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mensonges, calomniateur de la reine, accusateur d'un évêque, à être exclus de toutes les églises pour s'être soustrait à leur jugement; et on envoya des lettres aux évêques qui n'avaient pas été présens, pour leur faire part de cette résolution; après chacun s'en retourna chez soi. Leudaste, ayant appris ce qui s'était fait, voulut se réfugier dans la basilique de Saint-Pierre de Paris; mais instruit de l'édit par lequel le roi défendait qu'il fût reçu de personne dans son royaume, et comme son fils qu'il avait laissé dans sa maison venait de mourir, il se rendit secrètement à Tours, et fit passer à Bourges ce qu'il avait de meilleur. Poursuivi des serviteurs du roi, il s'échappa par la fuite; sa femme ayant été prise, fut envoyée en exil dans le diocèse de Tournai; le clerc Riculphe fut condamné à mort ; j'eus grand'peine à obtenir sa vie, et ne pus l'exempter des tourmens. Je ne crois pas qu'aucune chose inanimée, aucun métal eût pu résister à tous les coups que supporta ce pauvre misérable. A la troisième heure on le suspendit à un arbre, les mains liées derrière le dos; on le détacha à la neuvième, et on l'étendit sur des roues, où il fut frappé à coups de bâton, de verges, de courroies mises en double; et cela non pas seulement par un ou deux hommes, mais tant qu'il en pouvait approcher de ses misérables membres, tous le frappaient. Tandis qu'il était dans ces tourmens, il découvrit la vérité, et déclara publiquement tout le secret de sa fourberie. Il dit qu'on avait accusé la reine afin de la faire chasser du trône, et que Clovis, après avoir tué ses frères, pût entrer en possession du royaume de son père, et que Leudaste en eût le gouvernement. Le prêtre Ri

culphe qui, déjà du temps du bienheureux évêque Euphronius, était ami de Clovis, aurait demandé l'évêché de Tours, et l'archidiaconat avait été promis à Riculphe le clerc. Revenu à Tours par la grâce de Dieu, nous y trouvâmes l'église mise en grand désordre par Riculphe le prêtre. Tiré sous l'évêque Euphronius de la classe des pauvres, il avait été ordonné archidiacre; de là élevé à la prêtrise, il revint à son naturel, toujours hautain, bouffi d'orgueil, présomptueux. Tandis que j'étais avec le roi, il entra impudemment dans la maison épiscopale, comme s'il eût été déjà évêque; il fit l'inventaire de l'argenterie de l'église, s'empara de tout le reste, fit des présens aux principaux clercs, leur distribua des vignes, des prés; aux moindres il donna de sa propre main des coups de bâton, et leur fit souffrir beaucoup de maux, leur disant : « Recon<< naissez votre maître qui a obtenu la victoire sur ses << ennemis, et par son esprit a nettoyé la ville de Tours << des natifs de l'Auvergne. » Il ne savait pas, ce misérable, qu'excepté cinq, tous les évêques qui avaient occupé le siége de Tours, étaient alliés de parenté à notre famille; il avait coutume de dire à ses familiers qu'un homme prudent ne peut être trompé que par des parjures. Comme, à mon retour, il continua à me témoigner du mépris et ne vint pas me saluer comme le firent les autres citoyens, mais qu'il menaçait encore plus haut de me tuer, j'ordonnai, d'accord avec le conseil provincial, qu'il fût envoyé dans un monastère. Tandis qu'il y était étroitement renfermé, il survint des gens envoyés par l'évêque Félix qui avait été un des fauteurs du procès dont je viens de parler; et l'abbé s'étant laissé tromper par des parjures, Ri

culphe s'enfuit, et alla trouver Félix, qui l'accueillit avec empressement, au lieu qu'il aurait dû l'avoir pour exécrable. Leudaste, se rendant à Bourges, y emporta avec lui tous les trésors qu'il avait amassés des dépouilles des pauvres ; mais peu de temps après, les gens de Bourges, ayant à leur tête le juge du lieu, se précipitèrent dans sa demeure, et lui enlevèrent son or, son argent et tout ce qu'il avait apporté avec lui, ne lui laissant que l'habit qu'il avait sur le corps; ils l'auraient même tué s'il ne se fût sauvé par la fuite. Mais ayant repris courage, il se mit à la tête de quelques gens de Tours, et tombant à son tour sur ces voleurs, il en tua un, reprit ce qu'ils lui avaient enlevé et revint à Tours.Le duc Bérulphe l'ayant appris, envoya des serviteurs armés pour se saisir de lui. Voyant qu'il allait être pris, il abandonna ses effets et se réfugia dans la basilique de Saint-Hilaire de Poitiers. Le duc Bérulphe prit ses effets et les envoya au roi; mais Leudaste sortait de la basilique, et faisait des irruptions dans plusieurs maisons, se livrant publiquement au pillage. On le surprit souvent en adultère dans l'enceinte des saints portiques. La reine, irritée de ce qu'il souillait de cette manière la maison sacrée du Seigneur, ordonna qu'il fût chassé de la basilique du saint. Ayant été chassé, il retourna chez ses hôtes de Bourges, les suppliant de le cacher.

J'aurais dû rapporter plus haut ma conversation avec le bienheureux évêque Sauve; mais puisque je l'avais oublié, ce ne sera pas, je crois, un sacrilége d'en rendre compte après d'autres choses. Après le synode dont j'ai parlé, j'avais déjà dit adieu au roi, et me préparais à m'en retourner chez moi; mais ne vou

lant pas m'en aller sans avoir dit adieu à Sauve et l'avoir embrassé, j'allai le chercher, et le trouvai dans la cour de la maison de Braine'; je lui dis que j'allais retourner chez moi, et nous étant éloignés un peu pour causer, il me dit : « Ne vois-tu pas au-des<<< sus de ce toit ce que j'y aperçois? — J'y vois, lui dis-je, un second petit bâtiment que le roi a der« nièrement fait élever au-dessus; » et lui dit : « N'y «< vois-tu pas autre chose? Je n'y vois, lui dis-je, << rien autre chose. » Supposant qu'il parlait ainsi par manière de jeu, j'ajoutai : « Si tu vois quel<< que chose de plus dis-le-moi. » Et lui, poussant un profond soupir, me dit : « Je vois le glaive de la «< colère divine tiré et suspendu sur cette maison. >> Et véritablement les paroles de l'évêque ne furent pas menteuses, car, vingt jours après, moururent, comme nous l'avons dit, les deux fils du roi.

1 Ou Berni.

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LIVRE SIXIÈME.

La sixième année de son règne, le roi Childebert ayant rompu sa paix avec Gontran, s'allia avec Chilpéric. Gogon mourut peu de temps après et Wandelin fut mis à sa place. Mummole s'enfuit du royaume de Gontran et alla s'enfermer dans les remparts d'Avignon. Un synode d'évêques fut assemblé à Lyon; il discuta et termina diverses affaires et condamna ceux qui avaient le plus gravement manqué à leurs devoirs. Le synode revint vers le roi et s'occupa beaucoup de l'affaire du duc Mummole, et de plusieurs des querelles qui régnaient alors.

Cependant les envoyés du roi Chilpéric, partis trois ans auparavant pour aller vers l'empereur Tibère, revinrent non sans avoir souffert beaucoup de maux et de fatigues; car n'ayant pas osé, à cause de la division qui était entre les rois, aborder au port de Marseille, ils débarquèrent à la ville d'Agde située dans le royaume des Goths; mais avant qu'ils eussent atteint le rivage, leur navire, agité par les vents, fut jeté contre terre et brisé en pièces. Les envoyés se voyant en danger, ainsi que leurs serviteurs, s'attachèrent à des planches et arrivèrent ainsi à grand'peine sur le rivage. Beaucoup de leurs serviteurs périrent, mais plusieurs se sauvèrent. Les gens du pays s'emparèrent de ceux de

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