi des étrangers, n'ayant pas de parens qui puis<< sent me secourir si l'adversité venait! » Mais ce n'était pas qu'il s'affligeât de leur mort; il parlait ainsi seulement par ruse, et pour découvrir s'il avait encore quelque parent afin de le faire tuer.

Toutes ces choses s'étant passées ainsi, Clovis mou

« PreviousContinue »