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Cette année beaucoup de signes apparurent; on vit des arbres fleurir au septième mois, et plusieurs qui avaient déjà donné des fruits en produisirent de nouveaux, qui demeurèrent sur les arbres jusqu'au jour, de la nativité du Seigneur. On vit des feux parcourir le ciel en manière de serpens.

L'an douzième du roi Childebert', Nicet d'Auvergne fut nommé gouverneur de la province de Marseille et des autres villes appartenant à Childebert en ces contrées. Antestius fut envoyé à Angers par le roi Gontran, et infligea beaucoup d'amendes à ceux qui avaient été impliqués dans le meurtre de Domnole, femme de Nectaire; il vint à Nantes apportant au fisc les biens de Beppolène, principal auteur de ce crime, et il commença à inquiéter l'évêque Namnichius en lui disant : « Ton fils est impliqué dans ce

crime, et il faut qu'il subisse la peine qu'il a méri«<tée. » Le jeune homme, effrayé par les accusations de sa conscience, s'enfuit près de Clotaire, fils de Chilpéric. Antestius, ayant pris caution de l'évêque qu'il se présenterait devant le roi, se rendit à Saintes. Il courait alors un bruit que Frédégonde avait envoyé secrètement des messagers en Espagne, qu'ils avaient été reçus également en secret par Pallade, évêque de Saintes, qui les avait fait passer plus loin. On était alors dans les saints jours du carême, et l'évêque s'était retiré dans une île de la mer pour s'y livrer à l'oraison. Comme il revenait, selon la coutume, le jour de la cène du Seigneur à sa cathédrale, où le peuple l'attendait, il fut entouré en route par les gens d'An

En 587.

Je ne

testius. Celui-ci, sans examiner la vérité des faits, lui dit : « Tu n'entreras point dans la ville, mais seras «< condamné à l'exil, parce que tu as reçu les messa<«<gers de l'ennemie du roi notre seigneur. << sais, répondit l'évêque, ce que tu veux dire, mais «< cependant voici les jours saints, allons à la ville, et, << après les solennités de ces saintes fêtes, porte contre << moi l'accusation que tu youdras et écoute mes rai<< sons; car ce que tu crois n'est pas véritable. — Point << du tout, dit Antestius, tu n'atteindras pas le seuil << de ton église, car il paraît que tu as manqué de foi <«< au roi notre seigneur. » Que dirai-je de plus? Il retint l'évêque sur la route, fit l'inventaire de la maison épiscopale, et en enleva les effets. Les citoyens ne purent obtenir de lui qu'au moins la chose ne fût discutée qu'après la célébration des fêtes de Pâques. Mais, comme ils le sollicitaient et qu'il se refusait à leurs prières, il découvrit enfin la plaie cachée de son cœur. «S'il veut, dit-il, remettre en mes mains, à << titre de vente, la maison qu'on sait qu'il possède <«< dans le territoire de Bourges, je ferai ce que vous << demandez, autrement il ne sortira de mes mains <«< que pour aller en exil. » L'évêque n'osa refuser; il écrivit, signa et livra son champ. Puis, ayant donné caution de se présenter devant le roi, il lui fut permis de rentrer dans la ville. Les jours saints passés, il se rendit vers le roi, Antestius s'y rendit aussi; mais ne put rien prouver de ce qu'il avait imputé à l'évêque. L'évêque s'en retourna dans sa ville, et son affaire fut renvoyée au futur synode, afin qu'on y examinât si l'on pouvait prouver quelque chose de ce dont on

l'accusait. L'évêque Namnichius se rendit aussi devant le roi, et fut renvoyé après avoir donné beaucoup de présens.

Frédégonde adressa, au nom de son fils, des envoyés au roi Gontran. Celui-ci, ayant ouvert la lettre et fait réponse, les envoyés lui dirent adieu, et se retirèrent; mais je ne sais pourquoi ils demeurèrent quelque temps auprès de son logis. Le matin suivant, le roi se rendant à Matines précédé d'un flambeau de cire, on vit dans un coin de l'oratoire un homme endormi, comme ivre. Il portait une épée à son baudrier, et sa lance était appuyée contre la muraille. Le roi, l'ayant vu, se récria, et dit qu'il n'était pas naturel que, durant l'horreur de la nuit, un homme dormît en tel lieu. Il fut donc saisi, lié avec des cordes, et on lui demanda ce que signifiait une telle conduite. Livré sur-le-champ aux tourmens, il dit qu'il avait été chargé par les envoyés de tuer le roi. On prit donc les envoyés de Frédégonde, qui n'avouèrent aucun des faits sur lesquels on les interrogeait, et dirent : « Nous << n'avons eu d'autre mission que d'apporter le mes« sage que nous avons rendu au roi. » L'homme qu'on avait pris fut soumis à divers tourmens, et condamné à la prison, et les envoyés furent condamnés à l'exil en divers lieux. Il parut clairement qu'ils avaient été traîtreusement envoyés par Frédégonde pour faire périr le roi, ce que ne permit pas la miséricorde de Dieu. Parmi eux se trouvait Baddon, un des principaux de sa ville.

Les envoyés d'Espagne revenaient continuellement vers le roi Gontran, sans pouvoir en obtenir la paix ;

mais, au contraire, l'inimitié s'augmentait. Le roi Gontran rendit à son neveu Childebert la ville d'Alby. Le duc Didier, qui avait rassemblé dans le territoire de cette ville toutes ses meilleures possessions, craignit alors la vengeance du roi Childebert, parce qu'autrefois, dans ce même lieu, il avait rudement traité en ennemie l'armée du roi Sigebert de glorieuse mémoire. Il s'en alla donc avec sa femme Tétradia qu'il avait enlevée à Eulalius, comte d'Auvergne; et, passant avec tous ses biens dans le territoire de Toulouse, il leva une armée, et se disposa à marcher contre les Goths, après avoir partagé, à ce qu'on dit, tout ce qu'il possédait entre ses fils et sa femme. Ayant pris avec lui le comte Austrovald, il marcha vers Carcassonne. Les citoyens de cette ville se préparèrent à se défendre, car ils avaient été avertis de leur arrivée. Le combat ayant été livré, les Goths commencèrent à fuir, et Didier, ainsi qu'Austrovald, à les poursuivre toujours battant. Eux continuant à fuir, Didier arriva à la ville avec peu de monde, parce que les chevaux de ses compagnons étaient rendus. S'étant donc approché de la porte de la ville, il fut entouré par les citoyens demeurés dans les murs, et tué avec ceux des siens qui l'avaient suivi. A grand'peine put-il s'en échapper un petit nombre qui vinrent raconter ce qui s'était passé. Austrovald, apprenant la mort de Didier, rebroussa chemin, et se rendit vers le roi, qui aussitôt le fit duc à la place de Didier.

Après cela, Leuvigild, roi d'Espagne, tomba malade. Mais, à ce qu'on assure, il fit pénitence des erreurs de son hérésie, et protestant qu'il n'y retombe

rait point de sa volonté, fut converti à la foi catholique; après avoir pleuré sept jours l'iniquité de ses entreprises contre Dieu, il rendit l'esprit. Son fils Reccared règna en sa place.

'En 586, et non en 587 comme le suppose ici Grégoire de Tours.

FIN DU TOME PREMIER.

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