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mari, attendait l'occasion de pouvoir venger son père. Il arriva donc qu'éprise d'un desir d'amour pour un de ses domestiques, elle fit périr son mari par le poison, et, lorsqu'il fut mort, s'en alla avec le domestique. Mais on les prit et on les fit mourir tous deux'. Les Lombards nommèrent alors un autre roi pour les gouverner.

Ennius, surnommé Mummole, fut élevé par le roi Gontran au rang de patrice. Je crois qu'il sera bon de rapporter quelque chose de plus sur l'origine de sa fortune militaire. Il était né de Pæonius et habitait la ville d'Auxerre. Pæonius gouvernait cette ville en qualité de comte. Comme il avait envoyé son fils vers le roi avec des présens, pour obtenir d'être continué dans ses fonctions, celui-ci, au moyen des richesses de son père, brigua le comté pour lui-même, supplanta son père qui l'avait envoyé pour le servir, et, parvenant ensuite par degrés, il s'éleva à la plus haute dignité. Les Lombards ayant fait une irruption dans les Gaules, le patrice Aimé, récemment nommé à la place de Celse, marcha contre eux, et leur ayant livré bataille, prit la fuite et fut tué. Les Lombards firent en cette occasion un tel carnage des Bourguignons qu'il a été impossible de calculer le nombre des morts. Ils retournèrent en Italie chargés de butin. Après leur départ, Ennius, dit Mummole, appelé par le roi, fut élevé à la dignité suprême du patriciat.

I

Grégoire de Tours a défiguré ici la fin de l'histoire de Rosamonde, trop connue pour qu'il soit nécessaire de la rapporter en détail. Elle empoisonna elle-même, à Ravenne où elle s'était réfugiée, Helmichis son amant et son complice dans l'assassinat d'Alboin. Helmichis, se sentant près de mourir, reconnut la main de Rosamonde et la contraignit, l'épée sur la gorge, de boire le reste du poison.

Les Lombards se précipitèrent de nouveau sur les Gaules, et vinrent jusqu'à Mouches-Calmes, près de la ville d'Embrun. Mummole se mit en marche à la tête d'une armée, arriva avec ses Bourguignons, environna les Lombards, et faisant des abattis dans la forêt, passa au travers, tomba sur eux par des chemins détournés, en tua beaucoup et en prit plusieurs qu'il envoya au roi, qui ordonna de les retenir prisonniers en divers lieux. Peu se sauvèrent par la fuite pour aller porter cette nouvelle dans leur pays.

Deux frères, Salone et Sagittaire, tous deux évêques, se montrèrent dans ce combat, armés non pas de la croix céleste, mais de la cuirasse et du casque séculiers; et ce qu'il y a de pis, ils tuèrent, dit-on, beaucoup des ennemis de leur propre main. Ce fut ici la première fois que Mummole vainquit dans les combats. Ensuite les Saxons, qui étaient venus en Italie avec les Lombards, firent une nouvelle irruption dans les Gaules et campèrent sur le territoire de Riez dans le domaine d'Establon, parcourant les métairies appartenant aux villes voisines, enlevant du butin, emmenant des captifs et ravageant tout. Mummole l'ayant appris se mit en marche avec son armée, tomba sur eux et en tua plusieurs milliers, sans cesser le carnage jusqu'au soir, où la nuit l'obligea de l'interrompre; car il les avait surpris à l'improviste au moment où ils ne se doutaient nullement de ce qui allait leur arriver. Le matin venu, les Saxons rangèrent leur armée et se préparèrent au combat; mais des messagers passèrent de l'un à l'autre camp et conclurent la paix. Ils firent des présens à Mummole et s'en allèrent laissant tout le butin

et les captifs qu'ils avaient faits dans le pays; mais ils jurèrent, avant de s'éloigner, qu'ils reviendraient se mettre sous l'obéissance des rois et porter secours aux Francs. Étant donc retournés en Italie, ils prirent avec eux leurs femmes, leurs petits enfans et tout leur mobilier pour revenir dans les Gaules, et recueillis par le roi Sigebert, s'établirent dans le lieu d'où ils étaient sortis. Ils se partagèrent en deux troupes appelées coins. L'une des deux vint par la ville de Nice, l'autre par Embrun, tenant la même route que l'année précédente. Ils se réunirent sur le territoire d'Avignon ; c'était alors le temps de la moisson et la plus grande partie des fruits de la terre était dehors, et les habitans n'en avaient encore rien serré dans leurs demeures. Les Saxons donc venaient dans les aires, se partageaient les épis, les mettaient en gerbes, les battaient et mangeaient le grain sans en rien laisser à ceux qui l'avaient cultivé; mais lorsqu'après avoir consommé la récolte, ils approchèrent des bords du Rhône pour passer le torrent, et se rendre dans le royaume du roi Sigebert, Mummole se présenta à leur rencontre, disant: « Vous ne passerez pas ce torrent. Voilà que vous «< avez dépeuplé les pays du roi mon maître, re<«< cueilli les épis, ravagé les troupeaux, livré les « maisons aux flammes, abattu les oliviers et les

vignes; vous ne remonterez pas sur ce rivage que « vous n'ayez d'abord satisfait ceux que vous avez « laissés dans la misère. Et si vous ne le faites, vous «< n'échapperez pas de mes mains sans avoir senti le « le poids de mon épée sur vous, sur vos femmes et « sur vos enfans, pour venger l'injure du roi mon

«< maître.»> Saisis d'une grande frayeur, ils donnèrent pour se racheter beaucoup de milliers de pièces d'or, et alors il leur fut permis de passer, et ils arrivèrent en Auvergne. C'était alors le printemps; ils y portèrent des pièces d'airain gravées, qu'ils donnaient pour de l'or, et ceux qui les voyaient ne pouvaient douter que ce ne fût de l'or essayé et éprouvé, tant elles étaient bien colorées par je ne sais quel art. En sorte que beaucoup de gens trompés par cette fraude, donnant de l'or et recevant du cuivre, tombèrent dans la pauvreté. Les Saxons s'étant rendus près du roi Sigebert furent établis dans le lieu d'où ils étaient d'abord sortis.

Sous le règne du roi Sigebert, Jovin ayant été dépouillé de la dignité de gouverneur de la Provence, Albin fut mis à sa place, ce qui excita entre eux une grande inimitié. Il était arrivé au port de Marseille des vaisseaux venus de par-delà les mers. Les gens de l'archidiacre Vigile dérobèrent, à l'insu de leur maître, soixante-dix vases, vulgairement nommés tonneaux, remplis d'huile et de graisse le négociant s'apercevant qu'on lui avait dérobé par le vol ce qui lui appartenait, commença à rechercher soigneusement en quel lieu avait été caché le larcin. Comme il s'informait, quelqu'un lui dit que cela avait été fait par les gens de l'archidiacre Vigile. Le bruit en parvint à l'archidiacre qui, s'étant enquis et trouvant la chose vraie, ne voulut pas l'avouer, mais commença à justifier ses gens, en disant : « Il n'y a personne « dans ma maison qui osât commettre une telle chose. » L'archidiacre, dis-je, niant donc de cette manière, le négociant eut recours à Albin, intenta une poursuite,

exposa son affaire, et accusa l'archidiacre de complicité dans ce crime de fraude. Le jour de la naissance du Seigneur, l'évêque s'étant rendu dans la cathédrale, l'archidiacre, présent et vêtu de l'aube, invitait, selon l'usage, l'évêque à s'approcher de l'autel, afin de célébrer en temps opportun la solennité de ce saint jour; aussitôt Albin, se levant de son siége, saisit et entraîna l'archidiacre, le frappa des pieds et des poings, et le fit conduire dans les prisons. Jamais ni l'évêque, ni les citoyens, ni les hommes des premières familles, ni les clameurs du peuple qui s'écriait tout d'une voix, ne purent obtenir qu'en donnant caution, l'archidiacre demeurât pour célébrer avec les autres la sainteté de ce jour, et qu'on remît ensuite à entendre son accusation. Le respect de ces saintes solennités n'empêcha pas que, dans un si grand jour, on n'osât arracher des autels un ministre du Seigneur : que dirai-je de plus ? L'archidiacre fut condamné à une amende de quatre mille sous d'or; mais l'affaire ayant été portée devant le roi Sigebert, Albin, à la poursuite de Jovin, fut obligé de payer, par composition à l'archidiacre, le quadruple de la

somme.

Après ce temps, trois chefs lombards, Amon, Zaban et Rhodan, firent une irruption dans la Gaule. Amon prit la route d'Embrun jusqu'à Macheville, dans le territoire d'Avignon, domaine que Mummole tenait d'un présent du roi, et y fixa ses tentes. Zaban descendit par la ville de Die jusques à Valence et y plaça son camp; et Rhodan, arrivé à Grenoble, y déploya ses pavillons. Amon ravagea aussi toute la province d'Arles et les villes situées

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