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ministres. Ils s'étaient logés dans les fiefs en abolissant la féodalité, il fallut bien les en déloger; ils s'étaient associés à tous les priviléges de la noblesse, la dîme ecclésiastique pesait sur la terre et sur le laboureur aussi bien que la dime seigneuriale et les autres droits féodaux; la suppression de tous les priviléges vint donc atteindre les ecclésiastiques qui en jouissaient aussi bien que les seigneurs laïcs..

Des résistances s'étant manifestées dans le clergé comme dans la noblesse, l'effort du tiers-état porta sur les prêtres comme sur les nobles; on fit table rase: le retour au droit commun, l'égalité devant la loi, étaient à ce prix.

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On aurait dû néanmoins s'arrêter devant un autre ordre d'idées, quand il s'agit du culte lui-même et de la nouvelle constitution qu'on voulait donner au clergé. Là le pouvoir temporel n'usa point avec discrétion de sa force; il outrepassa le but, Des désordres s'ensuivirent, un schisme éclata, et bientôt la religion même sembla, pour ainsi dire, abolie; ses ministres furent proscrits, le culte disparut!

Il faut se reporter à ces temps calamiteux, c'est-à-dire à ceux qui précédèrent le Consulat, pour juger s'il était facile de remédier à un mal devenu si profond.

Même après le Concordat conclu entre le premier consul et le saint-siége, que l'on considère un peu de quelles précautions il fallut s'entourer pour le faire accepter!

Heureusement un homme supérieur se rencontra, capable et digne de remplir la grande mission qui lui fut donnée dans cette mémorable circonstance. Membre éloquent d'un barreau qui avait été témoin de sa lutte et de sa victoire contre le célèbre Mirabeau, jurisconsulte dans toute l'étendue de ce mot, également versé dans le droit public et le droit privé; formé à l'étude du droit ancien, mais associé de bonne heure à l'esprit de la législation et des institutions nouvelles; personnage vraiment consulaire, en possession du respect de ses contemporains et de l'estime de la postérité, et que nous avons déjà nommé, Portalis le père,

Dans un discours sur le budget des affaires ecclésiastiques, seance du 7 juillet 1828,

comme les Romains disaient Caton l'Ancien ! cet homme d'État, ce sage conseiller, après avoir concouru à la rédaction du Concordat et de la loi organique destinée à l'accompagner, fut chargé d'en exposer les motifs dans le Conseil d'État et au Corps législatif. Qu'on lise ses rapports, qui réunissent à un si haut degré la sagesse et l'élévation des idées, la certitude des principes, le mérite d'une diction toujours pure et souvent animée, on verra quel long circuit il se croit obligé de prendre pour arriver à faire goûter les arrangements qu'il s'agissait de convertir en loi. «< Une première question se présentait, dit-il : La religion en genéral est-elle nécessaire aux corps de nation? est-elle nécessaire aux hommes ? » Voilà où on était! (V. ci-après, p. 165.)

Il est impossible d'établir une religion nouvelle (p. 175); et l'orateur est bien obligé d'aborder ce point, puisque naguère un membre du gouvernement avait essayé de créer une religion sous le nom de théophilanthropie !

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Le christianisme! (p. 178). Portalis arrive enfin à en prononcer le nom, à en rappeler les maximes, à en montrer l'excellence! Et désormais, devenu maître des esprits, il expose avec une admirable lucidité: 4° quelle est la véritable tolérance que les gouvernements doivent aux divers cultes dont ils autorisent l'exercice (p. 481); 2o la nécessité d'éteindre le schisme qui existait entre les ministres catholiques, et l'utilité de l'intervention du pape pour pouvoir atteindre ce but (p. 187); -3o le plan de la convention passée entre le gouvernement et le pape (p. 488); 4o enfin il répond à quelques objections.

C'est ainsi que la loi fut votée. Et il en fallait bien une En effet, le Concordat n'était pas un simple traité de paix qui n'eût pour objet que de régler des relations extérieures entre deux puissances. Cette convention, se référant au régime de l'Église gallicane, intéressait évidemment l'administration intérieure de l'État, soit sous le rapport des circonscriptions territoriales, soit à cause des droits qu'elle reconnaissait et attribuait au chef de l'État, soit à cause des effets qu'elle devait produire sur les citoyens. Il fallait donc que le Concordat fût reçu et promulgué comme loi,

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Mais en dressant cet acte important, en rétablissant le culte catholique, les hommes d'État qui stipulaient pour la France ne durent pas négliger les précautions jugées nécessaires pour assurer la paix de l'Église et de l'État. L'un n'allait pas sans l'autre.

Aussi la convention (Concordat) et les articles organiques de cette convention furent-ils présentés ENSEMBLE par un seul et même acte à la sanction du Corps législatif; et c'est ainsi, et non autrement, que l'un et l'autre sont allés pren→ dre place dans le Bulletin des Lois.

Dans cette loi, qui fut votée le 18 germinal an X (avril 4802), on doit surtout remarquer le titre Ier, qui traite du régime de l'Église catholique dans ses rapports généraux avec les droits et la police de l'Etat.

Là se retrouvent les principaux articles des Libertés de l'Église gallicane, ces maximes pour lesquelles nos plus grands rois' avaient combattu, et le Parlement, l'Université, la Sorbonne avaient lutté pendant plusieurs siècles.

Dans cette loi (art. 24) on renouvelle l'obligation imposée à ceux qui seront choisis pour l'enseignement dans les séminaires de souscrire la Déclaration du clergé de France en 1682, et de se soumettre à enseigner la doctrine qui y est contenue. En cela le nouveau législateur n'a pas plus excédé ses pouvoirs que les auteurs des précédentes lois. En effet, ce n'est pas s'immiscer dans l'enseignement du dogme que de prescrire qu'il ne faut confier l'enseignement qu'à ceux qui seront fidèles, non à de certaines croyances religieuses, mais à de certaines maximes d'ordre social.

Ce n'est pas assurément qu'à cette époque il y eût la moindre apparence au danger de voir la puissance temporelle envahie par la puissance spirituelle; on n'imprimait pas alors que l'État est dans l'Eglise, et l'on ne prétendait pas que l'ordre civil doit être asservi à l'ordre religieux! Mais ce qui distingue l'homme d'État, c'est surtout la prévision, c'est-à-dire ce coup d'œil pénétrant qui dans le

Saint Louis, auteur de la première pragmatique Charles VII, qui avait affranchi le royaume du joug odieux des Anglais; Louis XIV, qui avait su inspirer à tout sa grandeur!... Et l'Empereur Napoléon !

calme du présent fait entrevoir les agitations possibles de l'avenir.

On sait que l'Église, qui a beaucoup appris, n'a jamais rien oublié. Elle se fie au temps pour tout. Chez elle on ne voit ni minorités ni veuvages; et ses affaires, menées avec suite, dirigées avec habileté, secondées partout avec en→ semble, avec zèle, par les hommes les plus capables et trèssouvent les plus adroits, peuvent à la longue amener des chances et offrir des occasions dont elle a toujours su profiter avec une rare dextérité pour étendre son pouvoir et ressaisir, s'il se pouvait, les rênes d'une domination qu'elle regrette !....... avulsa imperii !

Il était donc utile de maintenir, même alors, les respectables barrières que la Déclaration de 1682 et les doctrines propres de l'Église gallicane avaient assignées à l'esprit d'envahissement de l'autorité spirituelle.

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Et l'expérience n'a pas tardé à prouver, sous l'Empire même, ensuite sous la Restauration, et enfin de nos jours, que ces précautions, à peine suffisantes, n'avaient certainement rien d'exagéré ni de superflu...

§7. Des appels comme d'abus.

Sous l'ancien régime comme sous celui de la loi de germinal an X, les libertés de l'Église gallicane ont pour sanction les appels comme d'abus. La loi de germinal an X ne les rétablit que par un mot, en attribuant leur jugement au Conseil d'Etat; mais, comme le disait M. Lainé, ministre de l'intérieur, à la chambre des députés, séance du 22 novembre 1817, cette attribution emportait avec elle le droit « de statuer, dans tous les cas qui ne sont pas prévus par les codes, conformément aux règles anciennes observées dans le royaume. » Toute la théorie se trouvait rétablie avec le mot.

J'ai toujours regretté que la connaissance de ces appels comme d'abus, jadis dévolue aux parlements, n'eût pas été restituée aux cours royales 1 sur la poursuite des procu

On réserverait seulement au conseil d'État l'enregistrement des bulles et la vérification des facultés des légats, comme objets de politique et de haute administration.

reurs généraux. J'en ai déduit les raisons (prises de l'intérêt même du gouvernement, et pour lui épargner, hélas! bien des perplexités et des embarras), dans plusieurs discours que j'ai prononcés sur ce sujet à la Chambre des députés, et surtout dans les fragments que j'ai rapportés sur l'art. 84 des Libertés. (Voyez p. 87.)

Le gouvernement l'avait déjà senti lui-même en 1847, car alors il proposait de revenir aux anciens errements sur ce point. Par malheur, cette proposition se liait à l'adoption du nouveau concordat si malencontreusement essayé à cette époque, et qu'on ne put jamais faire adopter. - Tôt ou tard on sera forcé d'en venir là. On le pourrait aisément en faisant la loi projetée sur le conseil d'État.

M. Laisné, habile jurisconsulte et qui avait des idées très-justes sur cette matière, disait à la Chambre des députés dans cette même séance du 22 novembre 4817 : « Tout » se réduit, en matière d'appels comme d'abus, à trois >> chefs très-distincts: 4° l'excès de pouvoir en matière >> spirituelle, ou la violation des saints décrets, maximes >> et canons reçus en France; 2o l'abus en matière mixte, » ou la violation des lois et règlements du royaume et des >> droits des citoyens; 3o l'outrage, les violences, les voies » de fait dans l'exercice des fonctions ecclésiastiques. >>

Quelques personnes, qui croient qu'il n'y a répression que lorsqu'il y a prison ou amende, parlent avec dédain des appels comme d'abus, comme ne pouvant amener qu'une délibération dépourvue de sanction!-Et l'on cite à cette occasion la réponse d'un prévenu atteint par un simple blâme, et qui en faisait fi, parce que cela, disait-il, ne l'empêcherait pas de continuer son métier. Mais, de ce qu'un homme grossier a pu répondre ainsi, parce qu'il ne comprenait pas l'effet de la force morale, peut-on en conclure que des hommes qui eux-mêmes n'ont a leur service d'autre force que la force morale, soient insensibles à une déclaration solennelle qui les signale à l'opinion publique comme ayant abusé de leur pouvoir!

Non, non; une telle déclaration, quand elle est fondée sur de justes motifs, est toute-puissante chez une nation

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