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boules dans l'urne, disposaient en réalité de la France l'armée finit toujours par se rendre à une révolution parisienne, la pairie s'efface, et l'amour du peuple, à supposer qu'il existe, est impuissant, puisqu'il est de règle que notre capitale pense pour lui, agit à sa place, et ne permet aucune révolte contre la sienne.

pour

Le roi écouta l'Adresse avec l'air calme et digne qui convient à un chef injurié: «< Messieurs, dit-il aux députés, j'avais le droit de compter sur le concours des deux Chambres accomplir tout le bien que je méditais; mon cœur s'afflige de voir les députés des départements déclarer que, de leur part, ce concours n'existe pas. J'ai annoncé mes résolutions dans. mon discours d'ouverture de la session : ces résolutions sont immuables: l'intérêt du peuple me défend de m'en écarter. Mes ministres vous feront connaître mes intentions. >>

Le lendemain, à une heure, M. Royer-Collard montait au fauteuil, et lisait à la Chambre une proclamation du roi prorogeant la session de 1830 au 3 septembre suivant.

LES BÉNÉFICIAIRES DE LA RÉVOLUTION
FAITE PAR LES 221

Le temps qui devait s'écouler jusqu'aux élections prochaines ne fut pas négligé par les ennemis constants de la Restauration qu'une société célèbre, la société Aide-toi le Ciel t'aidera, conduisait avec courage et intelligence à l'assaut des pouvoirs établis; la réunion était alors présidée par M. Guizot, assisté de M. de Montalivet à l'avènement de M. de Martignac, un grand nombre de ses membres satisfaits des concessions du pouvoir, se retirèrent et laissèrent la place libre à des hommes plus jeunes, plus actifs, ayant appartenu pour la plupart à l'ancienne société secrète des Carbonari, dirigée par M. de Lafayette. A la société Aide-toi on ne conspirait pas; son existence n'avait rien d'occulte et ses actes rien de secret; on agissait par la presse sur les élections: c'était une opposition fortement organisée, tous les journaux recevaient ses communications. En relation directe avec tous les députés, et indirectement avec presque tous les électeurs, elle était devenue une véritable puissance, et devait jouer un rôle

le

décisif sur les élections qui se préparaient comité directeur en exercice à cette époque, et qui existait encore lors des journées de Juillet, était composé d'hommes dont la plupart ont occupé, depuis, de hautes positions et que notre génération a connus; c'étaient MM. Guizot, O. Barrot, J. Bastide, J. Bernard, Berville, Boinvilliers, Cadet-Gassicourt, Godefroy Cavaignac, Chevallon, de Corcelles de Crusy, Lamy, Lanjuinais, Marchais, G. de Salverte, J. Taschereau, Ch. Thomas.

Ils n'eurent garde de tomber dans l'erreur que commirent les 221. Ils s'empressèrent autour de ces députés affolés, s'inquiétant peu de leurs sentiments et de leurs professions de foi, et prévoyant, avec un rare esprit politique, que ces singuliers défenseurs du trône deviendraient entre leurs mains les instruments les plus utiles de sa chute.

Par les soins de la société, les 221 furent donc partout fêtés en province. Les banquets succédaient aux banquets, les salles étaient décorées de fleurs au milieu desquelles se détachait le chiffre fatidique de 221. On buvait à la liberté, à la gloire, à l'indépendance, à la patrie, à la Charte surtout, à cette Charte que l'on jurait de défendre jusqu'à la mort. Et ces

buveurs, enivrés de l'encens prodigué par des mains adroites, ces héros qui se montrèrent d'une rare prudence au jour de l'action, ressemblaient par avance à ces défenseurs trop zélés de la Constitution qui, en septembre 1870, escaladèrent les grilles du Palais législatif, pour préserver son indépendance.

A Paris, centre nécessairement révolutionnaire, la fête fut plus brillante et plus complète que partout ailleurs. Sept cents électeurs avaient offert aux députés de la Seine un banquet qui eut lieu aux Vendanges de Bourgogne.— C'est toujours à table que la bourgeoisie tue les gouvernements qu'elle aime. — Un jardin couvert, dont les arbres supportaient des guirlandes de fleurs et de verdure, avait été transformé en salle de festin; des couronnes, au nombre de 221, rappelaient la majorité dont le vote avait déterminé l'adoption de l'Adresse; au-dessus du fauteuil du président on lisait cette devise: Hommage à nos députés; au-dessous de la devise un large cadre contenant le texte de la Charte. La société Aide-toi, qui ne rêvait que l'anéantissement de cette Charte, jurée sous le canon de l'étranger, et le renversement d'un trône dont l'existence lui paraissait une insulte à la Révolution, n'hésita pas cependant à flatter

les convives dans leurs sentiments secrets, et pour ménager la pudeur de ces dynastiques en goguette on ne but qu'au concours des trois pouvoirs, au roi constitutionnel, à la Chambre des pairs, à la Chambre des députés.

Au dessert, on était un peu plus animé, et le président du banquet s'adressant aux députés leur tint exactement ce langage: « Vous avez flétri justement une administration déplorable, sous laquelle la France a gémi pendant sept ans; et lorsque est venu le ministère qui blesse, qui outrage tous nos sentiments d'honneur et de nationalité et qui s'en fait gloire, ce ministère dont la religion politique est que nous ne vivons, ne respirons, ne jouissons de la liberté. que par concession, et dont le premier cri a été : Plus de concession, vous avez répondu au cri d'alarme que la France a poussé, vous avez tous refusé un concours qui eût été une complicité. Messieurs, le moment solennel approche où le corps électoral va, sans doute, être appelé à prononcer, non entre des personnes, mais entre des systèmes que la nature des choses avait, avant nous, proclamés incompatibles; dans cette lutte entre une civilisation progressive et une civilisation rétrograde, entre l'égalité et le privilège, entre le règne des lois et

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