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Napoléon songea en 1813 à faire du Mecklenbourg une Principauté pour Davoust, reprenant ainsi, près de deux siècles plus tard, un projet auquel l'Empereur Ferdinand II avait donné, en faveur de Wallenstein, une réalisation éphémère. Leipsig devait empêcher le succès de ces plans (16-19 octobre 1813), et d'ailleurs la diplomatie impériale eut sans doute fait bon marché du traité de Malmoë. Toutefois, il y a là une hypothèse qu'il était intéressant de mentionner.

On a prétendu que les limitations de souveraineté imposées au Mecklenbourg par l'acte du 26 juin 1803 étaient au nombre de deux. D'une part, cet acte aurait empêché la représentation de Wismar et de ses dépendances à la Diète du Grand-Duché; de l'autre, il aurait interdit de fortifier la ville. En ce qui concerne le premier point, aucun article du traité n'a rien stipulé très précisément, mais on peut trouver dans certaines de ses clauses sinon le fondement, du moins une conséquence de l'interdiction qui a, en fait, pesé sur les territoires dont nous décrivons la situation juridique. Frédéric-François Ier s'engageait, en effet, de la manière la plus formelle à maintenir pays et habitants, « soit citadins, soit campagnards, dans tous leurs droits, privilèges et immunités légitimes, sans jamais y attenter de quelque manière, dans quel cas et par quelque raison plausible que ce soit» (1). Cette interdiction résultait de ce que la ville de Wismar ne faisait pas partie du Mecklenbourg au même titre que les autres villes soumises au droit commun du Duché. Elle jouissait d'anciens privilèges et n'entendait consommer son incorporation qu'après en avoir obtenu la garantie. C'est pour ces raisons, et non par suite du traité de Malmoë, qu'elle n'a été représentée à la Diète que depuis 1897 (2). L'expression d'immunités légitimes s'applique

(1) Art. XVII.

(2) L'incorporation de Wismar n'a été réalisée que par l'acte d'union signé à Rostock le 21 janvier 1897 et ratifié le 9 février de la même année. Le 1er juillet, la ville a été admise, en effet, dans l'union souveraine (ständisschen Verband)et a été représentée pour la première fois à la Diète au mois de novembre suivant. Des négociations ayant pour but de faire cesser sa non représentation aux États avaient eu lieu à plusieurs reprises (1828 et 1829, 1832, 1848, 1863 et 1864). Elles échouèrent toujours, en partie parce qu'on ne put s'entendre au sujet du régime à adopter pour les douanes et les accises, en partie parce que Wismar réclamait un siège et une voix au Conseil (Engern Auschusse), dans les mêmes conditions où elle l'avait possédée avant 1648 (V. Witte, Wismar unter dem Pfand Vertrage, p. 39, 14, 101). Le premier obstacle a été écarté en 1863; le second a disparu de ce fait que la ville a renoncé à sa prétention parce qu'elle espère obtenir une voix virile dans l'un des deux ordres dont est composée la Diète, la Landschaft,ou représentation des villes, et pouvoir ainsi mieux défendre ses intérêts(On pourra consulter sur la situation de Wismar avant l'union de 1897: Bohlan, Mecklenb. Landrecht, t. I, p. 224. V. en outre, pour l'intelligence du régime existant en Mecklenbourg, outre l'ouvrage déjà cité de Combes de Lestrade, ses Notes sur l'Allemagne administrative; les Grands-Duchés de Mecklenbourg, dans la Revue politique et parlementairc, no 88, t. XXX, 1 octobre 1901; Wiggers Julius, Das Verfassungsrecht im Grossher

donc uniquement à des exemptions douanières et à des questions d'impôts; elle ne se réfère nullement à l'état des personnes (1).

La deuxième question que nous avons à élucider est à la fois plus simple et plus compliquée. Il est certain que Wismar était grevé d'une servitude de non fortification (2), mais le caractère de cette servitude apparait un peu différent de celui qu'on lui prète ordinairement. D'après l'article XV,le Roi de Suède se trouvait lui-même obligé par une ancienne stipulation encore subsistante avec une autre puissance à ne jamais fortifier la ville et le port de Wismar de quelque manière et sous quelque prétexte que ce puisse être. C'est cette obligation personnelle qu'il transmit par le traité de Malmoë au Duc de Mecklenbourg et à ses descendants.

Cette cession appelle une double remarque. D'une part, l'article XV ne précise nullement quel est le traité antérieur par lequel la Couronne de Suède s'est engagée vis-à-vis d'un autre État, rappel qui est d'usage et dont l'absence démontre la rédaction souvent défectueuse du traité de Malmoë; de l'autre, cet article parait formuler une singulière théorie. << Une cession hypothécaire ne saurait invalider, dit-il, cette obligation (celle de ne pas fortifier Wismar) stipulée par un traité antérieur ». Ce qui revient à prétendre qu'une cession pure et simple aurait des effets plus étendus. On sait de reste qu'il n'en est rien. Une servitude internationale, constituée au profit d'un tiers, ne s'éteint pas, par cela seul que le territoire sur lequel elle se trouve est l'objet d'un transfert de propriété. Les droits conférés à la France par le traité d'Utrecht et les traités postérieurs seraient restés identiques sur Terre-Neuve quand bien même cette île se fût soustraite à la domination anglaise pour se donner aux États-Unis. Ou bien donc l'article XV est mal rédigé, ou bien il s'inspire d'un principe absolument inadmissible.

Pour en éclairer la rédaction, il nous faut maintenant ouvrir comme une parenthèse et montrer à quels événements historiques il se réfère. Après la paix de Westphalie qui donna Wismar à la Suède, les fortifications de cette place furent renforcées de telle sorte que Charles IX nommait ses remparts: les remparts d'argent. Assiégée une première fois, zoythum Mecklenburg Schwerin, Berlin, 1860; enfin, la courte notice d'Étienne Flandin, dans le volume: Allemagne ; des institutions politiques de l'Allemagne contemporaine, Paris, Le Soudier, 1902). Ce qui démontre clairement d'ailleurs que le traité de Malmoë n'était pour rien dans la représentation de Wismar au Mecklenbourg, c'est que cette ville a été représentée au Reichstag dès la création de celui-ci, sans que la Suède soulevât la moindre objection.

(1) On pourrait soutenir, toutefois, qu'elle se rappportait explicitement à l'exemption du servage qui subsistait encore en Mecklenbourg et ne devait être aboli que dix-sept ans plus tard.

2) Art. XV et XVI.

en 1712, par les Danois, de nouveau, en 1716, par les Danois encore, les Prussiens et les Hanovriens, la ville dut se rendre le 19 avril. Ses fortifications furent rasées, et le Danemark, se souvenant des difficultés que la place lui avait causées, fit insérer dans le traité de Stockholm (3 juin 1720) un article qui interdisait d'en relever à jamais les remparts (1). L'acceptation même d'une clause de cette nature marquait bien dans quelle déchéance, qu'allait confirmer le traité de Nystadt, venait de tomber ce Royaume si puissant sous Gustave Adolphe. Son rappel dans le traité de 1803 implique des conséquences que nous indiquerons en étudiant l'article XVI.

Cet article, sans être lié directement au précédent, doit être considéré comme s'y rattachant. Il stipule que le port de Wismar ne sera jamais transformé en port de guerre à l'usage d'aucune puissance ou État étranger et cela sans exception ». C'est dire que nul bâtiment armé de quelque grandeur, structure ou dénomination que ce soit n'y saurait stationner ou ne pourrait avoir droit de séjour par convention expresse ou tacite. L'article XVI n'étant, je l'ai dit, pas lié directement à l'article XV, on peut soutenir, en l'envisageant isolément, que la servitude de non utilisation comme port de guerre qui pesait sur Wismar depuis un siècle a cessé d'exister par suite du traité de 1903; mais il n'en est pas de même de la servitude de non-fortification et celle-ci peut être considérée, en droit pur, comme subsistant encore malgré l'accord suédoallemand, puisque rien n'indique que la puissance tierce intéressée, le Danemark, en l'espèce, ait été admise à y participer. La clause du traité de Stockholm, confirmée à Malmoë, restera donc valable juridiquement tant que le gouvernement danois n'aura pas été consulté et n'aura pas renoncé expressément à ses droits. C'est là certainement un point auquel les négociateurs de 1903 n'ont nullement songé et qui, pour ne présenter aucun intérêt pratique, n'en reste pas moins curieux.

(1) V. Du Mont, Corps diplomatique du droit des gens, t. VIII, deuxième partie, p. 3032. Traité de paix entre le Roi de Suède d'une part et le Roi de Danemark d'autre part, par la médiation du Roi de la Grande-Bretagne et aussi du Roi de France. Stockholm, 3 juin 1720. L'article VIII stipule la cession de Wismar; en voici le texte : « A l'égard de la ville de Wismar,... Sa Majesté le Roi de Dannemarc cède et renonce en faveur de Sa Majesté et de la Couronne de Suède à toutes les prétentions qu'elle aurait pu avoir sur cette ville et son territoire, et elle promet d'en retirer ses troupes d'abord après la ratification du présent traité, laissant au Roi et à la Couronne de Suède le droit incontestable, qui appartient à la dite Couronne de Suède, sur la dite ville de Wismar, son territoire et ses dépendances ». Il convient de joindre à cet article le troisième alinéa d'une annexe du traité intitulée: « Elucidation des articles précédents du traité de paix entre Sa Majesté de Dannemarc et Sa Majesté la Couronne de Suède ». Voici ce troisième alinéa : « Quant à la ville de Wismar dont il est parlé dans l'article VIII, on est convenu par le présent qu'elle ne sera jamais rétablie, et que par rapport à ses fortifications, elle restera dans l'état où elle est ».

REVUE. 1905

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III

Les traités de 1815 ne modifièrent pas la situation de Wismar et de ses dépendances. Le Duc de Mecklenbourg-Schwerin, devenu Grand-Duc,il est vrai, n'obtint aucun accroissement territorial au Congrès de Vienne. On ne se préoccupa même pas de régulariser ses acquisitions de 1803. Il devait s'écouler près d'un siècle avant que les stipulations de Malmoë ne fussent mises de nouveau à l'ordre du jour.

Le 27 janvier 1900, M. Adolf Hedin, député au Riksdag de Suède et l'un des hommes les plus éminents du Parlement de Stockholm, dont il dirige une importante fraction de l'extrême gauche (1), déposait à la seconde Chambre une proposition qui fut, pour beaucoup de ses collègues, une révélation. Il demandait au gouvernement suédois d'engager des négociations avec l'Allemagne et de proposer à celle-ci l'abandon au Mecklenbourg-Schwerin de Wismar et ses dépendances sous la condition que la Prusse rendrait au Danemark le Schleswig septentrional (2). M. Hedin justifiait ainsi sa proposition: d'après lui, « l'Allemagne, au moment surtout où elle était sur le point de doubler sa flotte de guerre, avait le plus grand intérêt à fortifier Wismar et à en faire un port militaire (3). Elle ne pouvait y parvenir sans que la Suède consentit à l'annulation du traité de Malmoë.On voit que le député suédois ignorait les clauses de 1720 qui fussent venues singulièrement renforcer sa thèse. Cette annulation, devait-on l'accorder à titre gratuit? M. Hedin ne le pensait pas. Accepter une somme d'argent ne lui semblait pas digne de son pays; mais faire servir l'abandon des territoires contestés au rachat d'un peuple frère injustement opprimé lui paraissait, au contraire, une œuvre capable d'honorer sa patrie devant la postérité. Il invitait le Roi à en prendre l'initiative et l'assurait qu'un tel acte perpétuerait à jamais. sa mémoire. Oscar II ne parait pas s'être laissé toucher par l'éloquence de cet appel sur lequel son auteur même n'avait pas dû se faire beaucoup illusion, et quand vint l'échéance attendue il se borna à déclarer au gouvernement allemand que la Suède renonçait aux avantages du

(1) V.au sujet de cet homme d'Etat,mon article: La neutralité scandinave, dans cette Revue, t. XI (1904), p. 28 et suiv. (p. 30 du tirage à part). M. Hedin n'est pas socialiste, et je le qualifierais volontiers de radical faute d'une dénomination plus précise s'il ne m'avait déclaré lui-même que cette épithète lui paraissait inexacte.

(2) V. mon article: Le rapprochement dano-allemand et la question du Schleswig, dans les Annales des sciences politiques du 15 juillet 1903, p. 483.

(3) Afin de prouver que l'Allemagne tenait au port de Wismar, M. Hedin s'appuyait sur une publication faite en 1895 par le lieutenant-colonel allemand Proberius, dans laquelle cet officier signalait l'importance de cette place pour les marines de guerre et de commerce de son pays.

traité de 1803. Le vieux Souverain, d'une part, le Grand-Duc de Mecklenbourg-Schwerin et l'Empereur Guillaume II, de l'autre, échangèrent des télégrammes par lesquels ils se félicitaient de l'heureuse solution intervenue. M. Hedin avait souhaité une manifestation de scandinavisme, on lui répondit par une manifestation germanophile.

Le traité de Malmoë regardait, à la fois, vers le passé et vers l'avenir. Vers le passé, car il se rattache à un ordre de conventions d'application fréquente au moyen âge où la propriété s'acquérait surtout par l'usage; vers l'avenir, car cet engagement pour cent et éventuellement deux cents années ne diffère pas des engagements du même ordre contractés de nos jours par l'Allemagne en Chine à Kiao-Tchéou (6 mars 1898) (1), et par la France dans le même pays à Kouang-Tchéou-Ouan (9-10 avril 1898 et 18 novembre 1899) (2), pour citer les deux exemples les plus notoires. Je n'ai pas, à propos du traité de 1803, à étudier l'histoire des cessions. de même catégorie dont il n'est qu'un exemple isolé ; je dois cependant rappeler qu'elles ont leur point de départ dans une institution du droit privé ancien, toute tenure perpétuelle ou simplement à long terme étant considérée comme un bail. On distinguait les bails à cens ou bails avec redevance et les bails à fief ou bails libres de toute charge; le bail dont il est ici question est incontestablement un bail à cens. Au début du XIXe siècle, ce mode de tradition de la propriété était presque complètement abandonné, il semblait une survivance des temps disparus. Des conjonctures politiques, peut-être en leur fond moins dissemblables qu'elles ne l'apparaissent au premier abord des conjonctures du passé, devaient amener la résurrection d une forme de conquête qu'on pouvait croire frappée de caducité.

La comparaison des traités de 1898-1899 et de l'instrument de 1803 nous permet,à cet égard, d'utiles rapprochements qui accusent nettement le lien de dépendance entre ces divers actes, leur communauté d'origine juridique. Et d'abord, c'est la durée même de l'engagement: cent années, dit le traité de Malmoë; quatre-vingt-dix-neuf ans, déclarent les accords franco-chinois (art. I) et sino-allemand (art. II). C'est ensuite, et ceci est de beaucoup plus d'importance, la reserve de souveraineté à KouangTchéou-Ouan (art. I) comme à Wismar, mais (art. III) purement théorique dans les deux cas (3). Bien plus, la France possède le droit de fortification

(1) Traité relatif à Kiao-Tchéou, du 6 mars 1898. V. G.-F. de Martens, Nouveau recueil général de traités, 2e série, t. XXX, p. 326.

(2) Accord concernant Kouang-Tchéou-Ouan, du 9-10 avril 1898; convention de délimitation relative à Kouang-Tchéou-Ouan, proposée par la France le 4 juin 1898 et signée le 18 novembre 1899. V. Livre aune français, Chine, 1894-1898, p. 50-51, et Chine, 1898-1899, p. 2 et suiv. et p. 25.

(3) Voici le texte des articles I et III de la convention franco-chinoise relative à

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