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de Saint-Martin évêque, où le roi Clotaire était venu faire l'oraison, et, ayant employé, sans se coucher, toute la nuit en veille, il fit demander au roi, par les grands qui se trouvaient présens, de ne pas l'éloigner de sa présence comme un captif, et de ne pas exposer sa simplicité aux peines qu'elle aurait à souffrir parmi des sénateurs sophistes et des juges philosophes, l'assurant que ce siége serait pour lui un lieu d'humiliation plutôt que d'honneur. Le roi ayant consenti à ce qu'il desirait, lorsqu'Innocent, évêque du Mans, passa de ce monde en l'autre, il lui donna le siége de cet évêque. Domnole, arrivé à l'épiscopat, déploya tant et de tels mérites qu'arrivé au comble de la plus haute sainteté, il rendit au boîteux l'usage de ses jambes, à l'aveugle celui de la vue. Après vingtdeux ans d'épiscopat, se voyant cruellement tourmenté de la jaunisse et de la pierre, il choisit il choisit pour successeur l'abbé Théodulphe. Le roi confirma ce choix par son consentement. Mais peu de temps après ayant changé d'avis, il nomma à la place Badégésile, maire du palais royal, qui, ayant été tonsuré, passa par les degrés de la cléricature, et, quarante jours après, l'évêque étant sorti de ce monde, il lui succéda.

En ces jours-là, des voleurs entrèrent par effraction dans la basilique de Saint-Martin, plaçant contre la fenêtre de la chapelle un treillage qu'ils trouvèrent sur un tombeau, et montant par-là ils pénétrèrent en brisant les vitres. Ils emportèrent beaucoup d'or et d'argent, des voiles de soie, et ne craignirent pas, en s'en allant, de poser le pied sur le saint sépulcre où nous osons à peine appliquer notre bouche. Mais la puissance du saint voulut faire éclater par un juge

ment terrible le châtiment de cette témérité. Car ceux qui avaient commis ce crime s'étant rendus à Bordeaux, il s'éleva entre eux une querelle, et l'un d'eux en tua un autre. Le fait s'étant découvert par ce moyen, on retrouva ce qui avait été volé, et on prit dans leurs maisons l'argenterie mise en morceaux et les voiles de soie. La chose ayant été annoncée au roi Chilpéric, il ordonna qu'ils fussent enchaînés et conduits en sa présence; mais alors craignant que des hommes ne mourussent à cause de celui qui, durant sa vie corporelle, avait souvent prié en faveur de ceux qu'on voulait mettre à mort, j'envoyai au roi une lettre de prières pour qu'il ne fìt pas mourir ces hommes, puisqu'ils n'étaient pas accusés par nous à qui en appartenait la poursuite. Il reçut favorablement ma demande et leur accorda la vie. Il fit soigneusement remettre en état l'argenterie qui avait été brisée, et ordonna qu'elle fût replacée dans le lieu saint.

L'évêque Théodore de Marseille commença à se trouver cruellement exposé aux embûches de Dynamius gouverneur de la province; et comme il se disposait à aller trouver le roi, le gouverneur le saisit au milieu de la cité, le retint, lui fit subir beaucoup d'outrages; après quoi cependant il le relâcha. Le clergé de Marseille s'unissait à Dynamius pour machiner contre l'évêque des fourberies, afin de le dépouiller de l'épiscopat, et comme il se rendait auprès du roi Childebert, le roi Gontran ordonna de le retenir avec l'ex-préfet Jovin. Le clergé de Marseille l'ayant appris fut rempli d'une grande joie de le savoir déjà emprisonné, déjà condamné à l'exil; et pour que les choses demeuras

sent en cet état, et qu'il ne revînt jamais à Marseille, ils s'emparèrent de la maison épiscopale, firent l'inventaire des ornemens destinés au service de l'autel, ouvrirent les portes, dépouillèrent les celliers et se saisirent, comme si l'évêque était mort, de tout ce qui appartenait à l'église, portant contre le pontife diverses accusations, qui, grâce à Jésus-Christ, ont été reconnues fausses. Childebert ayant fait la paix avec Chilpéric, adressa des envoyés au roi Gontran pour qu'il lui remît la moitié de Marseille qu'il lui avait donnée après la mort de son père, lui faisant savoir que, s'il s'y refusait, ce refus lui coûterait cher; mais celui-ci, ne voulant pas la rendre, fit fermer les routes de son royaume, afin qu'aucun n'y pût trouver passage pour le traverser. Ce que voyant Childebert, il envoya à Marseille Gondulphe homme de naissance sénatoriale, et que de domestique il avait fait duc'. Comme il n'osait pas traverser le royaume de Gontran, il vint à Tours. Je le reçus avec amitié et le reconnus pour un oncle de ma mère; je le retins cinq jours avec moi, et lui ayant donné ce dont il avait besoin je le laissai aller ;

Les domestiques des rois Francs étaient les hommes attachés à la personne du prince et qui logeaient dans l'intérieur du palais; ils étaient sous les ordres d'un chef appelé le comte des domestiques; leur condition, loin d'être servile, était au contraire une des plus élevées; les lois barbares leur donnent le titre d'optimates; les principaux d'entre eux siégeaient dans les plaids ou cours judiciaires du prince; c'étaient, en un mot, des fidèles plus spécialement attachés au service personnel de leur seigneur. Du reste cette signification du mot domestique s'est perpétuée dans le moyen âge et jusque vers la fin du 17. siècle; les jeunes gens qui recevaient dans un château leur éducation chevaleresque étaient souvent appelés domestiques ou gens de la maison, et le cardinal de Richelieu avait un grand nombre de gentilshommes parmi ses domestiques.

il continua sa route, mais Dynamius ne permit pas qu'il pût entrer dans Marseille, ni que l'évêque qui venait avec Gondulphe fût reçu dans sa cathédrale. D'accord avec le clergé, il avait fait fermer les portes de la ville et de là il insultait avec mépris l'évêque et Gondulphe. Cependant, étant sorti pour conférer avec le duc, il se rendit à la basilique de saint Etienne située près de la ville; les portiers qui en gardaient l'entrée eurent soin de fermer la porte aussitôt que Dynamius y eut été introduit, en sorte que la troupe de gens armés qui le suivait demeura dehors sans pouvoir entrer. Celui-ci, n'en sachant rien, après avoir conféré de diverses choses sur l'autel avec ceux qu'il était venu trouver, s'en éloigna, ainsi qu'eux, et ils entrèrent dans la sacristie. Lorsqu'ils y furent entrés avec Dynamius, alors dépourvu du secours des siens, ils tombèrent sur lui d'une terrible manière, et ayant mis en fuite les satellites qui, voyant qu'on le retenait, faisaient retentir leurs armes autour de la porte, le duc Gondulphe réunit les principaux citoyens autourde l'évêque, afin qu'il entrât avec eux dans la ville. Dynamius voyant tout ce qui venait de se passer demanda pardon, fit au duc beaucoup de présens et prêta serment d'être à l'avenir fidèle à l'évêque et au roi. Après quoi on lui rendit ses vêtemens. Alors s'ouvrirent les portes de la ville et celles des édifices sacrés; le duc et l'évêque entrèrent dans la cité, au milieu des acclamations et des signes de joie, et précédés de divers drapeaux en signe d'honneur. Les clercs impliqués dans le crime, et à la tête desquels se trouvaient l'abbé Anastase et le prêtre Procule, se réfugièrent dans la maison de Dynamius, demandant à

celui qui les avait excités, de leur prêter le secours d'un asile. Plusieurs d'entre eux, renvoyés sous caution, recurent l'ordre d'aller trouver le roi. Cependant Gondulphe, ayant remis la ville sous la puissance du roi Childebert et rétabli l'évêque dans son siége, retourna vers le roi. Mais Dynamius, oubliant la fidélité qu'il avait promise au roi Childebert, envoya des messagers au roi Gontran pour lui dire que l'évêque lui ferait perdre la portion de la cité qui lui appartenait et que jamais, à moins de le chasser de la ville de Marseille, il ne pourrait la soumettre à sa puissance. Alors, ému de colère, Gontran ordonna, malgré le respect dû à la religion, que le pontife du Dieu tout-puissant lui fût amené chargé de liens, disant : «Que l'ennemi de notre royaume soit envoyé en « exil, afin qu'il ne puisse nous nuire plus long<< temps. » Et comme l'évêque se tenait sur ses gardes et qu'il n'était pas aisé de l'enlever de la ville, arriva le jour où se fêtait la dédicace d'un oratoire rural situé près de la ville. L'évêque était sorti pour se rendre à cette fête, lorsqu'en route il fut attaqué subitement par des hommes armés qui, se précipitant avec grand bruit hors d'une embuscade où ils s'étaient cachés, l'entourèrent, le jetèrent à bas de son cheval, mirent en fuite tous ceux qui l'accompagnaient, lièrent ses serviteurs, battirent ses clercs, et le mettant lui-même sur un misérable cheval, sans permettre à aucun des siens de le suivre, l'emmenèrent pour le conduire en la présence du roi. Comme ils traversaient la ville d'Aix, Pientius, évêque de ce lieu, plein de compassion pour son frère, lui donna des clercs pour l'assister et ne le laissa partir

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