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environ. On n'a pas pu visiter les parties comprises entre les quilles latérales, mais la visite intérieure a permis de compléter les indications des scaphandres.

Visite intérieure. Avant d'ouvrir les trous d'homme du double fond, on fit sauter un rivet dans chaque alvéole et on s'assura à l'aide d'une sonde que le bâtiment ne faisait pas d'eau, même dans une seule alvéole, On ouvrit les trous d'homme et on pénétra entre les deux bordées distants en moyenne de 1m, 10.

On constata que le bordé extérieur en fer, présentait des déformations dont les principales s'étendaient sur des longueurs de 15 à 20 mètres, tant à babord qu'à tribord. Les parties déformées présentaient des flèches atteignant au maximum 70 millimètres à babord et 121 millimètres à tribord.

Les lisses (membrures longitudinales) et les couples (membrures transversales) correspondants aux endroits déformés s'étaient plissés. Le vaigrage ou bordé intérieur était partout intact et sans déformation appréciable.

Dans la nuit du 16 au 17 novembre, le navire fut soumis à une très rude épreuve; soulevé à tribord par la lame, il reçut d'affreuses secousses. La coque supporta victorieusement cette épreuve et aucune voie d'eau ne se déclara. La bande permanente sur tribord augmenta de deux degrés, probablement en écrasant les roches; elle devint donc 5 degrés.

Le 17 novembre à 10 3/4 du matin, grâce à la marée et à la houle soulevée par le vent sud-ouest, le navire flotta et vint à l'appel de ses

amarres.

La Dévastation rentra seule en rade de Lorient, avec sa machine qui était restée intacte. Le bâtiment ne présentait à l'intérieur de la coque aucune espèce de déformation. Le cuirassé était resté cependant plus de cinq jours sur les Errants, ballotté par les flots, avec deux hélices et un gouvernail à 20 mètres en porte à faux. Ces trois appareils pèsent ensemble 40 tonnes.

Cet accident a prouvé que l'épaisseur des membrures en acier était telle que, d'une part, elles établissaient une solidarité suffisante entre les deux bordés, de manière à les faire travailler ensemble quand il s'agissait de résister aux efforts normaux pour lesquels la coque a été calculée, et que, d'autre part, les membrures avaient une flexibilité telle

que les déformations locales du bordé extérieur n'étaient pas transmises au bordé interne.

La résistance à la déformation par compression augmente beaucoup avec l'épaisseur de la paroi comprimée. Or, les membrures en acier avaient 9 millimètres tandis que des membrures en fer auraient eu 11 millimètres d'épaisseur. Il est donc très probable que si la coque eût été en fer, le vaigrage ou bordé intérieur eût été défoncé, la machine déplacée et le navire hors d'état de se relever pour rentrer seul au port.

Un accident analogue est arrivé à un cuirassé de premier rang anglais, l'Azincourt, dans la baie de Gibraltar. Ce navire a des membrures en fer et a eu son vaigrage défoncé. Il y avait donc trop de solidarité entre les deux bordés. Si les membrures eussent été en acier, elles se seraient écrasées comme celles de la Dévastation, sans que pour cela la coque perdit de sa résistance.

L'expérience a donc démontré, elle aussi, que les coques en acier sont supérieures aux coques en fer, en cas d'accidents de la nature de ceux que nous avons signalés.

Pour toutes les raisons ci-dessus développées, les constructeurs comme les armateurs, ne doivent plus hésiter à substituer l'acier au fer, dans les constructions navales. Ils obtiendront un succès complet, s'ils tiennent compte des observations présentées au cours de ce

mémoire.

CHAPITRE II

CONSTRUCTIONS CIVILES

L'emploi de l'acier dans les constructions civiles: ponts, édifices, etc., n'est pas entré dans la pratique courante et même, en ce qui concerne la construction des édifices, des maisons d'habitation, nous ne connaissons aucune application de l'acier.

Nous allons tout d'abord présenter un historique de l'emploi de l'acier dans la construction des ponts.

M. Jeans, secrétaire de l'Iron and Steel Institute, donne dans son intéressant ouvrage sur l'acier, Steel, « its history manufacture and use,» des renseignements curieux sur le développement de l'emploi de l'acier dans les ponts. Là, comme pour tous les autres emplois de l'acier, on a commencé avec le métal dur.

En 1828, M. Von Mittis construisit sur le Danube, à Wien, un pont suspendu à chaînes d'acier. Ces chaines étaient formées de barres d'acier de 61/,5 sur 19m/m en section. Profitant de la grande résistance de l'acier (en ce temps-là on ne pouvait faire que du métal dur), on fit les chaînes trop légères; leur poids total n'était que le cinquième de celui de la plate-forme. Dans ces conditions, le pont vibrait sous l'influence des charges additionnelles ou des grands vents.

On construisit cependant encore quelques petits ponts suspendus, à chaînes d'acier, sur le Danube. Ces ponts, tous très légers, étaient destinés exclusivement au passage de piétons.

Il est à noter que ces premiers ponts en acier furent établis par des ingénieurs hollandais, dit M. Jeans.

En 1862, l'ingénieur français Oudry, proposa de réunir la Calabre à la Sicile, au moyen d'un pont suspendu sur le détroit de Messine. Pour ce pont, en devait employer de l'acier Bessemer, ne cassant pas à 78 kilogrammes par millimètre.

BULL.

En 1863, en Hollande, pour les chemins de fer de l'État, on commença à employer l'acier dans la construction des ponts rigides. Ces ponts, au nombre de trois, se trouvent à Limburg, près Maëstricht. Ils ont été construits par Sterckman et fils, de la Haye. Ces ponts, à treillis, ont chacun 30 mètres de portée et 4,50 de large. Le poids d'acier employé pour les poutres et entretoises est de 20 tonnes. La résistance des tôles d'acier à la rupture est, pour ces ponts, de 64 kilogrammes par millimètre, dans les deux sens. Les épreuves furent faites le 1er mars 1864; une charge de 90 kilogrammes par mètre carré fut laissée pendant quinze heures. On eut une flèche élastique maximum de 0,04 et point de flèche permanente.

C'est à cette époque qu'en Hollande on commença les études des grands ponts dont nous parlerons tout à l'heure et que l'on admit pour ces grands ponts, un large emploi de l'acier.

En 1864, en Angleterre, Worthington construisit un pont tournant pour chemin de fer, sur le canal Sankey. Les quatre poutres de ce pont sont en tôle d'acier Bessemer; elles ont 17 mètres de long et 0,70 de haut, leur portée varie de 9 mètres à 12 mètres. Ce pont a été construit par MM. Hicks et fils, de Bolton; l'acier vient de la Bolton Steel and Iron Company. Il a été essayé à une charge de 3,200 kilogrammes par mètre courant. La flèche élastique maximum fut de 25/,4; il n'y eut pas de flèche permanente. Les tôles employées avaient de 6 à 11 millimètres d'épaisseur et résistaient à plus de 56*,5. Le poids du pont était les 5/8 de ce qu'il aurait été en fer. En 1864, quelques passerelles pour appontements furent posées sur les bords de la Tamise. Elles avaient 23 mètres de longueur. L'acier résistait à 69 kilogrammes.

En 1865, un pont de 42 mètres, en acier puddlé, fut construit pour une ligne de chemin de fer, sur la rivière Gotha, entre Wenersborg et Herrlunje.

En 1867, on vit à Paris, à l'Exposition, sur le quai d'Orsay, un pont en arc de 25 mètres de portée, fabriqué par la maison Joret, avec des tôles d'acier de Terre-Noire-Bessèges. Ce pont a supporté aux épreuves une charge statique de 500 kilogrammes par mètre carré, et une charge roulante de deux fardiers à un essieu portant chacun 11 tonnes. Ce pont est, depuis 1869, en place définitive à Port-des-Roches (Ille-et-Vilaine).

En 1868, un pont tout semblable, fut construit, aussi par la maison Joret, pour Montevideo (Uruguay).

En 1880, un pont à cinq travées, tout en acier, même les rivets, a été construit sur le Missouri, par la Compagnie du chemin de fer de Chicago-Alton.

En 1880, on mettait en exploitation le plus grand pont rigide en acier qui existe en ce moment, pont de chemin de fer, sur le Mississipi, à Saint-Louis. Ce pont est composé de trois arcs; celui du milieu a 157 mètres de portée; les deux autres, 151,60. A moyennes eaux, l'intrados de l'arc central est à une hauteur de 21,50. L'acier employé a une limite d'élasticité de 27 kilogrammes; il ne casse pas à 66 kilogrammes.

En 1881, la Compagnie du London and North Western a employé presque uniquement l'acier pour le remplacement d'un viaduc à Llandulas (Galles du Nord). La longueur de ce viaduc est de 68,32; sa hauteur au-dessus des fondations, 15,25. Les poutres principales sont en tôle d'acier de 12mm,7; les cornières et les rivets sont aussi en acier. Il s'agissait d'un remplacement urgent à faire sans trop gèner le service; les matières furent fabriquées en sept jours, dans l'aciérie de la Compagnie, à Crewe, et le viaduc fut monté dans un temps égal.

En 1883, on vient d'ouvrir à la circulation le grand pont suspendu de la rivière de l'Est, entre New-York et Brooklyn. Ce pont a, comme on sait, 486,80 de portée. Les chaînes d'amarrage des câbles sont en acier. Les câbles sont en fils d'acier. Chacun des quatre gros câbles est composé de 5,000 fils d'acier de 3 millimètres. Le tablier du pont est tout en acier; il a 26",23 de large. Notons que le poids total de la travée centrale est de 6,740 tonnes; le poids des quatre gros câbles, seuls, est de 2,160 tonnes.

Nous avons réservé dans cet historique, les renseignements relatifs à l'emploi de l'acier dans les grands ponts hollandais, construits il une dizaine d'années. Nous extrayons des Annales Industrielles, ces renseignements: les ponts de Culemborg, de Crèvecœur, de Bommel, le superbe pont de Moerdijk, comportent tous l'emploi de l'acier pour les croix de Saint-André et les pièces de ponts. Le métal de ces ponts est encore dur; il ne doit pas casser à 60 kilogrammes à la traction, et à 50 kilogrammes au cisaillement.

État actuel. Par ce qui précède, on voit que l'emploi de l'acier dans les ponts n'est pas une chose nouvelle et qu'il tend à s'imposer

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