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cun d'eux constitue une unité de l'armée de mer comme un régiment est une unité de l'armée de terre. La majorité des auteurs adopte une définition voisine de la nôtre (1). Quant à l'Institut de droit international, il estime que l'on doit considérer comme navires de guerre tous les bâtiments, sous le commandement d'un officier du service actif de la marine de l'État, montés par un équipage de la marine militaire et autorisés à porter le pavillon et la flamme de la marine militaire (2). Sur tout ceci il n'y a pas de difficultés possibles et l'immunité de saisie existe sans conteste, pour les raisons que nous avons dites.

A l'inverse est évidemment navire de commerce,par suite sujet à saisie, celui qui appartient à des particuliers, est dirigé par des particuliers dans un but d'intérêt privé.

Mais, ces deux catégories extrêmes de navires étant déterminées, entre elles d'autres apparaissent. Il y a, d'une part, des navires d'État qui peuvent n'être pas des unités de l'armée navale et qui cependant sont affectés à un service public, étant par ailleurs propriété de l'État. D'autre part, il existe des navires privés qui peuvent être affectés également à un service public, tout en restant la propriété de Compagnies privées ou de particuliers liés à l'État par un contrat de subvention. De ces derniers les plus connus sont les paquebots-poste. Telles sont les deux grandes catégories intermédiaires dans lesquelles on peut ranger les navires qui ne sont complètement ni des navires de guerre, ni des navires de commerce. Quelle est, au point de vue du droit de saisie, la situation des uns et des autres ?

S'agissant de la seconde, d'abord, la réponse est à peu près unanime. Les navires privés sont avant tout des navires de commerce. Ils sont affectés à un service public sans doute, ils sont subventionnés, mais, en dernière analyse, ils sont la propriété de particuliers et de Compagnies privées. Si, dès lors, ces particuliers ou ces Compagnies ne payent pas leurs dettes, on saisira leur matériel, les navires avec le reste. Et ce sera justice. La solution est parfaitement rationnelle et tous les auteurs l'adoptent (3). Elle est rigoureuse cependant et, dans certains cas, n'est

(1) V. Calvo, Droit international théorique et pratique, 5o édit., t. I, p. 520 ; Testa, op. cit., p. 83; Perels, op. cit., p. 58.

(2) V. l'article 8 du Règlement voté à la Haye, dans l'Annuaire de l'Institut de droit international, t. XVII, p. 273. Comp. Dupuis, L'Institut de droit international. Session de la Haye, dans cette Revue, t. V (1898), p. 845 et 853,note. — L'année précédente, à Copenhague, l'Institut avait voté cette même définition en établissant des assimilations sur lesquelles nous reviendrons plus loin. V. Annuaire de l'Institut de droit international, t. XVI, p. 231. Comp. Dupuis, L'Institut de droit international. Session de Copenhague, dans cette Revue, t. IV (1897), p. 768 et 772, note.

(3) V. en ce sens Perels, op. cit., p. 132; Pradier-Fodéré, op. cit., t.V, p. 480; Bonfils-Fauchille, op. cit., no 628; Pietri, op. cit., p. 371. Nous nous permettons de ren

pas sans de nombreux inconvénients. Quand, notamment, elle aboutit à entraver le départ d'un paquebot-poste et arrête ainsi le transport des correspondances, le résultat est particulièrement regrettable. On comprend, par suite, que la pratique ait tempéré la rigueur de la solution de droit. De très nombreuses conventions sont donc intervenues proclamant, dans les rapports entre certains États, l'insaisissabilité des navires affectés, de manière régulière, au transport des dépêches (1). Ce sont là des dispositions excellentes, mais elles ne sont que du droit conventionnel et en leur absence le droit de saisie subsiste. Il n'y a pas ici de raison suffisante en effet pour priver des créanciers de leur gage (2-3). Si nous passons maintenant à la première de nos deux catégories intermédiaires, nous allons rencontrer moins d'unanimité chez les auteurs. Tous, sans doute, admettent l'insaisissabilité des navires de guerre mis à la disposition du chef de l'État ou de ses envoyés. Arrêter de tels navires, ce serait en effet manquer du respect dû à la souveraineté des autres États (4). Mais l'accord entre les auteurs s'arrête là. Les uns n'admettent même pas de distinction entre navires de guerre et navires de l'État (5). Les autres, à l'inverse, distinguent. Mais, quand il s'agit de trouver un

voyer également à ce que nous avons dit à ce sujet dans notre ouvrage : De la correspondance postale et télégraphique dans les relations internationales, p. 313.

(1) V. ces conventions soit dans Perels, loc. cit., soit dans notre ouvrage précité, p. 314 et suiv. V. encore sur ce point Guillibert, De l'insaisissabilité dans les rapports internationaux des navires affectés au service postal, dans le Journal du droit international privé, t. XII (1885), p. 515. Cet auteur s'occupe de la saisie d'un paquebot-poste italien, Solunto, effectuée à Marseille en 1885 et non validée par la Cour d'Aix.

(2) On peut évidemment concevoir qu'une époque viendra où l'insaisissabilité du paquebot-poste sera considérée comme de droit. La solution sera, à notre avis, excellente, mais il faut remarquer que le motif de l'insaisissabilité ne sera plus le même que pour les navires de guerre. L'insaisissabilité se justifiera par cette idée que le développement des relations internationales fera considérer le service du transport des correspondances comme d'intérêt public général, comme une institution sans laquelle la communauté internationale souffrirait. Cette remarque était à faire. Elle montre comment, lorsqu'on se demande si un navire est insaisissable ou non, il ne faut pas faire intervenir la fiction ancienne de l'exterritorialité mais, au contraire, se déterminer par des motifs spéciaux à chaque catégorie de navires.

(3) Nous ne parlons pas des navires appartenant à des particuliers, mais que ceux-ci mettent, en cas de guerre, à la disposition de leur gouvernement. Ce sont, s'ils sont adoptés par celui-ci, pour cette période, des navires de guerre. Nous ne citons égale. ment que pour mémoire des corsaires régulièrement commissionnés. Leur insaisissabilité est unanimement admise (V. en ce sens le Règlement voté à Copenhague et à la Haye par l'Institut de droit international. Dupuis, loc. cit.).

(4) L'Institut de droit international est en ce sens. Il n'avait à Copenhague admis l'in saisissabilité que pour les navires exclusivement mis à la disposition du Souverain et des agents diplomatiques. On a, à la Haye, élargi la règle en substituant le mot «< expressément » au mot « exclusivement ». V. Dupuis, op. cit., dans cette Revue, t. V (1898), p. 846.

(5) V. une note de Geffcken sous Heffter, Le droit international de l'Europe, p. 185.

critérium, de nouveau des divergences apparaissent. Perels n'admet l'insaisissabilité que pour les navires qui ont le caractère de représentants de la souveraineté de l'État (1). D'autres n'interdisent la saisie que pour les navires remplissant une fonction publique essentielle de l'État (2).

Il nous semble que ces différents systèmes sont peu exacts. Le premier est excessif, car il y de très certaines différences entre un navire de l'État, prêté dans un but fiscal ou dans un but scientifique par exemple, et un navire de guerre. Si certaines immunités doivent être communes à tous, comme nous le montrerons tout à l'heure, il n'en est pas de même de toutes, et l'on concevrait difficilement qu'un tel navire pût être exempté, par exemple, à raison de sa seule qualité, du payement des droits de douane ou d'octroi.

En réalité, il faut raisonner séparément sur chaque immunité. Si nous employons cette méthode, nous devrons admettre l'insaisissabilité des navires d'État, qu'ils soient ou non navires de guerre. Il ne faut pas distinguer ici en effet suivant que le navire représente ou non la souveraineté de l'État. Cela ne voudrait à peu près rien dire. Aucun navire ne représente la souveraineté de l'État. Un bâtiment de guerre est une fraction de la force publique, un vaisseau qui transporte un chef d'État ou des ambassadeurs ne peut être saisi parce que le respect mutuel des souverainetés veut que l'on n'entrave point la mission des gouvernants ou de leurs représentants. Il n'y a pas ici de représentation de souveraineté pour le navire.

Quant à l'autre distinction, elle n'est pas plus admissible. Du moment qu'un navire est chargé d'un service public, que ceux qui le montent remplissent, ce faisant, une fonction publique, il importe peu que cette fonction soit ou non essentielle. Si, dans l'État, les gouvernants se sont chargés d'une fonction, c'est qu'ils ont considéré que cela était utile au développement de la nation et au bien commun des citoyens. Saisir le navire, instrument pour remplir cette fonction, c'est empêcher les gouvernants d'accomplir avec indépendance leur mission, c'est porter atteinte à ce que l'on est convenu d'appeler la souveraineté de l'État, peut-être même à sa vie (3). S'agissant des autres immunités, la distinction

(1) Perels, op. cit., p. 132 et suiv.

(2) De Witte-Hammer, loc. cit.,
p. 294.

(3) Il ne faut pas en effet pousser trop loin la distinction des fonctions essentielles et des fonctions non essentielles des gouvernants. Elle n'est pas immuable mais varie sans cesse et avec les pays et avec les époques. Par ailleurs, et pour cette raison, il ne faut pas s'imaginer en pouvoir faire un emploi illimité. Elle sert en droit administratif à donner une classification simple (V. Berthélemy, Traité de droit administratif, 2o édit., p. 8 et suiv.); mais de ce qu'elle est utile en droit public interne, il ne faut pas conclure à son emploi nécessaire en droit international public.

entre fonctions essentielles et non essentielles aura peut-être de l'importance (1). Encore ne faudra-t-il point oublier qu'elle est faite pour un pays déterminé et n'a pas la portée d'une vérité générale et absolue. Quoi qu'il en soit, au point de vue de l'insafsissabilité, une seule chose importe, c'est que le navire soit propriété de l'État et affecté à un service public de l'État (2).

A cette thèse on a fait une objection. Si on en vient, a-t-on dit, à étendre ainsi l'exterritorialité, on risquera de dépasser le but de l'institution qui est de respecter l'honneur d'un Souverain étranger et de son représentant (3). C'est là se faire une idée tout à fait inexacte de l'exterritorialité, qui n'est pas une institution mais une fiction parfaitement inutile. Ne multiplions pas l'emploi des fictions. La raison d'être de notre immunité est bien plus simple. Chaque nation ayant droit à son plein et entier développement, ses gouvernants doivent pouvoir remplir leur mission. de la manière qu'ils jugent convenable. Si les autres États y trouvent quelque danger, qu'ils réclament par voie diplomatique ou même interviennent. S'ils ne réclament ni n'interviennent, quand un navire de cet État, propriété de l'État et remplissant un service d'État, se trouve dans un port étranger, il doit être insaisissable (4).

C'est le raisonnement qu'il fallait tenir pour le vaisseau-école des élèves pilotes. L'État belge considère comme une de ses fonctions l'enseignement du pilotage. Qu'il ait tort ou raison, cela importe peu au point de vue qui nous occupe. Le fait de l'emploi du navire à un service public d'État suffit. L'arrêter, le saisir c'était empêcher les gouvernants belges de remplir complètement ce qu'ils envisagent comme leur mission. On ne peut dès lors qu'approuver et le commissaire de police de Flessingue et le ministre de la justice des Pays-Bas d'avoir refusé leur assistance à un créancier trop exigeant. Au point de vue des règles du droit international, l'incident a reçu la solution convenable, et c'est à

(1) On concevrait qu'elle en eut pour l'exception du droit d'octroi et des taxes. (2) Ceci répond à une objection de M. de Witte-Hammer (loc. cit., p. 294). Si, dit-il, un État se chargeait de l'enseignement de la jeunesse et la faisait voyager sur des bateaux propriété de l'État, est-ce qu'on pourrait soutenir que ces navires remplissent une fonction d'État ? Très certainement oui, puisque les gouvernants estiment utile à la vie de la nation qu'ils soient chargés de l'enseignement.

(3) V. de Witte-Hammer, loc. cit., p. 294-295.

(4) Notre solution prendrait un intérêt très particulier si l'on imaginait un État organisé suivant les principes collectivistes. Le commerce y étant fonction d'État, les navires s'y livrant devraient être considérés comme insaisissables. La solution nous paraîtrait certaine. Il va de soi, par ailleurs, que les autres États seraient en droit de se demander si un pays ainsi organisé ne serait pas un danger pour la communauté internationale tout entière. Ici apparaîtrait donc comme possible l'exercice du droit d'intervention.

REVUE.

1905

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juste titre que le navire en question a été considéré comme insaisissable (1).

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FRANCE ET PAYS-BAS. Convention d'arbitrage permanent du 6 avril 1904. A la date du 6 avril 1904, la France et les Pays-Bas ont conclu une convention d'arbitrage permanent, dont les termes sont analogues à ceux des conventions signées par la France, les 14 octobre et 25 décembre 1903, et le 26 février 1904 avec la Grande-Bretagne, l'Italie et l'Espagne (2). Cette convention est en effet ainsi conçue :

« Le gouvernement des Pays-Bas et le gouvernement de la République française, signataires de la convention pour le règlement pacifique des conflits internationaux conclue à la Haye, le 29 juillet 1899; considérant que, par l'article 19 de cette convention, les Hautes Parties Contractantes se sont réservé de conclure des accords généraux en vue du recours à l'arbitrage dans tous les cas qu'elles jugeront possible de lui soumettre; ont autorisé les soussignés à arrêter les dispositions sui

vantes :

Article 1. Les différends tombant sous l'application de l'article 16 de la convention pour le règlement pacifique des conflits internationaux conclue à la Haye, le 29 juillet 1899, c'est-à-dire les différends d'ordre juridique et particulièrement ceux qui sont relatifs à des difficultés d'interprétation ou d'appréciation des conventions existantes, qui viendraient à se produire entre les deux Hautes Parties Contractantes et n'intéressant qu'elles seules, seront, à la condition cependant qu'ils ne touchent ni aux intérêts vitaux, ni à l'honneur des dites puissances contractantes et si, d'autre part, ils ne peuvent être résolus par la voie diplomatique, soumis à la Cour permanente d'arbitrage, conformément à la disposition de la convention sus-mentionnée.

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Art. 2. Dans chaque cas particulier, les Hautes Parties Contrac

(1) La pratique semble d'ailleurs être dans notre sens. Une question analogue à celle que nous examinons s'est en effet posée en 1880 à propos du paquebot postal belge Le Parlement belge, propriété de l'État belge,qui avait aussi fait l'objet d'une saisie-arrêt en Angleterre. Il existait une convention postale entre l'Angleterre et la Belgique stipulant l'insaisissabilité des paquebots-poste; mais quand la question fut soumise en Angleterre à la Cour d'appel, on évita de l'invoquer et l'on se borna d'uue manière générale à se demander si on pouvait saisir le navire en question, étant donné qu'il était propriété d'un Souverain étranger, sous les ordres des officiers de ce Souverain, qu'il était en outre un bâtiment public, qu'on l'affectait à des services publics, que, tout en étant commissionné, il n'était ni navire armé, ni employé comme partie de la force militaire du pays. L'insaisissabilité fut admise par la Cour, conformément aux conclusions du Lord justice Brett. V. sur cette affaire la Revue de droit international et de législation comparée, t. XII (1880), p. 234-235 et suiv.

(2) V. cette Revue, t. X (1903), p. 799 et t. XI (1904), p 93 et 209. V. les autres conventions signées par les Pays-Bas, dans cette Revue, t. XI (1904), p. 765 et t. XII (1905), p. 152.

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