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Pour être très répandue, cette opinion n'en est pas moins fausse.

La Révolution, nous l'avons répété dix fois, n'avait jamais été mise en péril sérieux par la Restauration; le Code Napoléon, avec toutes ses prescriptions en faveur de l'égalité civile, n'avait pas été touché ; le ministère de M. de Polignac, ou, pour parler plus exactement, le ministère du roi, n'avait pas la moindre intention d'y toucher davantage. Les projets préparés par lui n'avaient rien de politique; ils n'avaient pour but que la prospérité matérielle et la gloire de la France; à quelque point de vue que l'on se place, il était donc d'une souveraine injustice de crier à la perte du pays, avant que ces ministres eussent fait connaître leurs intentions, et d'une rare imprudence, de chercher à leur rendre la vie parlementaire impossible; de forcer le roi à les renvoyer au mépris de son droit alors le plus incontesté par tous les partis, et en courant le risque, dans une lutte engagée non plus avec les serviteurs du prince, mais avec le prince lui-même, de renverser cette royauté légitime à laquelle on se disait si attaché.

Dans cette querelle mémorable, c'est le roi qui avait raison. Il avait épuisé au profit des libéraux toutes les concessions compatibles

avec le pouvoir royal. Il avait remercié de Villèle, dissous les congrégations religieuses, remanié dans un sens populaire les attributions des conseils municipaux et départementaux; il s'était avancé dans le choix de ses ministres, du centre gauche jusqu'à la gauche, et voyant toutes ses prévenances, toute sa docilité méconnues, son ministre Martignac, renvoyé, il avait pris la résolution de faire à ses risques et périls son métier de roi de choisir des ministres et de les garder.

Cette tentative ne devait pas réussir, car elle rencontrait sur son chemin deux obstacles insurmontables personne, en effet, n'avait prévu que le régime parlementaire pût forcer la main à la couronne, et quand la lutte fut sérieusement engagée, les 221 firent usage d'un pouvoir dont ils ne connaissaient pas encore la redoutable étendue. D'un autre côté, quand le prince veut rester libre, et qu'il entend se passer des permissions parlementaires, il faut qu'il s'appuie sur le peuple proprement dit, ainsi que le veut notre antique tradition française, et non sur un corps électoral censitaire de peu d'étendue, qui remet tout le pouvoir légal entre les mains de la bourgeoisie. Quelle espérance y a-t-il, en effet, de trouver un

appui dans cette classe changeante, sans éducation et sans convictions politiques que l'on trouve à la tête de tous les mouvements révolutionnaires? Pour être en mesure de repousser les ordres des députés d'un Parlement, il ne faut pas recourir aux parlementaires disséminés sur la surface du pays; l'électeur qui paye trois cents francs d'impôts et le candidat qu'il a transformé en député sont de même origine: l'appel que le prince serait tenté de former devant lui, du jugement prononcé par la Chambre, ne sera donc jamais cassé. Pour échapper aux turbulences et aux contradictions inévitables de l'Assemblée, il faut se retremper dans le courant populaire. Les masses sont aussi fatalement conservatrices que la bourgeoisie est fatalement révolutionnaire; et cela dans notre pays plus encore que dans tout autre, car le paysan propriétaire ne demande rien et le bourgeois libéral ambitionne tout.

Charles X ne pouvait recourir au suffrage universel qu'il avait détrôné dans la personne de Napoléon, et que l'invasion, cette fatalité de son origine, pouvait lui rendre hostile. Il était à la. merci des parlementaires de la Chambre et du pays: il devait donc périr, et il périt, Mais, si la fausseté de sa situation amena sa chute, il se

battit et perdit sa couronne en roi pour sauvegarder le principe de la France moderne, celui des Bonaparte, celui de la royauté contrôlée, mais non asservie, celui du régime constitutionnel, et non du régime parlementaire : singulière destinée d'un Bourbon qui tire l'épée pour défendre la cause des Napoléons!

Au point où en étaient arrivées les choses, il ne pouvait plus être question de débats parlementaires proprement dits; il ne nous reste qu'à dire les péripéties de la bataille pacifique d'abord et bientôt sanglante qui venait de s'engager.

Les Chambres avaient été convoquées pour le 2 mars (1830): c'était la preuve la plus manifeste du désir du gouvernement de ne pas sortir des voies légales.

Le roi, après avoir énuméré avec détail et avec précision les causes et les préparatifs de l'expédition qui devait nous donner l'Algérie, après avoir dépeint, sous les couleurs les plus rassurantes et les plus vraies, l'état prospère de notre agriculture et de notre industrie, ayant fait connaître les moyens heureux de trésorerie qui lui permettraient, sans grever le trésor, de donner une impulsion très vive aux travaux publics, après avoir constaté l'équilibre constant

de nos budgets et, pour cette année, un bel excédent de recettes sur les dépenses, le roi ajouta: «< Pairs de France, députés des départements, je ne doute pas de votre concours pour opérer le bien que je veux faire. Vous repousserez avec mépris les perfides insinuations que la malveillance cherche à propager. Si de coupables manœuvres suscitaient à mon gouvernement des obstacles que je ne veux pas prévoir, je trouverais la force de les surmonter dans ma résolution de maintenir la paix publique dans la juste confiance des Français et dans l'amour qu'ils ont toujours montré pour leur roi. »

Le lendemain de cette séance historique, les journaux libéraux feignirent avec une touchante unanimité un étonnement ingénu : Qu'est-il donc survenu en France depuis quatorze mois? disaient-ils. L'anarchie s'estelle montrée sur quelque point du royaume? des conspirations contre l'ordre établi ontelles été découvertes? Quel motif a donc pu décider la couronne à envelopper dans une hypothèse chimérique une de ces vagues menaces qui tombent dans les imaginations alarmées, y fermentent, s'y développent et paraissent comme l'annonce de quelque catastrophe?

Ces faux bonshommes auraient bien su trou

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