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arrivent à la connaissance des hommes à venir. Je n'ai pu taire ni les querelles des méchans ni la vie des gens de bien. J'ai été surtout excité par ce que j'ai souvent entendu dire à mes contemporains, que peu d'hommes comprennent un rhéteur philosophe, tandis que la parole d'un homme simple et sans art se fait entendre d'un grand nombre. Il m'a plu aussi de commencer ce livre par le calcul des années qui se sont écoulées depuis l'origine du monde; c'est pourquoi j'ai ajouté les chapitres suivans.

MÉMOIRES

DE

GRÉGOIRE DE TOURS.

HISTOIRE DES FRANCS.

LIVRE PREMIER.

ME Me disposant à écrire les guerres des rois avec les nations ennemies, celles des martyrs avec les païens, et de l'Église avec les hérétiques, je veux auparavant exposer ma profession de foi, afin que ceux qui me liront ne doutent pas que je suis catholique. Une autre raison, l'opinion de ceux qui se désolent de l'approche de la fin du monde, me détermine aussi à recueillir, dans les chroniques et les histoires, le nombre des années déjà passées, afin qu'on sache clairement combien il s'en est écoulé depuis le commencement du monde. Je réclamerai d'abord l'indulgence du lecteur si je me suis écarté, dans le style ou dans les mots, des règles de la grammaire dont je ne suis très-bien instruit. Je me suis seulement appliqué à bien retenir, avec simplicité et sans doute de cœur, ce dont l'Église prêche la croyance, car je sais que l'homme, sujet aux péchés, peut obtenir grâce par une foi pure auprès de notre clément Seigneur.

I.

I

pas

GRÉGOIRE De tours.

Je crois donc en Dieu père tout-puissant; je crois en Jésus-Christ son fils unique, notre Seigneur Dieu, né du Père et non créé; je crois qu'il a toujours été avec le père, non depuis un temps, mais avant tous les temps; car on ne pourrait appeler celui-ci père s'il pas de n'avait pas de fils, ni celui-ci fils s'il n'avait père. Je rejette avec exécration ceux qui disent: Il était quand il n'était pas, etc. et j'affirme qu'ils sont rejetés de l'Église. Je crois que le Christ est le Verbe du Père, par qui toutes choses ont été faites. Je crois que ce Verbe a été fait chair et que, par sa Passion, il a racheté le monde. Je crois que son humanité et non sa divinité a été soumise à la Passion. Je crois qu'il ressuscita le troisième jour, qu'il délivra l'homme perdu, qu'il monta dans les cieux où il est assis à la droite du Père, et qu'il viendra pour juger les vivans et les morts. Je crois que le Saint-Esprit procède du ne leur est pas inférieur, qu'il Père et du Fils, qu'il ne leur est existait en même temps. Je crois qu'il est Dieu égal au Père et au Fils, étant d'une même nature, d'une omnipotence égale, d'une essence coéternelle, de telle sorte qu'il n'a jamais été sans le Père et le Fils, et qu'il n'est inférieur ni à l'un ni à l'autre. Je crois que cette sainte Trinité subsiste dans la distinction des personnes, et qu'autre est la personne du Père, autre celle du Fils, autre celle du Saint-Esprit. Dans cette Trinité, je confesse un seul Dieu, une seule puissance et une seule essence. Je crois à la bienheureuse Marie, vierge avant l'enfantement et vierge après. Je crois à l'immortalité de l'ame; mais je ne crois pas qu'elle ait une part de divinité. Je crois fidèlement à tout ce qui a été établi par les trois cent dix-huit évêques du con

cile de Nicée. Je pense, sur la fin du monde, ce que j'ai appris de mes anciens. L'antechrist d'abord introduira la circoncision, affirmant qu'il est le Christ; ensuite il placera sa statue pour qu'on l'adore dans le temple de Jérusalem, comme nous lisons que l'a dit le Seigneur : « Vous verrez que l'abomination de la << désolation sera dans le lieu saint1. » Mais le Seigneur lui-même montre par ces paroles que tous les hommes ignorent cette heure : « Quant à ce jour-là ou à cette <«< heure, nul ne la sait, ni les anges qui sont dans << le ciel, ni le Fils, mais le Père seul'. » Nous répondrons ici aux hérétiques qui affirment que le Fils est inférieur au Père puisqu'il ignore ce jour; qu'ils sachent donc que le Fils ici nommé est le peuple chrétien, duquel Dieu a dit : « Je serai votre père, et vous <«< serez mes fils et mes filles 3. » S'il avait voulu parler de son fils unique, il n'eût jamais mis les anges auparavant, car il dit : « Ni les anges qui sont dans le ciel <«< ni le Fils; » ce qui fait voir que ces paroles se rapportent, non à son fils unique, mais à son peuple adoptif. Notre fin à nous, c'est le Christ lui-même qui, par son immense bonté, nous accordera la vie éternelle, si nous avons recours à lui.

Eusèbe, évêque de Césarée, et le prêtre Jérôme, dans leurs chroniques, parlent clairement du calcul des années du monde, et en expliquent le nombre. Orose, après de laborieuses recherches, a calculé aussi le nombre des années depuis le commencement du monde jusqu'à son temps. Victor, cherchant l'ordre

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2

Évang. sel. S. Mathieu, chap. 24, v. 15.

Évang. sel. S. Marc, chap. 13, v. 32.

3 II Épit. de S. Paul aux Corinth., chap. 6, v. 18.

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GRÉGOIRE DE TOURS.

de la fête de Pâques, a fait le même travail. Suivant l'exemple de ces auteurs, nous avons le dessein, si Dieu daigne nous prêter son secours, de calculer le nombre des années qui se sont écoulées depuis la naissance du premier homme jusqu'à nos jours. Nous le ferons plus aisément en commençant par Adam.

qui Au commencement Dieu créa dans son Christ, est le principe de toutes choses, c'est-à-dire dans son Fils, le ciel et la terre. Après avoir créé les élémens du monde, il prit une motte d'un fragile limon et en forma l'homme à son image et à sa ressemblance; il souffla dans sa structure l'esprit et la vie, et l'homme fut formé en ame vivante. Pendant qu'il dormait, Dieu lui ôta une côte dont il forma Ève. Il est hors de doute que ce premier homme, Adam, avait, avant qu'il eût péché, les traits du Seigneur notre Rédempteur. Car pendant que Notre-Seigneur était plongé lui-même dans le sommeil de la Passion, de l'eau et du sang s'écoulèrent de son côté, et il produisit l'Église vierge et immaculée, rachetée par ce sang, purifiée par cette eau, n'offrant ni tache ni ride, c'est-à-dire purgée de toute tache et de toute ride par la vertu du baptême et de la croix. Ces deux premières créatures humaines, qui vivaient heureusement au milieu des délices du Paradis, séduites par la ruse du serpent, transgressèrent les préceptes divins, et, chassées de ce séjour céleste, elles furent jetées dans les fatigues du monde.

La femme conçut de son mari, et enfanta deux fils. Dieu ayant accueilli avec bienveillance le sacrifice de l'un, l'envie s'empara de l'autre qui, devenant le premier parricide par l'effusion du sang fraternel, se ta sur son frère, le vainquit et le tua.

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