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un pamphlet en vingt-deux volumes. Qu'y a-t-il de vrai dans cette assertion? Sans doute, si l'on voulait examiner l'histoire de M. de Genoude dans ses détails, elle ne serait pas à l'abri de toute critique, aucune œuvre humaine n'atteint ce degré de perfection; mais on peut affirmer que le reproche le plus injuste, le plus étrange et le plus contraire au bon sens, qu'on pût lui adresser, c'est précisément celui auquel nous venons de faire allusion. Qu'est-ce qu'un pamphlet? C'est un écrit dans lequel les faits ou les personnes sont attaqués d'une manière exclusive, partiale, où la vérité est défigurée, où les questions ne sont envisagées qu'avec des réticences; où l'on ôte la parole à ses adversaires afin de s'en réserver le privilége exclusif et de présenter à sa manière les hommes et les faits. Eh bien! nous ne disons pas seulement que l'histoire de M. de Genoude n'a aucun de ces caractères, mais qu'il est impossible qu'elle les ait, en raison de la méthode qu'il a adoptée. Singulier pamphlétaire qu'un écrivain qui cite, à chaque instant, tous les historiens remarquables de la France, à commencer par M. Guizot, qu'il fait aussi concourir à son œuvre, avec MM. Thierry, Michelet, Thiers, Sismondi, Mignet, Louis Blanc, comme avec Voltaire, Mezerey, Velly, Anquetil et tous les écrivains qui ont précédé notre époque !

M. de Genoude, en effet, n'a pas cru devoir refaire ce qu'il trouvait bien fait, ni défigurer les colonnades et les supports qu'il empruntait à d'autres édifices pour les transporter dans le sien. Partout où il a trouvé une vérité historique, il l'a prise telle qu'il l'a trouvée. Quand un historien, quelle que fût d'ailleurs son opinion, a bien jugé une époque, il a cité in extenso son jugement. Il a aspiré à former un foyer de lumières, et, pour y réussir, il a réuni les rayons épars dans toutes les

histoires de France. Nous le demandons à toutes les personnes de sens est-ce là la manière d'agir d'un pamphlétaire? Est-ce en donnant ainsi la parole à tout le monde, qu'on étouffe la vérité, et que l'on fait prévaloir la calomnie? N'est-ce pas au contraire la conduite d'un homme impartial, qui cherche, avec sollicitude, la vérité historique et qui la met en lumière dès qu'il la rencontre, sans se préoccuper des calculs de la vanité littéraire qui veut tout mettre à sa marque, et qui jette en fonte les idées mêmes qu'elle emprunte, afin de déguiser le larcin? M. de Genoude conduit son histoire, à peu près comme on fait une enquête, et il amène les historiens qui l'ont précédé, comme des témoins qui viennent déposer sur les faits qu'ils ont bien vus, et sur les époques qu'ils ont bien jugées.

Ceci nous conduit naturellement a indiquer le caractère dominant de l'histoire de M. de Genoude. Ce n'est pas une histoire avant tout érudite, c'est surtout une histoire rationnelle et politique rationnelle, en ce qu'elle cherche la raison des choses; politique, en ce qu'elle ne perd jamais de vue les principes constitutifs du gouvernement du pays. On ne court point avec M. de Genoude, le même risque qu'avec la plupart des autres historiens qui vont, de siècle en siècle, de règne en règne, comme un voyageur, de site en site, sans se donner la peine de chercher quelle est la loi d'ensemble qui régit le développement de nos destinées nationales et même souvent sans soupçonner l'existence de cette loi. Le nouvel historien de la France est principalement guidé, dans l'étude qu'il fait de nos annales par le désir de trouver cette loi générale, cette puissance motrice de nos destinées. Il rencontre aux bouts de la chaîne historique, les mêmes phénomènes : l'unité et l'hérédité monarchique, la liberté politique représentée par les

grandes assemblées nationales, la fraternité et l'égalité humaines représentées par le catholicisme. Pour un esprit logique, il y a là quelque chose de profondément satisfaisant. Quand, en effet, ce qui est dans les prémisses, se retrouve dans la conclusion, on peut dire, d'une manière certaine, qu'on est en possession du syllogisme tout entier. On reconnaît également la graine à l'arbre, et l'arbre à la graine, mais quand on peut rapprocher l'effet de la cause, lorsqu'après avoir étudié une histoire dans ses principes, on retrouve ces principes dans les conséquences les plus lointaines, toute incertitude dispa

raît.

C'est précisément là ce qui est arrivé à M. de Genoude, quand il a appliqué la logique de son intelligence à l'histoire. Après avoir trouvé sous la première race l'unité monarchique, l'hérédité du pouvoir, la liberté politique assurée par ces assemblées générales des Francs qui délibèrent sur les grandes affaires (de majoribus omnes) et la fraternité dans le catholicisme, il retrouve toutes ces grandes tendances aboutissant à leur réalisation dans les cahiers des Etats-Généraux de 1789, et dans le mouvement de cette époque. Seulement ce qui, à l'origine de la monarchie était restreint aux conquérants du sol, c'est-à-dire aux Francs, est, en 1789, commun à la nation tout entière. Le temps et l'esprit de fraternité inhérent au catholicisme, ont rempli leur tâche. Le grain de sénevé a grandi et est devenu un arbre à l'ombre duquel les oiseaux du ciel peuvent se reposer. Le bienfait de l'unité, de l'hérédité monarchique, et de la liberté politique est étendu à tous par l'esprit de fraternité et d'égalité qui est le fond même du catholicisme. C'est donc là toute l'histoire de France, puisque c'est là ce qu'on trouve à la racine et au faite de l'arbre. La royauté héré

ditaire, la liberté politique, l'égalité, et la fraternité catholique : la France est dans ces quatre mots.

Voilà la haute vue que donne toute l'histoire de M. de Genoude, et cette vue le conduit à une très-ingénieuse explication de la révolution française. C'est la querelle des trois ordres qui amène cette révolution. Louis XVI croit que le vote séparé des ordres est un des principes constitutifs de la France. Après avoir accordé le doublement du tiers, il annule cette décision en voulant faire prévaloir le vote par ordre. Que sert, en effet, d'être plus nombreux, si l'on ne vote point ensemble? Le tiers n'est plus que le triste analogue de cette dernière tribu de Rome, où l'on entassait tous les prolétaires qui, semblables à des décimales politiques, étaient obligés de s'additionner ensemble pour produire une unité électorale, ce qui réduisait leur influence à néant. Alors les esprits s'animent, les passions s'enflamment, et la passion de la liberté et de l'égalité, poussée jusqu'à la démence, enfante la révolution.

D'ou vient cela? M. de Genoude répond que cela vient de ce que deux éléments étrangers à la constitution primitive de la France s'étaient introduits dans notre société une sorte de théocratie représentée par la corporation politique du clergé, et une sorte de féodalité nobiliaire représentée par l'ordre polique de la noblesse. Quand on remonte aux origines, rien de pareil. Sans doute il y a une illustration, une notoriété en faveur de certaines familles, mais elles ne jouissent, pour cela, d'aucun privilége. A mérite égal, celui qui porte un nom honoré par des services rendus au pays, obtient la préférence. Est-il inférieur? On le laisse de côté. La noblesse est une distinction, une illustration, ce qu'elle sera toujours, quoi qu'on fasse, mais elle n'est pas un droit politique particulier, elle ne

donne aucun privilége hors du droit commun. Le clergé à une influence de confiance et d'estime qui s'attache à son ministère et à ses vertus. Les évêques viennent dans les assemblées comme les plus doctes, comme les plus éclairés, les plus habiles, les plus dévoués aux intérêts généraux, les notables de la nation; mais on ne voit point qu'ils arrivent comme les représentants des intérêts d'une corporation ecclésiastique.

Voilà comment les choses apparaissent à M. de Genoude, sous la première race, et il tire de cet état de choses ces importantes déductions. Les distinctions d'ordre ne sont pas dans les prémisses nationales, et l'on aperçoit dans les conclusions du syllogisme de notre histoire, un effort manifeste pour rejeter ces distinctions et pour arriver à l'égalité politique. Les distinctions d'ordre sont donc des éléments étrangers introduits dans notre société par une situation politique transitoire. Quelle est cette situation? La féodalité. La force de la révolution vient donc de ce qu'il y avait en elle, une partie vraie sa lutte contre des institutions politiques qui avaient pu avoir leur raison d'être dans une situation transitoire de la monarchic française, mais qui ne pouvaient résister à l'action du temps, parce qu'elles ne résultaient pas des principes fondamentaux de notre constitution, et quelles étaient au contraire en contradiction avec ces principes. La faiblesse de la révolution vient de ce qu'excessive et extrême comme la passion politique, elle voulut envelopper, sous les ruines de l'ancien régime, des institutions fondamentales qui ne peuvent périr qu'avec la France, parce qu'elles étaient à l'origine, et que si on peut émonder un arbre de ses branches luxuriantes sans lui causer la mort, on ne peut s'attaquer à ses racines sans le frapper d'un coup mortel.

Voilà toute la théorie historique de M. de Genoude, et,

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