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disparaître le grand homme qui personnifiait pour lui la Révolution, et les avantages politiques et sociaux qu'il en avait retirés; il regardait avec défiance ce gouvernement venu à la suite de l'étranger et que, dans son ignorance et son besoin de simplification, il rendait responsable d'une révolution et d'une invasion imputables seulement à la Chambre des Cent jours; il faut ajouter que ce peuple n'était mu par aucune jalousie car il admet parfaitement les différences de niveau social: à ses yeux, le noble, le riche, le citadin sont sur la même ligne, et, en raison de l'humilité de sa condition, il ne peut avoir ces rages d'ambition et de jalousie, qui ont porté le bourgeois aux plus détestables excès; le paysan, et l'ouvrier commençaient donc non à oublier, mais à se résigner; les conquêtes de la Révolution, sans cesse menacées par les tendances du gouvernement, restaient acquises cependant; le laboureur poussait tranquillement sa charrue sur son champ révolutionnairement acquis, et le Code Napoléon n'avait été touché dans aucune de ses parties essentielles : l'aisance venait, la prospérité était prochaine, la rente montait; les travaux publics s'achevaient de toutes parts; la guerre enfin n'exigeait plus de cruels sacri

fices, et le repos, tout au moins, allait succéder aux glorieux orages d'autrefois. Ce fut à ce moment que la classe moyenne se mit au travers de ce mouvement manifeste de pacification, et, sans en avoir conscience, commença à démolir l'édifice politique qu'elle avait construit avec l'aide des Prussiens. Qu'elle gouverne un empire, une royauté légitime, une royauté quasi illégitime, ou une république, le résultat sera toujours le même: elle cassera son joujou, se désolera un moment, reprendra courage et recommencera.

LES CANDIDATS CONSTITUTIONNELS.

Pour renverser de Villèle, les libéraux et les royalistes modérés avaient fait campagne commune sous le nom de candidats constitutionnels: l'on avait pu voir recommandés par les Débats aux choix des royalistes: MM. de Lafayette, Dupont de l'Eure, Benjamin Constant, Laffitte, Casimir Périer, les généraux Gérard de Thiard, Tarayre, Semelay, de Marcoy; MM. Koechlin, Labbey de Pompières, Méchin, de Montlosier, tandis que d'autre part le Constitutionnel et le Courrier français indiquaient au choix des élec

teurs libéraux: MM. de Labourdonnais, Delalot, de Cordoue, de Ricart, de Cambon, Hyde de Neuville, Duvergier de Hauranne, de Lesardières, Agier et Bourdeau.

Cette entente politique fort sage, et qui eut probablement sauvé la Restauration, si l'on avait eu la fermeté nécessaire pour y rester fidèle, n'était pas le résultat d'un fait de hasard engendré pas la versatilité parisienne, il répondait à un vœu du pays.

Grâce à l'esprit délié du roi Louis XVIII on avait traversé, sans qu'il fût survenu de graves avaries à la machine politique, les temps les plus difficiles; Charles X, prince d'une intelligence moins ouverte et entouré des fanatiques du trône et de l'autel avait cependant fort bien compris la nécessité de ne pas donner tout le pouvoir aux représentants d'une société vieillie; ne pouvant retrouver leurs privilèges, ils auraient dû se contenter de l'influence assurément très considérable que leur donnaient les reflets d'une cour légitimiste. D'un autre côté, les libéraux, qui se composaient alors de bonapartistes, de partisans inavoués du duc d'Orléans ct de cette haute bourgeoisie impatiente d'entrer aux affaires, commençaient à trouver bien long leur exil du pouvoir; de tous côtés, on venait à eux;

pourquoi auraient-ils repoussé toutes ces avances? Ils n'avaient point encore compris que le régime parlementaire, imprudemment concédé par la Restauration, leur livrait le gouvernement entier, et ils se fussent défendus avec énergie, si on les avait accusés de vouloir se mettre au-dessus de leur roi légitime; ayant remporté dans les élections une victoire dont la grandeur tout au moins était inespérée, ce succès les disposait à la conciliation.

A la cérémonie officielle de l'ouverture des Chambres, le roi après avoir traité la politique intérieure, ajouta : « Quelle que soit l'intimité des rapports qui doivent exister entre la religion et l'éducation des hommes, l'instruction publique et les affaires ecclésiastiques m'ont paru exiger une direction séparée et j'en ai ordonné la division.

« Voulant affermir de plus en plus dans mes états la charte qui fut octroyée par mon frère et que j'ai juré de maintenir, je veillerai à ce qu'on travaille avec sagesse et maturité à mettre notre législation en harmonie avec elle.

<< Quelques hautes questions d'administration publique ont été signalées à ma sollicitude.

<< Convaincu que la véritable force des trônes est, après la puissance divine, dans l'observation

des lois, j'ai ordonné que ces questions fussent approfondies et que la discussion fît briller la vérité, ce premier besoin des princes et des peuples. >>

Ces derniers paragraphes, qui contenaient le désaveu explicite de la politique de M. de Villèle et l'avènement prévu de M. de Martignac, causèrent sur tous les bancs de l'Assemblée, à l'exception de l'extrême droite, un enthousiasme des plus vifs, et les cris de Vive le roi! furent poussés avec une véritable passion par tous ces enfants prodigues qui revenaient à la couronne.

A l'occasion de la discussion de l'adresse, ces cris de fidélité se renouvelèrent dans l'enceinte même du palais législatif. Un orateur de la droite ayant essayé de justifier la précédente administration, un de ces royalistes modérés qui venaient de remporter la victoire avec le concours des libéraux, expliqua très clairement le revirement qui s'était opéré dans les esprits « S'il fut en France, dit M. Augustin de Leyval, deux peuples dans le même peuple, ils se sont donné le signe de paix on nous parle de troubles, de révolutions. Personne plus que moi n'a eu en horreur l'anarchie et le despotisme; ils m'ont ravi mes parents, ma fortune; ils ont abreuvé mon enfance d'amer

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