par la Révolution lui paraissaient menacer sa sécurité après le premier succès de 1814, devait-elle désarmer? après l'insuccès des Bourbons, devait-elle les imposer de nouveau à notre pays? Toute la question était là. Quand on veut trouver consciencieusement la vérité, il ne faut pas craindre de la chercher dans la bouche de ses plus irréconciliables ennemis le 28 avril 1815, la question fut discutée solennellement au Parlement anglais, que les ministres venaient de tromper audacieusement en lui affirmant n'avoir pas encore signé le traité qui liait l'Angleterre aux puissances alliées. Peu nous importe de savoir comment lord Castlereagh se tira du mauvais pas où l'avait mis son utile mensonge, mais il faut recueillir avec soin les raisons qu'il donnait pour continuer la guerre. Était-il possible, disait-il, que les puissances continentales vécussent dans un état d'inquiétude perpétuelle et que, par suite de cette inquiétude, elles restassent éternellement en armes? N'était-il pas évident, par exemple, que Napoléon, dès qu'on l'aurait laissé s'é ablir, dès qu'on lui aurait permis de réunir trois à quatre cent mille hommes, saisirait la première occasion d'accabler encore ses voisins? A la vérité on le disait changé et revenu à des idées pacifiques : changé oui, mais en paroles et pour endormir la vigilance des puissances; mais bien fous ceux qui croiraient à un tel changement! Au premier instant favorable, dès qu'il apercevrait un affaiblissement de forces chez les puissances, ou un commencement de désunion entre elles, il se jetterait sur l'Europe et la mettrait de nouveau à la chaîne. C'était là une vérité dont ne pouvait douter aucun esprit sensé. Il fallait donc profiter de ce qu'on était prêt, car il y avait des cas où attaquer n'était que se défendre. On objectait, il est vrai, qu'on trouverait derrière l'homme dont il s'agissait une grande nation, la nation française. S'il en était ainsi, et si la nation française, par faiblesse ou par ambition, soutenait cet homme, il fallait qu'elle en portât la peine. L'Europe ne pouvait rester exposée à une ruine inévitable, parce qu'il plaisait à une nation de se donner un tel chef ou parce qu'il plaisait à une armée corrompue, avide de richesses et d'honneurs, de placer à sa tête un conquérant barbare qui prétendait renouveler les folles entreprises des conquérants asiatiques! Les puissances alliées ne voulaient pas. imposer à la France un gouvernement elles voulaient seulement la réduire à l'impossibilité de nuire à autrui et de troubler éternellement le repos du monde. Lord Ponsonby répondit au ministre et, après lui avoir reproché amèrement d'avoir signé une déclaration de guerre au mépris des droits du Parlement, il ajouta que sans doute l'Angleterre ne devait pas se séparer des puissances continentales, mais qu'elle avait apparemment le droit de leur adresser des conseils; était-il bien certain, d'ailleurs, que le gouvernement britannique leur eût montré, comme il s'en vantait, tous les dangers de cette nouvelle lutte? Ces dangers étaient graves, car on allait braver à la fois un grand homme et une grande nation. Cet homme, M. Ponsonby ne l'avait jamais estimé pour ses qualités morales, mais on ne pouvait contester ni ses talents prodigieux, ni l'énergie de la nation à la tête de laquelle il était placé. Insulter cette nation, lui attribuer tous les vices pour s'arroger à soi toutes les vertus, ce n'était pas discuter sérieusement un tel sujet. Il n'en était pas moins vrai qu'on restait en présence d'un homme extraordinaire auquel on donnait l'appui de la nation la plus redoutable en menaçant l'indépendance de cette nation de la façon la moins dissimulée. On ne voulait pas, disait-on, lui imposer un gouverne ment, mais seulement lui en interdire un dans l'intérêt général; mais, pour tout homme clairvoyant, il n'y a pour la France, de possibles que les Bonapartes ou les Bourbons, et dès lors exclure l'un, n'est-ce pas imposer l'autre? Ne venait-on pas d'ailleurs d'essayer les Bourbons, qui avaient blessé la nation par leurs fautes? C'était poursuivre au delà de toute raison la politique de M. Pitt que de renouveler la guerre pour les Bourbons, alors que, miraculeusement replacés sur leur trône, ils n'avaient pas su s'y maintenir. Si encore Bonaparte n'offrait pas la paix avec instance aux conditions des traités de Paris et de Vienne, on comprendrait cet acharnement. Fallait-il donc verser encore des torrents de sang, doubler la dette, prolonger indéfiniment l'income-tax pour obtenir des avantages qui n'étaient plus contestés? On prétend qu'on ne peut se fier à la parole de Napoléon; mais franchement, depuis le traité de Vienne, est-il permis d'élever contre quelqu'unle reproche d'ambition? Parler du caractère de l'empereur, c'est peu sérieux; l'âge modifie bien des choses, et chez un homme de génie l'intérêt bien entendu suffit pour changer la conduite. En abolissant la traite des noirs, ne venait-il pas de prouver son ardent désir de complaire à l'Angleterre. En rendant la liberté au duc d'Angoulême, après qu'on avait mis sa tête à prix, n'avait-il pas agi tout autrement qu'en 1804, à l'égard du duc d'Enghien? Si on force cet incomparable guerrier à combattre de nouveau, ne peut-il pas remporter une ou deux victoires? Et alors que deviennent les avantages qui nous sont assurés par la paix actuelle? N'aurait-on pas fait le plus détestable des calculs? Tous les cabinets de l'Europe pensaient comme lord Castlereagh, et ils auraient probablement vu se réaliser les infortunes que leur prédisait lord Ponsonby, si un Parlement français ne l'avait délivré du souci cuisant de voir Napoléon à la tête de nos armées. LES PARTIS EN FRANCE, EN 1815 Si les étrangers étaient unanimes à jouer leur dernier homme et leur dernier écu pour vaincre la Révolution, l'immense majorité des Français n'était pas moins résolue à la défendre. Ils venaient de le montrer au retour de l'île d'Elbe, de manière à ne laisser de doute dans l'esprit de personne, et avec un enthousiasme qu'expli |