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aventureux peut à tout instant faire sauter en y jetant une allumette enflammée.

Le seul moyen certain d'éviter les périls qui viennent d'être signalés est de les prévenir par une vaste entente internationale. Si la faculté pour les belligérants d'établir à leur gré la liste des objets de contrebande est un droit qui leur est précieux, le prix dont ils l'achètent est, si l'on réfléchit, par trop élevé. Car il n'est rien moins pour eux que le danger d'incessants froissements avec les neutres, suivis d'une renonciation publique, c'est-à-dire d'une humiliation, s'ils accèdent à leurs réclamations, ou d'une lutte contre un nouvel ennemi, s'ils repoussent leurs demandes. Au surplus, les États civilisés ne sont-ils pas plus souvent neutres que belligérants? Et est-il un neutre qui puisse envisager avec tranquillité la perspective de devoir choisir entre la soumission à une mesure qu'il estime une entrave injustifiable à son commerce et des hostilités ouvertes? Les hommes d'État se trouvent, actuellement, en présence de cette situation: une grande partie des règles du droit de prise maritime est incertaine; une autre, plus grande encore, est incompatible avec les conditions modernes de la guerre et du commerce; une dernière enfin, qui s'efforce de compter avec les faits nouveaux, est des plus rudimentaires. Si on ne veut pas que la civilisation elle-même reçoive de graves blessures dans un grand conflit mondial, il faut que la voix de la raison soit entendue à temps et qu'un accord général substitue à la confusion actuelle des règlements justes et raisonnables pour la guerre maritime. Les puissances ne peuvent espérer faire triompher en toutes choses leur propre manière de voir; elles doivent donc discuter ensemble avec l'intention de donner aussi bien que de recevoir. Mais il va sans dire que les décisions prises ne sauraient engager un gouvernement sans son consentement exprès. Et ce principe doit suffire à écarter tout danger pour un État qui estimerait ses intérêts vitaux compromis par quelque décision d'une majorité avec laquelle il ne serait pas d'accord. C'est sur lui qu'on s'est basé à la Conférence de la Haye de 1899, et sans aucun doute on s'y conformerait encore dans une autre assemblée du même ordre. La première Conférence de la Paix a convenu d'un code réglementant la guerre terrestre. Un code semblable pour la réglementation de la guerre maritime doit être l'œuvre de la seconde Conférence de la Haye dont les États-Unis d'Amérique ont, au mois d'octobre 1904, demandé la réunion, et qui aura lieu probablement aussitôt que sera terminée la déplorable guerre actuelle entre la Russie et le Japon.

Et parmi les questions qui mériteront l'attention de cette Conférence, il n'en est pas de plus importantes que celle relative à la contrebande de guerre. Elle devra résoudre le conflit entre les deux droits opposés dont

nous avons parlé et y substituer le droit pour le belligérant d'appliquer et l'obligation pour le neutre d'accepter une liste de marchandises de contrebande établie par toutes les puissances représentées à la Haye. Mais, par suite des rapides progrès de la science et de ses applications constantes et croissantes à la navigation et à la guerre, il sera sans nul doute nécessaire d'apporter à cette liste des modifications fréquentes. Je me permets de suggérer l'idée qu'il soit procédé à la révision d'une semblable liste tous les cinq ans par une Commission internationale d'experts nommée conformément aux délibérations de la Conférence. Il se peut aussi que, dans l'intervalle, on découvre des inventions ou des substances nouvelles de nature à affecter sérieusement les opérations de la guerre pour ce cas, une disposition de l'accord devrait décider que la Commission internationale aurait le droit de se réunir, à un moment quelconque, sur la demande de trois puissances au moins, afin de discuter et de trancher les questions spéciales qui lui seraient soumises. De cette manière, on écarterait les principales causes de conflits, tout au moins en ce qui concerne la contrebande de guerre. Si les États s'estimaient impuissants à accepter une pareille convention, que du moins ils s'engagent à porter devant le tribunal de la Haye tous les différends pouvant surgir à l'avenir entre belligérants et neutres, et notamment à faire décider par lui si telle marchandise doit être ou non considérée comme de la contrebande de guerre. Ce serait là plutôt un palliatif qu'un remède, mais cela vaudrait encore mieux que les dangers de la situation présente. T. J. LAWRENCE,

Ancien vice-professeur de droit international à l'Université de Cambridge.

UNE CESSION A BAIL.

LA DERNIÈRE ENCLAVE SUÉDOISE EN ALLEMAGNE. RÉUNION DE WISMAR, POEL ET NEU-KLOSTER AU GRAND-DUCHÉ DE MECKLENBOURG-SCHWERIN (20 JUIN 1903) (1).

Le Reichsgesetzblatt, Bulletin des lois de l'Empire d'Allemagne, a publié dans son numéro du 15 juillet 1904 deux traités qui méritent plus qu'une brève mention. Le premier, conclu entre l'Empire et la Suède,

(1) J'ai déjà raconté cette histoire, mais sous une forme anecdotique simplement, dans le Journal des Débats du 17 août 1903. L'article fut reproduit par la Revue uni

fut signé à Stockholm le 20 juin 1903; le second est intervenu le même jour entre la Suède également et le Grand-Duché de MecklenbourgSchwerin (1). L'un et l'autre ont été ratifiés le 4 août de la même année. Ces deux actes stipulent la cession définitive à l'Allemagne, d'une part, au Mecklenbourg-Schwerin, de l'autre, des territoires de Wismar, Poël et Neu-Kloster que le Roi Gustave IV Adolphe avait donnés à bail au Duché par le traité de Malmoë du 26 juin 1803 (2). Ils mettent fin à l'existence de la dernière enclave suédoise en pays allemand (3).

I

L'histoire de cette enclave mérite d'être rapportée (4). A la fin du XVIIIe siècle, Gustave IV Adolphe, Roi de Suède, celui-là même que ses sujets bannirent en 1809,se fiança avec Louise-Charlotte,fille aînée du Duc de Mecklenbourg-Schwerin, Frédéric-François Ier. Ces fiançailles semblaient la consécration d'un vou de Gustave III.Au moment d'expirer sous

verselle du 1er décembre de la même année, accompagné d'une carte. Pour le présent travail, je dois des remerciements, d'une part, à M. Jules Heilmann, consul de France à Stockholm, et à M. le Dr Robert, vice-consul de France à Rostock, qui ont bien voulu me faciliter certaines recherches en me prêtant leur intermédiaire auprès des autorités compétentes de leur résidence; de l'autre, à M. le Dr Koppmann, archiviste à Rostock, et à M. le Dr F. Techen, archiviste à Wismar, auxquels je suis redevable de quelques éclaircissements précieux.

(1) Reichsgesetzblatt, no 31, Berlin, 15 juillet 1904. V. aussi G. F. de Martens, Nouveau recueil général de traités, 2o série, t. XXXI, p. 572 et 574.

(2) V. le texte de ce traité dans de Martens, Recueil de traités, t. VIII, p. 54 et Supplément, t. III, p. 488. V. aussi Perrinjaquet, Des cessions temporaires de territoires, Paris, 1904, p. 18. Le Mecklenbourg-Schwerin et le Mecklenbourg-Strelitz ne reçurent le titre de Grand-Duché qu'au Congrès de Vienne et entrèrent en cette qualité dans la Confédération germanique. La dignité accordée à son pays par le directoire européen fut communiquée à ses sujets par le nouveau Grand-Duc le 14 juin 1815. Mecklenb.-Schwer. officielles Wochenblatt, 1815, no CCCXXIII.

(3) M. Combes de Lestrade, dans son beau livre sur les Monarchies de l'Empire allemand, Paris, 1904, écrit à propos de la courte « Variété » citée plus haut et publiée par nous dans le Journal des Débats : « Wismar n'a pas attendu qu'en cette présente année 1903, la Suède ait définitivement renoncé à son droit de rachat pour se considérer comme une ville allemande. C'est pousser bien loin le respect des fictions que de présenter cette renonciation comme la fin de la possession par la Suède d'un lambeau de l'Allemagne » (p. 472, note 1). On verra par la suite de ce travail que si l'expression d'enclave est peut-être un peu forte, en effet, Wismar se trouvait, néanmoins, jusqu'à l'année dernière, au point de vue du droit public, dans une situation qui n'est pas sans la justifier.

(4) V. en allemand: L. von Hirschfeld, Von einem deutschen Fürstenhofe, Geschichtliche Erinnerungen aus All-Mecklenburg, 2 vol. in-8°, Wismar, Hinstorffsche Hofbùchhandlung Verlagsconto, 1896. Il suffit de consulter seulement, dans le tome Ier, le premier récit intitulé: « Eine furstliche Entlobung im vorigen Iahrhundert ». Il faut mentionner, en outre, du côté suédois, une brochure parue à Lund en 1891 Alfred Hjelmérus, Die Brantwerbungen Gustav IV Adolf nach Aufzeichnungen des Expeditionnssecretars Samuel Hjelmer.

le poignard d'Ankarstroem, l'infortuné Souverain avait effectivement prescrit que son fils, lors de ses dix-sept ans accomplis, donnerait sa parole à une Princesse allemande de religion luthérienne (1). Toutefois, les promesses qui furent échangées le 1er novembre 1795, jour même qu'avait fixé le défunt Roi, ne constituaient pas seulement de la part de Gustave IV l'accomplissement d'un devoir filial, c'était aussi le résultat d'intrigues politiques, un coup droit porté par l'ambassadeur de France à l'Impératrice de Russie, Catherine II, qui désirait voir sa petite-fille, la gracieuse Anna Paulovna, monter sur le trône de Stockholm (2). Catherine n'était pas femme à se déconcerter d'un échec. Elle jura de prendre sa revanche, et bientôt, sous la menace d'une guerre que l'opinion publique redoutait, le Duc de Sudermanie, régent du Royaume pendant la minorité de son neveu (ce dernier n'avait alors que dix-sept ans et les Souverains suédois ne devenaient majeurs qu'à dix-huit), se retourna brusquement vers la Cour de Saint-Pétersbourg. Ce fut une nouvelle victoire du parti des bonnets sur le parti des chapeaux (3). On alla si vite en besogne que, sàns des incidents qui précipitèrent la ruine des plans de l'Impératrice (4), Gustave eût été fiancé de deux côtés à la fois singulier cas de conscience pour ce Prince théologien. Le mariage russe échoua le jour même qui paraissait devoir consacrer son triomphe (12 septembre 1796); le mariage mecklenbourgeois ne pouvait pas lui survivre (5). Il était rompu, en quelque sorte, ipso facto.

Les fiançailles avaient été publiques, il était juste que leur rupture impliquât de la part de la Suède une satisfaction éclatante. Déjà le premier ministre de Frédéric-François, le Président Dewitz, l'avait insinué quand l'envoyé de Gustave IV, le Baron de Klinkowström, était venu lui mander le revirement du Roi son maître (8 octobre 1796). Il avait délibérément écarté toute indemnité pécuniaire et, sans vouloir engager son

(1) L. von Hirschfeld, op. cit., p. 8.

(2) V. sur cette affaire : Alfred Rambaud, Catherine II dans sa famille, dans la Revue des Deux-Mondes du 1er février 1874, spécialement p. 614-621; Tchouminoff, Gustave IV et la Grande-Duchesse Alexandra,dans les Antiquités russes (en russe), 1885.- Pour les documents, V. le t. IX de la Société impériale de Russie.

(3) Depuis 1731 environ, la Suède était divisée en deux partis celui des chapeaux, de tendance belliqueuse et favorable à la France; celui des bonnets, plus calmes et russophiles.

(4) On les trouvera rapportés dans Rambaud, op. et loc. cit.

(5) Dès le 14 septembre, Gustave mandait à son ministre à la Cour de Schwerin les événements qui venaient de se passer à Pétersbourg et lui donnait l'ordre de dénoncer ses fiançailles avec Louise-Charlotte. Ludwig von Hirschfeld, qui donne pourtant un récit assez détaillé de la soirée du 22 septembre au Palais d'Hiver, paraît croire que, malgré les incidents qui s'y produisirent, le Roi s'était fiancé avec Anna Paulovna. C'est là un fait controuvé. V. Rambaud, op. et loc. cit.

gouvernement, fait une discrète allusion à une indemnité territoriale (1). Cependant, la négociation était délicate à poursuivre directement. Dans les jours qui suivirent, la Duchesse régnante émit l'idée de solliciter pour la conduire à son terme les bons offices du Danemark auprès de la Cour de Stockholm. Sa belle-sœur avait, en effet, épousé le Prince royal, et le Cabinet de Copenhague était animé d'intentions favorables au Mecklenbourg. Pressenti,ce ministère offrit aussitôt.son intermédiaire. Dewitz fit alors connaitre les bases de l'accommodement qu'il entendait proposer. Il demandait la cession de la Seigneurie de Wismar à laquelle on ajouterait l'île de Poël et Neu-Kloster. Les revenus de la ville et de la Seigneurie n'étaient pas considérables, mais suffiraient à la constitution d'une rente pour la Princesse ; la cession de territoire intervenait seulement comme une satisfaction d'amour-propre; elle devait faire éclater à tous les yeux les torts de la Suède. L'illustre Comte Bernstorff,qui gouvernait alors le Danemark, fit questionner confidentiellement son collègue suédois, au sujet des réparations qu'on exigeait à Schwerin. Ce dernier, Reuterholm, trouva la demande un peu forte. Il fit remarquer que l'opinion publique, déjà mécontente des incidents de Pétersbourg,ne lui pardonnerait pas une cession territoriale. Dewitz répliqua qu'il ne tenait qu'à la Suède de se faire indemniser par la Russie, cause du conflit, en lui demandant le territoire de Jever. Ce territoire, situé dans le GrandDuché d'Oldenbourg, à l'Ouest du golfe de Jade, sans importance pour cette puissance, en présentait, disait-il, pour la Suède une bien supérieure à Wismar (2). Il est permis de n'en être pas convaincu. On peut

(1) Il pouvait être intéressant de savoir si aucune clause du contrat de mariage qui fut passé le 30 octobre 1795, veille même de la publication des fiançailles de Gustave IV et de Louise-Charlotte, ne contenait de stipulation relative à une indemnité en cas de rupture. J'ai fait rechercher ce contrat. Chose curieuse, son contenu est jusqu'à présent demeuré inconnu et il n'en existe aucun exemplaire aux Archives grandducales de Schwerin. Il ne se trouve pas davantage aux Archives du Royaume, à Stockholm. Dans ces dernières, toutefois, figure un projet non daté indiquant les clauses les plus importantes à insérer dans le contrat: aucune ne comporte d'indemnité quelconque pour le cas de rupture des fiançailles. L. von Hirschfeld (op. cit., p. 11) rappelle simplement que, lors de la demande en mariage, l'ambassadeur suédois obtint communication du contrat signé le 21 octobre 1774 à l'occasion des fiançailles de la Princesse Sophie-Frédérique, sœur unique du Duc, et de Frédéric de Danemark. Il devait servir de modèle. Plus tard on utilisa également la minute du contrat de Gustave III et de Sophie de Danemark (op. cit., p. 14).

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(2) L. von Hirschfeld, op. cit., p. 56-57. - Le territoire de Jever, ainsi désigné de la ville du même nom, fut le chef-lieu d'une Seigneurie dé 330 kilomètres carrés annexée en 1575 à l'Oldenbourg. Un testament la transféra à la Maison d'Anhalt-Zerbot (1667). C'est à ce titre que Catherine II de Russie en devint propriétaire en 1793. Alexandre Ier la céda à la Hollande (1807). Elle est rattachée à l'Oldenbourg depuis 1874. BIBLIOGRAPHIE: Vornsand, Geschichte Jeverslands; Himly, Histoire de la formation territoriale des États de l'Europe centrale.

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