Page images
PDF
EPUB

cette année, et qui m'a seule permis de remplir à peu près la tâche, visiblement trop lourde pour moi, que vous m'aviez confiée.

Je n'ai plus, Messieurs, qu'à vous rappeler que, le 8 août 1880, 500 anciens élèves des écoles des Arts et Métiers accomplissaient un pieux pèlerinage à Liancourt, pour y célébrer le centenaire de la fondation de leurs. écoles et honorer la mémoire du duc de Larochefoucault-Liancourt, qui eut le premier l'idée de cette fondation, base de l'enseignement professionnel en France. Celui qu'ils avaient mis à leur tête, dans cette mémorable circonstance, était l'ancien président de leur association amicale, l'habile ingénieur en chef du chemin de fer de Vincennes, le membre de la commission du génie civil, du siège de 1870, M. L. Martin, et c'est lui que je suis heureux d'avoir à installer aujourd'hui à ce fauteuil où j'eusse dû le suivre et non le précéder (Applaudissements).

M. Martin, prenant place au fauteuil, prononce le discours suivant:

MESSIEURS ET CHERS COLLÈGUES,

Avant de prendre possession de ce fauteuil, que votre bienveillance m'appelle à occuper; j'ai à vous dire combien je suis touché de l'honneur que vous m'avez fait en me choisissant, parmi tant de collègues si dignes et bien mieux désignés que moi, pour la présidence de notre Société pendant l'année qui commence.

Votre choix, pour la constitution de votre bureau, est l'affirmation des paroles de notre cher et honoré Président sortant, M. Marché, qui, l'année dernière, lors de son installation, disait en parlant de notre institut:

«Il est largement ouvert, sans distinction d'origine, à tous les ingénieurs « qui servent la cause de cette grande force de notre démocratie moderne, « l'industrie privée. »

Vous avez voulu montrer, une fois de plus, de quel esprit de concorde et de libéralisme vous êtes animés, et faire ressortir que, tous ici, nous sommes des collègues, j'ose dire des camarades, qu'une mutuelle estime et qu'un même sentiment de confraternelle confiance rapproche.

Merci, Messieurs, merci, et pour moi et pour tous.

En ce qui me concerne, je sens les obligations que je contracte envers vous, en acceptant une position que je n'aurais osé ambitionner, et je suis confus en pensant que je me trouve désigné pour être le continuateur de l'œuvre des hommes éminents qui m'ont précédé, et qui ont pu mettre à votre service un grand savoir, une expérience consommée et le prestige de leur nom.

Vous voudrez bien excuser, s'il y a lieu, mon insuffisance que je tâcherai

de faire pardonner en apportant, à la gestion de vos affaires, mon dévouement le plus absolu.

Une Société formée, comme la nôtre, d'hommes essentiellement techniques, sans aucune attache officielle, a l'autorité nécessaire pour discuter toutes les questions qui sont du ressort de l'ingénieur.

C'est ainsi que vous avez pu le faire, avec fruit et d'une manière absolument désintéressée, pour la question si controversée du rachat des chemins de fer; chacun de nous a encore présentes à l'esprit les observations si pratiques, les déductions si judicieuses qui nous ont été apportées et qui, à peu près toutes, étaient contraires à l'adoption d'une telle mesure.

Serait-il imprudent d'admettre que nos discussions n'ont pas été étrangères au revirement d'opinion qui s'est produit à ce sujet?

Je ne le pense pas, et la Société peut hautement s'attribuer le mérite d'avoir élucidé la question et de l'avoir fait connaître dans ses détails.

Les faits sont venus depuis nous donner raison, et les conventions, bien qu'adoptées un peu par nécessité, confient aux Compagnies, et cela au grand avantage du crédit public et de l'industrie en général, la construc tion et l'exploitation des chemins de fer.

L'État ne posséderait-il pas un personnel suffisant, manquerait-il des moyens nécessaires pour mener à bien une telle entreprise?

Non certes! Ses ingénieurs ont un grand savoir, ils sont habiles et ils jouissent d'une considération incontestable et méritée; ses agents sont recrutés dans les milieux qui fournissent ceux des Compagnies ; les uns et les autres ont la juste autorité qu'ils tiennent et de leur expérience et de leur situation de fonctionnaires publics.

Ce qui leur manque, c'est la liberté d'action. Ils sont gênés par les exigences administratives qui se manifestent sous toutes les formes et qui, ne se prêtant pas aux solutions promptes, indispensables lorsqu'il s'agit d'affaires commerciales, paralysent parfois l'initiative individuelle et rendent stériles les efforts les plus incessants.

C'est là un mal dû, sans doute, à notre organisation bureaucratique et l'État doit renoncer au rôle d'industriel qu'on lui voulait faire prendre.

Il doit se contenter de celui de pondérateur entre les intérêts divers mis en jeu par l'industrie des transports.

Chacun de vos présidents s'efforce, à son tour, de vous communiquer l'objet principal de ses préoccupations du moment; vous ne vous étonnerez donc pas si je viens vous entretenir, entre autres, d'un sujet resté, jusqu'alors, un peu en dehors des études de quelques-uns de vous, et qui se rattache aussi à la question des chemins de fer.

Les conventions nouvelles, entre le gouvernement et les grandes Compagnies, ne stipulant aucune modification de principe aux tarifs de transport, que les adversaires de ces Compagnies critiquent amèrement et dont ils réclament avec instance la revision, il m'a paru utile d'établir ce que

sont réellement ces tarifs, depuis si longtemps l'objet des attaques les plus vives, des critiques les plus passionnées.

Les unes et les autres portent sur deux points principaux les modifications nombreuses apportées à l'économie des taxes et, par-dessus tout, la multiplicité des bases appliquées au calcul de ces dernières.

Les ennemis des tarifs actuels ont cru voir, dans la pratique des Compagnies, qu'ils qualifient souvent d'arbitraire, une violation des principes de liberté et d'égalité qui sont la base de notre droit social. Ils ne cessent de réclamer l'unification et la simplification de ces tarifs, et ils sont allés jusqu'à demander le rachat des chemins de fer par l'État, ce dernier ayant, d'après eux, la mission et le pouvoir de proclamer la réglementation uniforme et absolue des transports qu'ils considèrent comme le dernier mot du progrès.

L'établissement des chemins de fer, il convient de le reconnaître, a modifié profondément l'industrie des transports et cette transformation n'a pu s'opérer sans froisser des intérêts particuliers qui, les premiers, en jetant un cri de détresse, ont entraîné à leur suite les théoriciens et les utopistes, lesquels érigent le plus souvent leurs rêveries en principes et en poursuivent la réalisation au péril même de la chose publique qu'ils croient servir.

La liberté d'action des Compagnies, dans l'établissement de leurs tarifs de transport, découle du caractère de leur entreprise qui est une industrie assimilable à toute autre.

Cette liberté, par cela même, devrait être absolue; mais l'État usant du droit modérateur qui ressort pour lui de sa participation à l'entreprise, l'a circonscrite dans les limites d'un maximum fixé par le cahier des charges, tout en la consacrant par les prescriptions de l'article 45 de l'ordonnance de 1846.

En reconnaissant le caractère commercial de ces industries, il a compris que, comme toutes les autres, elles ne peuvent vivre et progresser qu'en appropriant leurs tarifs aux besoins du public et aux circonstances de temps et de lieux, c'est-à-dire en suivant le système des transactions commerciales qui se règlent sur les besoins de l'offre et de la demande débattues de gré à gré, sur l'abandon d'un droit ou d'un avantage, à l'une des parties, en échange d'un avantage ou d'un droit concédé par l'autre partie.

C'est ainsi que se préparent aujourd'hui, entre les Compagnies et le public, les tarifs de transport par chemins de fer.

L'État intervient pour affirmer l'entente; il consacre l'accord et garantit les intéressés contre des revirements trop brusques dans la tarification.

Trois facteurs entrent dans le calcul des taxes de transport :

La nature de la marchandise;

La distance;

Le poids.

La nature de la marchandise, ses dimensions, sa valeur, les risques résultant de son déplacement ont, de tout temps, différencié dans les entreprises de transport, la base à appliquer au calcul de la taxe.

Les marchandises, en effet, ne présentent pas toutes les mêmes caractères au point de vue du transport, elles n'offrent pas les mêmes difficultés de manipulation, ne demandent pas les mêmes soins, n'entraînent pas les mêmes risques.

Une marchandise dense est plus avantageuse pour le transporteur, qu'une autre d'un poids spécifique plus faible, sous le même volume; telle, est plus susceptible de s'avarier qu'une autre; telle n'a, par elle-même, qu'une valeur insignifiante et ne pourrait supporter des frais de transports élevés. De tout temps, les entreprises de transport ont accordé un traitement différent à la marchandise, suivant la distance à parcourir par elle. Le roulage, la batellerie, le cabotage, les grandes lignes de navigation n'ont jamais appliqué de taxes proportionnelles à la distance, quelle que soit la longueur du parcours effectué.

La réduction accordée, en pareil cas, découle de ce que les frais généraux, de l'entreprise n'augmentent pas proportionnellement à la distance.

Cette réduction, du reste, est réclamée par les besoins mêmes de l'industrie et du commerce. Telle matière, tel produit manquant sur un point où y faisant momentanément défaut, ne peut y arriver des lieux où il abonde que s'il bénéficie d'une certaine réduction de distance.

Sans elle, l'approvisionnement de certains centres ne se pourrait faire que dans des conditions désavantageuses, qui ne permettraient pas à la concurrence de produire le bon marché réclamé par tous.

L'importance du poids ou le tonnage de la marchandise transportée, a toujours été la cause d'une réduction de la taxe de transport.

Un expéditeur, présentant un chargement complet, bénéficie d'avantages refusés à un envoi isolé. Il en est ainsi dans tontes les transactions commerciales, et le négociant qui commande mille pièces d'étoffes à un fabricant, obtient de ce dernier des conditions avantageuses de prix qui ne sauraient être faites à l'acheteur de vingt-cinq pièces seulement de cette même étoffe.

Il n'y a dans ce procédé, rien qui choque le principe d'égalité, le même traitement étant accordé à tous ceux qu'offrent les conditions en vue desquelles il a été établi.

Les Compagnies de chemins de fer, sont des maisons de commerce, dont les tarifs, pour les services qu'elles sont appelées à rendre, sont déterminés par elles après expérience des besoins de la clientèle, à la disposition de laquelle elles se mettent.

Se substituant, par la force des choses, aux anciennes entreprises de transport, ou s'implantant à côté d'elles; en contact continuel avec ces dernières et entretenant des relations suivies avec toutes les industries, elles ne pouvaient moins faire que de suivre les errements pratiqués par les unes et par les autres.

Comment les Compagnies, mettant en pratique les principes établis par les considérations qui précèdent, ont-elles opéré pour l'établissement de leurs tarifs ?

Les cahiers des charges rangent les marchandises en trois classes, avec bases de transport décroissantes de la première à la troisième. Ces bases, uniformément appliquées à chaque kilomètre parcouru, donnent des taxes kilométriques proportionnelles. C'est là le tarif maximum de ces cahiers des charges, autrement dit, le tarif général des Compagnies, auquel ces dernières ont apporté des améliorations nombreuses.

Il n'est habituellement appliqué qu'aux transports isolés, à ceux à courte distance, aux expéditions dont les auteurs, ne faisant aucune concession de délai et de garantie aux transporteurs, entendent bénéficier de tous les avantages que leur concèdent ces cahiers des charges.

Mais l'application systématique de ce tarif proportionnel, sans inconvénient pour les relations peu étendues, rendrait les transactions sinon impossibles, du moins très difficiles, pour les longues distances, en raison de l'élévation du prix total de transport qui en résulterait.

Certains produits ne pourraient se rendre de leur lieu d'origine, dans telle ou telle région qui en resterait privée.

Aussi, les Compagnies ne font-elles qu'un emploi très restreint de ces tarifs généraux, bien qu'elles aient tout d'abord opéré, en faveur du commerce, de nombreux déclassements dans la classification officielle des marchandises.

Elles y ont notamment introduit une 4° et une 5 série à bases décroissantes, en raison de la distance, avec maximum et minimum.

Enfin, elles ont admis, dans une mesure plus ou moins large, des réductions sur la distance, en d'autres termes des distances d'application. Dans ce cas, les prix sont perçus non sur la distance réelle parcourue sur rails, mais sur une distance fictive, inférieure à la première.

La réfaction faite est motivée par les circuits du tracé de la ligne qui, en desservant plusieurs points éloignés d'une direction déterminée, allongent le trajet entre deux points donnés de cette même ligne..

Cette réfaction se justifie par cette considération, qu'il ne serait pas équitable de faire supporter à la marchandise l'augmentation de parcours résultant de ces circuits.

Mais cela ne suffisait pas, et les Compagnies ont satisfait aux besoins par la création de nombreux tarifs spéciaux dont elles font un grand usage. Diverses considérations de temps, de lieux, de mouvement du trafic, ont présidé à l'établissement de ces tarifs qui tous donnent de notables réductions sur le tarif général.

Ils prennent différents noms, suivant le but en vue duquel ils ont été adoptés.

Il y a d'abord les tarifs spéciaux proprement dits, qui s'appliquent au trafic intérieur de chaque Compagnie.

Trois systèmes ont présidé à l'économie de leurs taxes:

« PreviousContinue »