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douter, aussi bien, que Paul Ier qui avait succédé à sa mère le 17 novembre de l'année précédente se fût prêté à cette transaction. Reuterholm, d'ailleurs, refusa de laisser la discussion s'engager sur ce terrain; mais son gouvernement se déclara prêt à consentir une satisfaction raisonnable. Dewitz n'entendait pas se découvrir davantage, il voulait maintenant laisser venir ses adversaires. Dans toute cette négociation il se montre diplomate habile et joue supérieurement la comédie de l'honneur outragé. Si parfois il s'impatiente, il ne compromet jamais la situation par une démarche inopportune. Le résultat de cette politique ne se fit pas trop attendre. Après plusieurs mois de vagues assurances, le moment vint pour la Suède de s'exécuter. Le 5 mai 1797, Louise-Charlotte se vit offrir. à titre d'indemnité une rente viagère de six mille écus de banque de Hambourg. C'était la rente d'un capital de cent mille écus, apanage des Princesses suédoises de la Maison royale. Indignée de ce mode de dédommagement qu'elle tint pour une nouvelle injure, elle déclina toute réparation pour elle-même, mais déclara que si l'insulte faite à son sang demandait une expiation publique, elle cédait ses droits à son père. Cette substitution de personnes permettait de sauver la face. FrédéricFrançois n'entendait pas laisser échapper l'occasion qui se présentait. Il ne voulait pas que sa fille perdit un trône sans compensation, sinon pour elle (1), du moins pour lui. L'offre était belle, il affecta de la trouver déplacée, contraire à sa dignité. La repoussant au nom de LouiseCharlotte, il sollicita, pour la première fois officiellement, la cession de Wismar, mais une cession déguisée. La Suède lui vendrait la ville, seulement il y aurait des accommodements sur le prix. Dewitz ajouta ses remarques personnelles aux observations de son Souverain. On sait, disaitil, que la domination de Wismar a été jusqu'ici de peu d'utilité pour la Suède. Un transfert du tribunal supérieur qui y réside à Stralsund ou même dans l'île de Rügen serait très avantageux pour la Pomeranie suédoise (2). Cette contre-proposition, qui satisfaisait l'amour-propre du Mecklenbourg et sauvegardait ses intérêts, devait être moins goûtée à Stockholm. Trois mois se passèrent avant qu'on y répondit. Le 12 octobre 1797 arriva le refus de la Suède. Frédéric-François devint alors plus traitable et, sur les conseils de son ministre, accepta, le 23, de recevoir l'indemnité convenue en parts de six mille écus (3). Il ne s'agissait plus

(1) Louise-Charlotte épousa le 21 octobre de la même année le Prince Auguste de Saxe-Gotha-Altenburg, héritier du trône ducal. Veuve en 1801, elle est, par le mariage de sa fille en 1817 avec le Duc Ernest de Saxe-Cobourg-Gotha-Saalfeld, la grandmère du Prince Albert, époux en 1840 de la Reine Victoria d'Angleterre.

(2) L. von Hirschfeld, op. cit., p. 63.

(3) Le Duc avait reçu de plusieurs côtés le conseil de ne pas insister (ibid., p.64-65). En

de rente viagère d'un caractère humiliant, mais en quelque sorte de la liquidation d'une dette. Le 28 du même mois, le gouvernement suédois fut averti que la transaction proposée par lui au printemps était enfin acceptée et, le 7 mars 1798, le Président, alors gouverneur de la Principauté de Wismar, le Baron de Klinkowström, que nous avons déjà rencontré comme ambassadeur, fut chargé d'effectuer, gagés sur les revenus de la ville, les payements entre les mains des mandataires du Duc. Ce dernier, bien que les annuités fussent régulièrement acquittées, ne laissait pas de regretter sa combinaison primitive. On lui avait donné en gage les revenus de Wismar, il eût préféré la ville elle-même.

De 1800 à 1803, les négociations reprirent (1). On n'y parla plus d'honneur outragé, de réparations éclatantes: questions militaires et questions d'argent furent seules discutées. Six acomptes avaient été verses conformément à l'arrangement de 1797 quand les pourparlers aboutirent. L'insistance du Duc était compréhensible. Au reçez du 25 février 1803, le Mecklenbourg n'avait obtenu aucun accroissement territorial, aucune satisfaction d'amour-propre. La dignité électorale réclamée trop tard en faveur de Frédéric-François par le Tsar Alexandre I, beau-frère du Prince héréditaire (2), lui avait été refusée. Le Duc, fidèle sur ce point à la tradition de cupidité des petits Souverains germaniques, avait besoin, pour rétablir son prestige plus compromis que jamais, aux yeux de ses rivaux comme à ses propres yeux, d'une légitime compensation. Wismar, l'ile de Poël et Neu-Kloster paraissaient de nature à la lui fournir. D'une part, ils formaient une enclave à l'intérieur de ses territoires (3); de l'autre, ils avaient appartenu à ses ancêtres jusqu'à la paix de Westphalie (4), et leur acquisition ne devait constituer qu'une

particulier,on avait appris que l'Empereur Paul ler ne se prêterait pas au troc de Jever. Il avait en effet une prédilection pour cette terre allemande et venait d'en ajouter le titre à tous ses autres titres.

(1) On trouvera des détails complémentaires aux Archives grand-ducales de Schwerin. (2) Paul Ier était mort le 24 mars 1801.

(3) Cette enclave est très nettement mise en lumière dans la carte 41 de l'Atlas de géographie historique publié sous la direction de F. Schrader par la maison Hachette.

(4) V. A. Himly, Histoire de la formation territoriale des Etats de l'Europe centrale, 2e édit., 1894, t. II, p. 273-288. Dans son livre intitulé: Friedrich-Franz II, Groszherzog von Mecklenburg-Schwerin und seine Vorgänger nach Staatsakten, Tagebüchern und Correspondenzen (Leipsig, Verlag von Duncker und Humblot, 1891), Ludwig von Hirchsfeld écrit, t. I, p. 9, note 1: « La perte de Wismar avait été pour les Ducs de Mecklenbourg un coup sensible. Cette blessure ne s'était jamais cicatrisée. Ici, comme en Pomeranie, la Suède conquérante maintenait avec ténacité sa proie. La propriété de bons ports sur la côte allemande était pour la puissance septentrionale si importante que la question du rachat ou d'un échange ne pouvait être agitée avec quelque chance de succès ». Wismar avait perdu beaucoup de son importance pour la Suède cependant depuis qu'elle avait dû céder Brême et Verden. V. dans les MecklenburgerNachrichten, 1903, nos 178-190, les études du Dr J. Techen, intitulées Von Wismar Ver

reprise. Il se décida donc à faire quelques sacrifices et offrit à la Suède de lui payer une certaine somme à titre d'achat ou de prêt si elle lui abandonnait Wismar. Il avait de l'argent, elle en avait peu. Sous cette forme nouvelle, la proposition apparut acceptable. Gustave IV Adolphe l'agréa et le 26 juin 1803 fut signé à Malmoë entre ce Prince et FrédéricFrançois le traité qui la consacrait. C'était un beau succès pour le ministre Dewitz qui venait de montrer dans toute cette négociation des qualités d'homme d'État. Il avait su tirer d'une humiliation un profit, faire sortir de fiançailles rompues l'agrandissement de sa patrie; d'autres ministres, d'Allemagne également, reprendront un siècle plus tard ses procédés diplomatiques, et de massacres de missionnaires naîtra une concession en Chine. Dans les deux cas la conquête se dissimulera sous les mêmes formules juridiques.

II

Le traité de Malmoë (1) comprend vingt-cinq articles et un préambule. Ce dernier ne présente d'autre intérêt que de faire nettement ressortir le caractère transactionnel (2) de la cession et d'insister, ce sont ses expressions textuelles, sur sa nature conditionnelle et hypothécaire ». Voici l'essence des principales clauses qu'il précède.

Frédéric-François prête au Roi de Suède une somme de 1.250.000 écus de banque de Hambourg (3) (Reichsthaler). Gustave IV Adolphe lui remet en échange, à titre d'hypothèque (antichrésis), pour une durée de cent années, la Seigneurie de Wismar, les bailliages de Poël et de Neu-Kloster et leurs dépendances. Il lui accorde,sur ces villes et territoires, la « pleine et entière possession usufructuaire (4). Mais, tandis que le Duc et ses descendants s'interdisent de prétendre jamais à l'acquisition de Wismar en toute propriété par l'abandon de la somme prêtée au Roi de Suède,

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gangenheit. Le traité de Westphalie avait stipulé un dédommagement en faveur du Mecklenbourg pour la perte de Wismar. Cet État devait recevoir deux canonicats de l'évêché de Strasbourg. Ils lui furent plus tard enlevés par la France.

(1) Traité entre Sa Majesté le Roi de Suède et Son Altesse Sérénissime le Duc de Mecklenbourg-Schwerin sur la ville et Seigneurie de Wismar; 1 br. in-4° de 23 p., 1803. Edition spéciale publiée sans nom d'imprimeur et sans aucune indication relative au lieu de publication. Le texte allemand figure en regard du texte français. Indépendamment de cette édition spéciale, le traité figure dans de Martens, Recueil de trailés, Supplément, t. III, p. 488 et suiv.

(2) Dans la version allemande du titre, le mot traité est traduit, intentionnellement peut-être, par Vergleich, compromis, et non par Vertrag, qui signifie plus ordinairement traité.

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(3) Art. VI. - Il convient d'en déduire les 36.000 écus déjà versés conformément à la convention du 23 octobre 1797. Les 64.000 écus restants ont été compris dans la somme payée en gage pour Wismar. (4) Art. I.

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celui-ci réserve à sa Couronne et à ses successeurs la faculté de libérer son gage lors de l'expiration du délai stipulé. S'il n'use pas de cette faculté, le traité est valable pour une nouvelle période centennale par clause de tacite reconduction (1). Dans le cas, au contraire, où il le dénoncerait en 1903, il devra rembourser au Mecklenbourg la somme de 1.250.000 thalers, plus un intérêt annuel de 3 0/0 (2).

Tels sont les articles fondamentaux du traité de Malmoë. Quelle était la nature exacte des droits transférés par cet instrument diplomatique au Duc Frédéric-François? C'est ce que nous devons maintenant nous demander.Etaient-ce ceux d'un véritable Souverain ou simplement ceux d'un usufruitier ? La question est controversable. Car si,dans les clauses que nous avons citées et le préambule du traité,il ne s'agit que d'usufruit, l'article II au contraire parle de souveraineté ; ce qui implique tout au moins l'idée de propriété.En voici le texte intégral: « Sa Majesté le Roi de Suède transfère sur la Personne de Son Altesse Sérénissime le Duc de MecklenbourgSvérin, et sur celle de Ses Successeurs tous Ses Droits de souveraineté sur Vismar, son Territoire et ses Dépendances, sans en excepter aucun, et tels qu'ils ont été délégués à la Couronne de Suède par l'article dixième, paragraphes sixième et treizième du traité de paix d'Osnabrück (3); Sa

(1) Art. III. (2) Art. IV. << L'évaluation de la somme hypothéquée est fixée à 5 0/0 par année et sera comptée du jour où l'échange des ratifications aura eu lieu. De ces 50/0, 20/0 devront être déduits comme censés équivalents aux revenus des possessions hypothéquées, et les 3 0/0 seront annuellement ajoutés au capital et en feront partie productive jusqu'au terme expiré ». Les articles V, VI, VII, VIII, IX et X sont relatifs au mode de payement du gage.

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(3) La rédaction du traité de Malmoë est souvent défectueuse. L'article Il en est une des meilleures preuves. En effet, avec une apparente précision, il renvoie à l'article X, § 6 et 13 du traité d'Osnabrück. Or, on chercherait vainement dans cet ar cle des indications aux paragraphes indiqués. Seul le paragraphe 2 du même article e réfère à notre sujet et il est l'unique dans tout le traité. En voici la rédaction: «L'Empereur, du consentement de tout l'Empire, cède aussi à la Reyne Sérénissime, et à ses héritiers et successeurs Roys, et au Royaume de Suède, en fief perpétuel et immédiat de l'Empire, la ville et le port de Wismar, avec le fort de Walfisch, comme aussi le bailliage de Poël (excepté les villages de Schedorf, Weidendorf, Brandenhufen et Wangern, appartenant aux hôpitaux du Saint-Esprit de la ville de Lübeck, et celui de Neven Closter, avec tous les droits et appartenances ainsi que tous les Ducs de Mecklenbourg les ont possedez jusqu'à présent; en sorte que tous lesdits lieux, le port entier et les terres de l'un et l'autre côté, depuis la ville jusqu'à la mer Baltique, demeurent à la libre disposition de Sa Majesté, pour les pouvoir fortifier et munir de Garnisons selon son bon plaisir, et l'exigence des circonstances, toutefois à ses propres frais et dépens, et pouvoir y avoir toujours une retraite et une demeure sûre pour les Navires et pour la Flotte et au surplus en jouer et user avec le mesme droit qui lui appartient sur les autres fiefs de l'Empire; sauf pourtant les privilèges et le commerce de la ville de Wismar, lesquels mesme seront de plus en plus avantagez par la protection et la faveur royale des pays de Suède ». Traité de paix entre l'Empire, la Suède et la France,conclu

Majesté se démettant ainsi, en faveur de Sa dite Altesse et de Ses Descendans, de toute l'autorité politique, militaire, civile, ecclésiastique el judiciaire qu'Elle a jusqu'à ce moment exercée sur les possessions hypothé quées et sur leurs habitants ». Frédéric-François se trouvait donc restitué dans tous les droits qu'avaient exercés ses ancêtres jusqu'au moment où la diplomatie d'Oxenstiern était venue leur ravir leurs possessions.La réserve relative au traité d'Osnabrück est de peu d'importance. Ses auleurs avaient stipulé que Wismar, Poël et Neu-Kloster passeraient comme fiefs d'Empire à la Cour de Suède. En 1803, les liens avec l'Empire pouvaient être considérés comme brisés. Complètement dépourvu de prestige et d'autorité, celui-ci achevait sa lente agonie (1). La limitation de souveraineté résultant de la clause du traité d'Osnabrück est donc de pure forme, en admettant qu'elle ait jamais eu quelque valeur. Mais il en est de plus sérieuses. Dans l'article cité, la qualification de Possessions hypothéquées vient remettre les choses au point. Cet article est confirmé par l'article XI qui précise davantage encore. Une possession hypothécaire, dit-il, étant de sa nature même nullement aliénable, en exceptant le seul cas de sa rétention par le Souverain primitif, il est expressément convenu que la Ville et la Seigneurie de Vismar, les bailliages de Poël et de Neu-Kloster et leurs dépendances ne pourront jamais être aliénés, vendus, hypothéqués, légués ou d'aucune manière cédés à telle autre puissance ou État que ce soit; lesdites possessions devant ainsi rester hypothéquées nommément et uniquement aux Ducs de Mecklenbourg-Svérin. Cette clause est obligatoire tant pour Son Altesse actuellement régnante que pour Ses Successeurs jusqu'à l'expiration du terme hypothécaire. Il ne s'agit donc bien, en fait, que des droits d'un usufruitier. Le Duc de Mecklenbourg-Schwerin n'ayant pas la libre disposition du gage ne saurait être considéré comme un propriétaire, partant comme un Souverain. Lui-même, d'ailleurs, le reconnaît expressément. Il renonce à former la moindre prétention sur le titre et les armes de Wismar, que les Rois de Suède n'avaient jamais portés bien qu'ils en eussent le droit parce que ces marques extérieures d'une souveraineté inaliénable paraissent peu compatibles avec la nature même d'une possession usufructuaire (2). Ces restrictions nous semblent aujourd'hui sans portée. Il n'en était pas de même en 1803. La France commençait à déborder sur l'Europe, et l'on peut parfaitement concevoir un moment où Wismar eût formé l'objet de négociations. Ne sait-on pas, en effet, que

D

et signé à Osnabrück le 20 otobre 1648. Du Mont, Corps diplomatique du droit des gens, t. VI, part. I, p. 649 et suiv.

(1) Il devait disparaître trois ans plus tard. (2) Art. XIV.

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