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guerres des rois et les vertus des martyrs. Nous en avons usé de même en cet écrit, afin qu'il fût plus aisé de suivre jusqu'à nos jours la série des temps et le calcul des années. Passant donc sur ce qu'ont raconté les auteurs dont on vient de parler, nous rapporterons, avec l'aide de Dieu, les choses arrivées depuis.

Après la mort de saint Martin, évêque de Tours, homme éminent et incomparable, dont les vertus nous sont rapportées en de nombreux volumes, Brice lui succéda dans l'épiscopat. Cependant, durant la vie de saint Martin sur la terre, Brice lui avait tendu beaucoup d'embûches, parce que celui-ci lui avait souvent reproché de se livrer à des choses de peu de travail. Un jour, un malade, voulant demander à saint Martin quelque remède, vint trouver Brice, qui n'était encore que diacre, et lui dit avec simplicité : « Voilà que j'attends le saint homme, et je ne sais où «< il est, ni ce qu'il fait. » Brice lui dit : « Si tu cher«<ches ce fou, regarde là bas; le voilà qui considère <«< le ciel selon sa coutume, comme un homme hors « de séns. » Et lorsque ce pauvre, l'ayant rencontré, eut obtenu ce qu'il demandait, le saint homme parla ainsi à Brice: « Brice, je te parais donc fou ? » Comme celui-ci, confus en entendant ces mots, niait qu'il eût parlé ainsi, le saint homme lui dit : « Mes oreilles «< n'étaient-elles pas près de ta bouche quand tu pro

nonçais là bas ces paroles? Je te dis amen, car j'ai << obtenu de Dieu qu'après moi tu fusses honoré du «< pontificat; mais tu connaîtras que dans l'épiscopat « tu es destiné à bien des peines. » Brice, entendant ces paroles, s'en moqua en disant : « N'avais

« je pas dit vrai, que cet homme parlait comme «< un insensé ? » Admis à la dignité de prêtre, il harcela souvent le saint homme de ses insultes. Ayant ensuite obtenu, du consentement des citoyens, les fonctions pontificales, il s'adonna à l'oraison. Quoiqu'il fût orgueilleux et vain, il passait cependant pour chaste de corps. Mais, dans la trente-troisième année de son épiscopat, il s'éleva contre lui une déplorable accusation de crime; car, une femme à qui ses domestiques avaient coutume de porter ses vêtemens à laver, et qui, sous l'apparence de religion, avait pris l'habit, vint à concevoir et enfanta. Cette circonstance enflamma de colère tout le peuple de Tours; il imputa ce crime à l'évêque, et il n'y avait qu'une voix pour le lapider, et le peuple disait : « Long« temps tu as caché ta luxure sous les dehors de la

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piété d'un saint, et Dieu ne permet pas que nous << nous souillions plus long-temps à baiser tes indignes « mains. » Lui, au contraire, niant avec force, dit : Apportez-moi l'enfant. » Et quand on lui eut apporté l'enfant, âgé de trente jours, l'évêque Brice lui dit : « Je te conjure, au nom de Jésus-Christ, fils du << Dieu tout-puissant, si je t'ai engendré, de le dire << en présence de tout le monde. » Et celui-ci dit: « Tu n'es pas mon père. » Et le peuple le priant de demander qui était le père, le prêtre répondit : « Cela << ne me regarde pas. Je me suis occupé de ce qui me regardait; si quelque chose vous intéresse, deman«dez-le vous-même. >>

Alors, soutenant que ceci avait été opéré par l'art de la magie, tous, d'un commun accord, se soulevèrent contre lui; et, l'entraînant, ils lui disaient :

« Tu ne nous gouverneras pas plus long-temps sous le <«< faux nom de pasteur. » Mais celui-ci, pour faire connaître la vérité au peuple, mit dans sa robe des charbons ardens, et, les pressant sur lui, il arriva, avec la foule du peuple, au tombeau de saint Martin, et, lorsqu'il eut jeté les charbons devant le tombeau, on vit son vêtement exempt de brûlure, et il parla ainsi : « De même que vous voyez mon vêtement «< préservé de l'atteinte de ce feu, de même mon «< corps est pur de toute souillure d'attouchement ou « d'approche de femme. » Mais eux, ne le croyant pas et contestant ce qu'il leur disait, il fut entraîné, calomnié et chassé, afin que ces paroles du saint fussent accomplies: « Tu connaîtras que dans l'épiscopat « tu es destiné à bien des peines. » Après l'avoir chassé, on éleva Justinien à l'épiscopat. Enfin Brice alla trouver le pape de Rome, et pleurant et se lamentant, il disait : « J'ai mérité de souffrir ces peines, «< parce que j'ai péché contre le saint de Dieu, car je << l'ai souvent appelé fou et insensé, et que, témoin « de ses vertus, je n'y ai pas cru! » Après son départ les Tourangeaux dirent à leur évêque: « Vas après «<lui, et fais ce que tu as à faire, parce que si tu ne «<le poursuis pas, tu auras le dessous, à notre grand « déshonneur. » Mais Justinien étant parti de Tours, et ayant atteint Verceil, ville d'Italie, frappé du jugement de Dieu, mourut durant son voyage. Les Tourangeaux, apprenant sa mort, et persévérant dans leur haine, instituèrent à sa place Armence. Mais l'évêque Brice étant arrivé à Rome, instruisit le pape de ce qu'il avait souffert; et, durant son séjour dans la résidence apostolique, ayant célébré plusieurs fois le

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sacrifice de la messe, il lava par ses pleurs les fautes qu'il avait commises envers le saint de Dieu. Étant revenu de Rome la septième année, il se prépara, avec l'autorisation du pape, à retourner à Tours. Et étant arrivé à un village nommé Mont-Louis, à six milles de la ville, il y établit sa demeure. Cependant Armence fut attaqué de la fièvre et rendit l'esprit au milieu de la nuit. Une vision l'ayant aussitôt révélé à l'évêque Brice, il dit aux siens : « Levez-vous promp«< tement, pour que nous allions à la rencontre de « notre frère l'évêque de Tours, afin de l'ensevelir. » Et comme ils entraient par une porte de la ville on emportait le mort par une autre. Celui-ci étant enterré, Brice rentra en possession de son siége, et vécut ensuite heureusement l'espace de sept années. Après sa mort, arrivée la quarante-septième année de son épiscopat, il eut pour successeur saint Eustoche, homme très-grand en sainteté.

Ensuite les Vandales, quittant leur pays, vinrent avec leur roi Gunderic pour faire une irruption dans les Gaules. Après y avoir commis de grands ravages, ils se dirigèrent sur l'Espagne. Les Suèves, c'est-àdire les Allemands, les y suivirent et s'emparèrent de la Galice. Peu de temps après, comme les deux peuples étaient voisins l'un de l'autre, il y eut du bruit entre eux; ils marchèrent en armes pour se faire la guerre: déjà ils étaient prêts à combattre, lorsque le roi des Allemands parla ainsi : « Jusques à quand la « guerre s'agitera-t-elle sur la totalité de ce peuple? << Je vous en conjure, que les armées des deux peuples

En 406.

« ne soient pas détruites; mais que deux des nôtres «< s'avancent avec leurs armes de guerre au milieu du champ de bataille et combattent entre eux : le peu«ple dont le guerrier sera vainqueur obtiendra sans «< contestation tout le pays. » Tout le peuple y consentit, afin que cette multitude entière n'allât pas se précipiter sur la pointe des glaives. Ces jours-là le roi Gunderic était mort, et Thrasamund avait à sa place obtenu le trône. Les deux guerriers ayant combattu, le parti des Vandales fut vaincu. Thrasamund, dont le guerrier avait été tué, promit de s'éloigner de bonne grâce: ainsi, lorsqu'il eut préparé les choses nécessaires à son voyage, il s'éloigna des confins d'Espagne.

Dans le même temps, Thrasamund exerça une persécution, contre les chrétiens, et il contraignait toute l'Espagne, par des tourmens et des supplices divers, à trahir la foi pour embrasser la secte d'Arius. Il arriva qu'une jeune fille pieuse, opulente en richesses, honorée selon le siècle à cause de sa noblesse sénatoriale, et, ce qui est plus noble que tout le reste, ferme dans la foi catholique et servant Dieu tout-puissant avec un zèle sans tache, se trouva soumise à cette épreuve. Quand elle fut amenée en présence du roi, il commença par des discours flatteurs à vouloir lui persuader de se faire rebaptiser. Mais, comme munie du bouclier de la foi, elle repoussait son trait empoisonné, le roi ordonna qu'on s'emparât de tous les biens de celle qui, en esprit, possédait déjà les royaumes du Paradis, et ensuite qu'on la tourmentât par des sup

'Ce fut Genseric, et non Thrasamund, qui succéda à Gunderic son frère, et emmena les Vandales en Afrique en 428. Thrasamund régna en Afrique de l'an 496 à l'an 523.

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