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plices, elle qui ne plaçait aucune espérance dans la vie présente. Que dirai-je de plus? Après des épreuves multipliées, après lui avoir enlevé toutes ses richesses terrestres, comme on ne pouvait la soumettre à diviser la sainte Trinité, on l'entraîna malgré elle à un nouveau baptême; mais, comme on la plongeait de force dans ce bain impur, elle s'écria: «Je crois que le Père, <<< et le Fils, et le Saint-Esprit sont d'une seule substance << et d'une même essence,» et infecta les eaux des excrémens de ses entrailles, parfum dont elles étaient bien dignes. Elle sortit de là pour être soumise à la torture selon la loi, par le moyen des chevalets, des flammes et des crocs, puis condamnée à avoir la tête tranchée pour Jésus-Christ. Ensuite pendant que les Allemands se répandaient jusqu'aux bords de la mer, les Vandales, l'ayant passée, se dispersèrent dans toute l'Afrique et la Mauritanie.

Comme ce fut de leur temps que la persécution contre les Chrétiens s'établit de plus en plus, ainsi que nous l'avons dit plus haut, il me paraît convenable de rapporter quelque chose de ce qu'ils firent contre les églises de Dieu, et de la manière dont ils furent chassés du royaume. Thrasamund étant donc mort, après les crimes qu'il avait commis sur les saints de Dieu, Huneric, homme encore plus féroce, régna après lui, et les Vandales l'élurent pour être à leur tête. On ne saurait concevoir le nombre prodigieux de chrétiens qui, sous son règne, furent mis à mort pour le nom sacré de Jésus-Christ. Mais ils peuvent appeler en témoignage l'Afrique où ils avaient pris naissance, et Jésus-Christ dont la main les a couronnés de pierres précieuses dont l'éclat ne se peut ternir; nous choi

sirons cependant pour les raconter les souffrances de quelques-uns de ces martyrs, afin d'accomplir ce que nous avons promis.

Cyrola, faussement appelé évêque, passait alors pour le plus ferme soutien de l'hérésie; et, comme le roi prenait divers moyens pour persécuter les Chrétiens, le persécuteur trouva dans un faubourg de sa ville l'évêque Eugène, homme d'une ineffable sainteté, et qu'on tenait pour très-sage; il le fit enlever si violemment qu'il ne lui fut pas permis d'aller exhorter le troupeau des fidèles. Mais, voyant qu'on l'emmenait, il écrivit à ses concitoyens, pour les engager à conserver la foi catholique, une lettre conçue en ces

termes :

« L'évêque Eugène, à ses très-aimés et, dans l'a<< mour du Seigneur, très-chers fils et filles de l'Église, << que Dieu m'a confiés. L'autorité royale a parlé et « nous a ordonné par un édit de venir à Carthage << pour y manifester notre foi catholique; et afin de ne « pas livrer, en m'éloignant, l'église de Dieu à un état

équivoque et de suspension, et de ne pas quitter, pas«teur infidèle, les brebis du Seigneur sans leur adres«< ser la parole, j'ai cru nécessaire de vous envoyer à << ma place ces lettres pour vous conduire dans la sain<< teté. Je vous conjure donc, et non sans répandre « des larmes, je vous exhorte, vous avertis et vous <«< supplie très-fort au nom de la majesté de Dieu, du << redoutable jour du jugement et de la terrible splen« deur de la vertu du Christ; demeurez inébranlables << dans la foi catholique et fermes à soutenir le Fils égal « au Père, et le Saint-Esprit avec le Père et le Fils « dans une même divinité. Conservez les grâces d'un

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<< baptême unique, et gardez soigneusement l'onction << du saint chrême. Qu'aucun de ceux qui ont reçu l'eau « ne retourne à l'eau après en avoir été régénéré; car, «< sur un signe de Dieu, le sel se forme de l'eau ; mais, << si on le réduit en eau, il perd aussitôt sa forme. Et «< ce n'est pas sans raison que le Seigneur a dit dans l'Évangile: Si le sel perd sa force, avec quoi le sa<«<lera-t-on ? Et certes, c'est perdre sa force que de « vouloir être assaisonné une seconde fois, quand il << suffit de l'avoir été une seule. N'avez-vous pas en<< tendu cette parole du Christ? Celui qui a déjà été lavé << n'a plus besoin que de se laver les pieds 2. C'est pour

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quoi, mes frères, mes fils et mes filles en Dieu, ne << soyez pas contristés de mon absence, parce que, si << vous restez attachés à la religion catholique, quel que << soit mon éloignement, je ne vous oublierai pas, et la << mort ne me séparera pas de vous. Sachez qu'en quel<< que endroit que les bourreaux dispersent mes mem<«<bres, la palme y sera avec moi : si je vais à l'exil, j'ai << pour exemple saint Jean-l'Évangéliste; si on m'en«< voie à la mort, le Christ est ma vie, et la mort m'est <«< un gain3: si je reviens ici, mes frères, Dieu rem«< plira votre desir. Cependant il me suffit de n'avoir << pas gardé le silence avec vous; je vous ai instruits « et avertis autant que j'ai pu, je suis donc innocent << du sang de tous ceux qui périront; et je sais que, « quand viendra le temps de rendre à chacun selon ses << œuvres, cette lettre sera lue et portera témoignage <«< contre eux devant le tribunal du Christ. Si je re

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« viens, mes frères, je vous verrai dans cette vie : si « je ne reviens pas, je vous verrai dans la vie à venir. « Cependant je vous dis adieu. Priez et jeûnez pour << nous, parce que le jeûne et l'aumône ont toujours « fléchi la miséricorde du Seigneur. Souvenez-vous qu'il est écrit dans l'Évangile : Ne craignez point <«< ceux qui tuent le corps, et qui ne peuvent tuer « l'ame; mais craignez plutôt celui qui peut perdre et « l'ame et le corps dans l'enfer . >>

«

Saint Eugène ayant donc été amené vers le roi, discuta avec l'évêque des Ariens en faveur de la foi catholique; et lorsqu'il l'eut puissamment confondu sur le mystère de la sainte Trinité, et que le Christ lui eut donné le pouvoir de faire beaucoup de miracles, ce même évêque, excité par l'envie, entra dans une plus grande fureur; car saint Eugène était alors accompagné des hommes les plus sages et les plus saints de ce temps, des évêques Vindémiale et Longin, tous deux égaux en dignités aussi bien qu'en vertus, car saint Vindémiale passait dans ce temps pour avoir ressuscité un mort, et Longin avait guéri beaucoup de malades. Eugène ne détruisait pas seulement la cécité extérieure et des yeux, mais aussi l'aveuglement des esprits. Ce que ce méchant évêque des Ariens ayant vu, il fit venir vers lui un homme abusé de la même erreur où il vivait, et lui dit : « Je ne puis « souffrir que ces évêques opèrent beaucoup de mi<«<racles au milieu du peuple, et que tout le monde « me néglige pour les suivre. Reçois donc ces cin<< quante pièces d'or, pour consentir à ce que je t'or«< donne. Asseois-toi sur la place publique qui est sur Évang. sel, S. Math. chap. 10, v. 28.

I

<< notre passage; et, tenant ta main sur tes yeux fer<< més, écrie-toi de toute ta force quand je passerai « avec les autres: -Je te supplie, bienheureux Cy«rola, pontife de notre religion, de manifester à mon

égard ta gloire et ta puissance, en m'ouvrant les «< yeux, pour que j'obtienne de recouvrer la lumière « que j'ai perdue. » Celui-ci, faisant ce qui lui avait été ordonné, s'assit sur la place publique, et quand l'hérétique passa avec les saints de Dieu, pensant se jouer de Dieu, l'homme s'écria de toute sa force : Écoute-moi, bienheureux Cyrola; écoute-moi, << saint pontife de Dieu, jette un regard sur ma cécité, « et je serai guéri par ces remèdes que souvent les << autres aveugles ont obtenus de toi, qu'en ont reçus << les lépreux, et qui se sont fait sentir aux morts « mêmes. Je te conjure par ce pouvoir que tu pos«< sèdes, de me rendre la lumière que j'ai perdue, car « je suis accablé d'une cruelle cécité. » Et sans le savoir il disait la vérité, car la cupidité l'avait aveuglé, et pour de l'argent il se riait de la puissance de Dieu. Alors l'évêque des hérétiques se tourna un peu, et, comme s'il eût été prêt à se glorifier dans sa puissance, transporté de vanité et d'orgueil, il mit sa main sur les yeux de l'homme, et dit : « Par notre foi, qui est << la vraie croyance en Dieu, que tes yeux s'ouvrent à la «<lumière. » Et à peine eut-il lâché ce blasphême que la moquerie fit place aux gémissemens et que la fourberie de l'évêque se manifesta au public; car les yeux de ce malheureux furent saisis d'une si grande douleur qu'à peine en les pressant de ses doigts pouvaitil les empêcher de sortir de sa tête. Enfin l'infortuné se mit à crier, disant : « Malheur à moi misérable, qui

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