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Orient entre la Russie et le Japon. Ce conflit, quelle qu'en soit l'issue, aura des conséquences très importantes au point de vue politique comme au point de vue économique. C'est la question d'Extrême-Orient qui se pose avec brutalité au début du XXe siècle, pleine de dangers pour la paix du monde, et qui menace de donner aux gouvernements occcidentaux autant de difficultés que la question d'Orient, préoccupation constante des chancelleries européennes au siècle dernier.

Laissant de côté ce point de vue, nous nous bornerons à étudier la guerre actuelle, ses origines, son développement et son dénouement,

de novembre 1904; Baron Suyematsu, How Russia brought on war, dans la Nineteenth Century and after de septembre et octobre 1904 (un tirage à part en a été publié en français); R. D. V., La politica della « porta aperta » e il conflitto russogiapponese, dans l'Economista du 11 septembre 1904; Considerazioni sulla guerra russogiapponese, dans la Rassegna nazionale du 1er avril 1904; Tomidzu, La politique russe en Extrême-Orient, dans la Revue de droit international (japonaise), 1902, no 2; Mémoire sur le différend russo-japonais relatif à la Mandchourie et à la Corée, publié par le Bureau international permanent de la paix à Berne le 15 décembre 1903. V. encore le Bulletin du Comité de l'Asie française depuis 1901, le Mémorial diplomatique, les Questions diplomatiques et coloniales et les grands journaux quotidiens, le Temps, le Journal des Débats, le Journal de Saint-Pétersbourg, le Times, la Kælniche Zeitung, la Frankfurter Zeitung, la Neue Freie Presse, depuis 1896. V. aussi les journaux d'Extrême-Orient, et notamment l'Echo de Chine et le London and China Telegraph.

II. Mandchourie et Corée.

Henry Dumolard, Le Japon politique, économique et social, Paris, 1903, 1 vol. in-18; Félix Martin, Le Japon vrai, Paris, 1898, 1 vol. in-18 (pour la guerre sino-japonaise et ses conséquences); capitaine Enselme, A travers la Mandchourie, le chemin de fer de l'Est chinois, Paris, 1903, 1 vol. in-18; Hamilton, Korea, Londres, 1904, in-8°; édition allemande, Korea, das Land des Morgenrots, Leipsig, 1904, in-8°; édition française, En Corée (trad. de Bazalgette), Paris, 1904, 1 vol. in-8°; Alex. Hosie, Manchuria, its people, resources and recent history, Londres, 1901, in-8°; G. Lynch, Corée, Chine et Mandchourie. Les convoitises russes et japonaises (traduct. Giluncy), Paris, 1904, in-18; B. L. Putnam Weale, Manchu and Muscovile, Londres, 1904, in-8°; Villetard de Laguérie, La Corée indépendante, russe ou japonaise, Paris, 1898, in-16; du même auteur, La Corée et la guerre russo-japonaise, Paris, s. d., in-16; H. J. Whigham, Manchuria and Korea, Londres, 1904, in-8°; Cordier, L'expansion japonaise, dans les Questions diplomatiques et coloniales du 1er avril 1904; Courant, La Corée et les puissances étrangères, dans les Annales des sciences politiques du 15 mars 1904; F. Mury, Populations de la Mandchourie et de la Corée, dans la Revue de géographie du 1er mai 1904; Villetard de Laguérie, La Corée, dans la Revue des Deux-Mondes du 1er février 1904; X. En Mandchourie et en Corée, dans la Revue des Deux-Mondes du 15 octobre 1904; Miner, Les visées moscovites sur la Mandchourie, dans la North American Review de mars 1902; Jung, La Russie et la Mandchourie, dans la Revue indo-chinoise du 5 janvier 1903; Tomitzu, Voyage en Mandchourie, dans la Revue de droit international (japonaise), 1903, no 11; Victor Bérard, La Corée, dans la Revue de Paris du 15 janvier 1904; Zenzinoff, L'annexion de la Mandchourie, dans la Revue bleue du 21 juin 1902; Stead, Conquest by Bank and Railways, dans la Nineteenth Century de juin 1903; J. H. Longford, Japanese relations with Korea, dans la Nineteenth Century de février 1904; Comte Cassini, Russia in the Far East, dans la North American Review de mai 1904; La crise, Chine et Japon en Corée; Russes et Japonais en Corée, dans l'Echo de Chine du 26 décembre 1903 et du 2 janvier 1904.

dans leurs rapports avec le droit international, en dégageant les enseignements qu'ils comportent pour cette science.

On peut remarquer dès à présent que ce conflit présente des caractères spéciaux. Les deux belligérants ont signé la convention de la Haye de 1899 relative aux lois et coutumes de la guerre terrestre. C'est la première fois que le nouveau règlement est mis en pratique, et son application permettra d'en constater les lacunes et les défauts. Il faut aussi espérer que la guerre actuelle fera avancer la question de la revision de la convention de Genève, depuis si longtemps réclamée par tous les hommes compétents.

Les hostilités n'ont pas lieu exclusivement sur terre, la guerre est à la fois terrestre et maritime à raison de la situation géographique des deux belligérants. On peut dire que, depuis le XVIIIe siècle, c'est la première grande lutte maritime. Il en est résulté qu'au point de vue pratique le droit de la guerre maritime n'a pas fait de grands progrès depuis cette époque, et cependant les conditions de la guerre sur mer ont considérablement changé depuis un siècle avec les nouveaux moyens d'attaque et de défense dont la science moderne a doté les belligérants. A part la déclaration de Paris de 1856 et la convention de la Haye de 1899, appliquant la convention de Genève aux guerres maritimes, rien n'a été fait pour fixer les conditions de la lutte sur mer. Le conflit actuel fera vivement regretter l'absence de toute réglementation à cet égard, dont la Grande-Bretagne porte presque toute la responsabilité. On peut croire que les hostilités dont l'Extrême-Orient est en ce moment le théâtre auront pour effet de montrer à tous les Etats civilisés la nécessité de réunir une nouvelle Conférence diplomatique afin d'apporter de justes limites aux droits et aux devoirs des belligérants sur mer.

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La guerre a toujours des conséquences pour les neutres si elle leur donne des droits, elle engendre pour eux des devoirs. Les circonstances de la lutte actuelle ont placé au premier plan de l'attention des puissances la situation spéciale des États non engagés dans les hostilités. Des questions nouvelles ont donné lieu à de graves difficultés entre les belligérants et les neutres. L'absence de précédents, le silence de la doctrine sur des cas qu'elle n'avait pu prévoir, font également souhaiter qu'après le rétablissement de la paix les États fixent avec précision dans une nouvelle Conférence les droits et les devoirs respectifs des belligérants et des pays qui demeurent dans l'état de paix. On éviterait ainsi des froissements pour les uns, des protestations de la part des autres, c'est-à-dire autant de causes nouvelles de conflits (1).

(1) Le gouvernement des Etats-Unis a pris l'initiative de la réunion à la Haye d'une nouvelle Conférence de la Paix dans le but de fixer des règles sur un certain nombre

Enfin, la guerre présente fournit l'occasion d'une constatation curieuse. Sur terre, c'est sur le territoire de deux Etats étrangers au conflit et actuellement en paix avec les deux belligérants, la Chine et la Corée, que les hostilités se déroulent principalement. Il en résulte que ce sont deux États tiers qui doivent, malgré eux, supporter toutes les conséquences de la lutte et principalement l'occupation militaire et les dommages résultant des hostilités. Cette situation n'est pas nouvelle ; elle s'était souvent présentée autrefois : l'Italie et l'Allemagne en sont des exemples classiques. Mais depuis longtemps elle ne s'était plus reproduite. On peut remarquer, il est vrai, que le Japon, en 1904 comme en 1894, lors de son conflit avec la Chine, a lié le sort de la Corée au sien par un traité d'alliance imposé à cet État plutôt que librement accepté par lui. D'autre part, la Mandchourie est depuis plusieurs années occupée par les Russes et devait passer tôt ou tard sous la domination moscovite. Il n'en est pas moins vrai que, pour cette partie de la Chine comme pour la Corée, la situation est tout à fait anormale et susceptible, d'ailleurs, d'amener des difficultés entre les belligérants, peut-être même des complications internationales.

La guerre actuelle a pour causes apparentes les prétentions respectives de la Russie et du Japon sur la Mandchourie et la Corée. Mais, comme dans la plupart des cas, ces causes sont multiples et complexes. Pour les rechercher il est indispensable d'exposer la politique des deux puissances dans cette partie de l'Asie et les négociations engagées entre elles pour trouver une solution pacifique au différend qui les divisait. Nous serons ainsi amené à dégager les causes de la guerre et à les apprécier au point de vue juridique. Nous étudierons donc : 1o la politique des puissances en Mandchourie et en Corée ; 2° les négociations qui ont précédé la guerre ; 3° les causes du conflit.

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I. Politique des puissances en Mandchourie et en Corée. On peut dire des compétitions de la Russie et du Japon en Mandchourie et en Corée que ces deux questions se sont développées parallèlement. Mais en Mandchourie la Russie trouvait en face d'elle plusieurs puissances ayant des intérêts opposés aux siens, l'Angleterre, les États-Unis et le Japon; il n'en était pas de même en Corée où la lutte d'influence a toujours été circonscrite entre la Russie et le Japon.

A. Mandchourie. La question mandchourienne comprend plusieurs phases depuis son origine jusqu'en 1904. La poussée russe qui s'effec

de points relatifs aux droits et devoirs des neutres et à la guerre maritime. V. circulaires de M. Hay, secrétaire d'Etat des affaires étrangères, des 21 octobre et 16 décembre 1904, dans cette Revue, t. XII (1905), Documents, p. 1 et 3. La guerre actuelle a fait ajourner la réalisation de ce projet.

tuait lentement vers l'Est depuis trois siècles n'avait pas rencontré d'obstacle sérieux jusqu'à la fin du XIXe siècle. Lorsqu'elle voulut franchir l'Amour pour étendre son influence vers le Sud, la Russie commença par obtenir quelques concessions en Mandchourie; limitant son action. au Nord, puis descendant graduellement vers le Sud, elle arriva par étapes successives jusqu'à une absorption complète de cette province. L'histoire de sa politique en Mandchourie peut se diviser en quatre périodes: 1o De l'origine à la convention Cassini (1896), qui lui concède ses premiers privilèges dans le Nord de cette province, principalement le droit de faire passer son chemin de fer transsibérien à travers le territoire chinois pour atteindre Vladivostok. 2o De 1896 à la campagne de Chine (1900). Pendant cette période, la Russie obtient la cession à bail de Port-Arthur et le droit de prolonger le chemin de fer jusqu'à ce port par un embranchement qui traverse toute la Mandchourie: il en résulte une extension considérable de son influence vers le Sud. 3o De 1900 à la convention pour l'évacuation de la Mandchourie (1902). A la suite du soulèvement des Boxers, la campagne de Chine fournit à la Russie le prétexte et l'occasion de conquérir la Mandchourie et de s'y établir solidement, tout en garantissant aux puissances que son occupation n'est que temporaire. — 4° De 1902 à la rupture des relations diplomatiques (1904). La convention signée avec la Chine pour l'évacuation de la Mandchourie consacrait par ses clauses et par ses réserves la mainmise définitive de la Russie sur la Mandchourie. Cette période est remplie par les négociations entre la Russie et certaines puissances qui voulaient obtenir d'elle la restitution de la Mandchourie à la Chine. Le Japon se distingua spécialement par la vivacité de ses protestations qui aboutirent à la rupture des relations diplomatiques.

1o La politique russe dans le Nord de la Chine jusqu'à la convention Cassini (1896). La pénétration russe dans l'Asie orientale se fit avec lenteur et prudence, de manière à ne pas éveiller les susceptibilités de la Chine. Avançant sans bruit, reculant au besoin, la Russie parvint, en l'espace de deux siècles, à conquérir des territoires immenses sur lesquels la Chine prétendait avoir un droit de souveraineté. Malgré ses empiétements le gouvernement moscovite réussit à conserver toujours des relations pacifiques avec le Céleste Empire. Aussi a-t-on pu rendre aux Russes un hommage mérité en disant que « ce sont les seuls Européens qui furent capables de vivre pendant deux siècles sur le pied de paix avec des Asiatiques et de traiter ceux-ci autrement que comme des sauvages » (1).

(1) Alexandre Halot, Les origines du conflit russo-japonais, dans la Revue de droit international et de législation comparée, 2a série, t. VI (1904), p. 116.

C'est à la fin du XVIe siècle que les premiers rapports entre les deux Empires furent établis. Après la conquête de la Sibérie et la fondation de villes importantes dans les nouveaux territoires, les Russes se fixèrent sur les bords de l'Amour en 1644. Trois ans plus tard, le cosaque Khabarow était chargé de fonder une colonie sur les bords du fleuve et d'explorer celui-ci jusqu'à la mer. L'établissement des Russes dans cette région fit entrer les conquérants en conflit avec les Chinois qui voulurent les en chasser. Après des alternatives de succès et de revers, le traité de Nertchinsk en 1689, premier acte diplomatique signé par la Chine avec la Russie, fixa les frontières entre les deux États. Tous les pays baignés par l'Amour étaient abandonnés à la Chine. La frontière était formée à l'Ouest par le fleuve Argoun, au Nord par le fleuve Gorbitza, et se dirigeait irrégulièrement vers la mer d'Okhotsk, attribuant à la Chine le versant sud des monts Stanovoï et les cours d'eau qui en descendent vers l'Amour, et à la Russie le versant nord avec les rivières qui y prennent leur source. De plus, les sujets des deux puissances obtenaient le droit de voyager, d'acheter et de vendre sur le territoire de chacune d'elles, à la seule condition d'être munis de passeports (1).

Au XVII et au XVIIIe siècles les Russes employèrent leur activité à explorer la Sibérie qu'ils ne connaissaient qu'imparfaitement. Après être parvenus jusqu'à l'Océan Glacial, ils annexèrent le Kamtchaka et firent passer graduellement sous leur domination la population nomade des steppes. Mais en s'étendant vers le Nord ils éprouvaient de grandes difficultés à assurer des communications permanentes avec leurs nouveaux établissements. Il devenait de plus en plus nécessaire pour la Russie d'avoir le droit de naviguer sur l'Amour qui lui était refusé par ses traités avec la Chine. Au milieu du XIXe siècle, le général Mouraview, gouverneur général de la Sibérie orientale (2), obtint des Chinois l'autorisation de faire explorer l'Amour jusqu'à son embouchure. Après avoir fait reconnaître le cours du fleuve, il installa des colons sur ses bords et attira les paysans russes par des distributions de terres et des exemptions d'impôts et de service militaire. En quelques années toute la région passa sous la souveraineté de fait de la Russie.

En 1858 la Chine reconnut les droits que celle-ci s'était créés par la conquête dans la région de l'Amour, et le traité d'Aïgoun fixa les nouvel les frontières entre les deux États. La Chine cédait à la Russie la rive gauche de l'Amour jusqu'à l'Oussouri et les deux rives du fleuve depuis cet affluent jusqu'à la mer (3). Le traité de Pékin (1860) fixait encore plus

(1) G.-F. de Martens, Nouveau recueil général de traités, t. XVII, 2e partie, p. 173. (2) Il fut créé plus tard Comte Moura view Amoursky.

(3) Traité d'Aïgoun du 28 mai 1858, dans G.-F. de Martens, Nouveau recueil général de traités, t. XVII, 1re partie, p. 1.

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