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celui du bon plaisir ou de la force aveugle, victoire ne saurait être incertaine : la tribune et la presse ont fait leur devoir, nous ferons le

nôtre. >>

Sans doute, cette prose de banquet ne sortait pas des lieux communs propres à toutes les oppositions; il est certain que la civilisation ne rétrogradait pas, que l'égalité n'avait pas été touchée, que le règne des lois était assuré, et l'on pouvait ajouter que rarement la France avait été si prospère. Cependant les journaux ministériels avaient tort de ne voir dans cette réunion qu'une orgie de cabaret et de traiter les convives de conspirateurs avinés parce que, en vérité, il n'y eut point d'orgie, et que les conspirateurs n'étaient pas les naïfs députés, mais ceux qui s'effaçaient modestement derrière eux et se bornaient à leur verser à boire, ensuite et surtout parce que ce n'est jamais une chose de peu de conséquence de voir les gendarmes trinquer avec les délinquants, et les députés fraterniser avec l'opposition.

A la suite de cette fète et pour en immortaliser le souvenir, on fit frapper une médaille en l'honneur des 221, que le bronze menteur déclarait Sauveurs de la patrie.

Charles X ne resta pas dans ces circonstances au-dessous de son rôle de roi. Tenant en juste mépris les conseils des timides qui recommandaient l'abstention et affirmaient que le chef de l'État, irresponsable, ne devait pas se commettre dans cette bagarre, sachant parfaitement, d'ailleurs, que toutes les théories les plus savantes ne l'empêcheraient pas d'être responsable, si les élections n'amenaient pas un changement radical dans les dispositions de la Chambre, le roi descendit bravement, couronne en tête, dans la lice électorale. A quoi bon la prudence? Vaincu, il était détrôné, qu'il eût paru ou non sur le champ de bataille, car, nous l'avons dit déjà : en France, le roi est le représentant direct, historique et séculaire de la natiòn, et il n'y a pas entre lui et elle, comme en Angleterre, une aristocratie destinée à recevoir les honneurs, ou les coups, suivant les jours heureux ou malheu

reux.

Dix jours avant l'ouverture des collèges électoraux, le 13 juin 1830, le roi s'adressa au peuple en ces termes :

<< Français :

<< La dernière Chambre des députés a méconnu mes intentions; j'avais le droit de compter sur son concours pour faire le bien que je médi

tais, elle me l'a refusé! Comme père de mon peuple, mon cœur s'en est affligé; comme roi, j'ai été offensé. J'ai prononcé la dissolution de cette Chambre.

<< Français, votre prospérité fait ma gloire, votre bonheur est le mien. Au moment où les collèges électoraux vont s'ouvrir sur tous les points de mon royaume, vous écouterez la voix de votre roi.

<< Maintenir la Charte constitutionnelle et les institutions qu'elle a fondées a été et sera toujours le but de mes efforts. Mais pour atteindre ce but, je dois exercer librement et faire respecter les droits sacrés qui sont l'apanage de la Couronne. C'est en eux qu'est la garantie du repos public et de vos libertés; la nature du gouvernement serait altérée si de coupables atteintes affaiblissaient mes prérogatives; je trahirais mes serments si je le souffrais.

« A l'abri de ce gouvernement, la France est devenue florissante et libre. Elle lui doit ses franchises, son crédit et son industrie. La France n'a rien à envier aux autres États, et ne peut aspirer qu'à la conservation des avantages dont elle jouit.

« Rassurez-vous done sur vos droits; je les confonds avec les miens et les protégerai avec

une égale sollicitude. Ne vous laissez pas égarer par le langage factieux des ennemis de votre repos. Repoussez d'indignes soupçons et de fausses craintes, qui ébranleraient la confiance publique et pourraient exciter de grands désordres. Les desseins de ceux qui propagent ces craintes échoueront, quels qu'ils soient, devant mon immuable résolution. Votre sécurité, vos intérêts ne seront pas plus compromis que vos libertés. Je veille sur les uns comme sur les autres.

Électeurs, hâtez-vous de vous rendre dans vos collèges! Qu'une négligence répréhensible ne les prive pas de votre présence, qu'un même sentiment vous anime, qu'un même drapeau vous rallie!

« C'est un roi qui vous le demande, c'est un père qui vous appelle. Remplissez vos devoirs, je saurai remplir les miens. »

<< CHARLES. »

LA RÉVOLUTION

Le roi avait rempli tous ses devoirs de prince; il n'avait jamais pensé, en effet, qu'il fût un roi parlementaire, pas plus d'ailleurs que ses mi

nistres, pas plus qu'aucun député, même de ceux qui faisaient partie de l'opposition. Le scrutin ouvert pour les nouvelles élections n'allait pas tarder à faire tomber toutes les illusions; le 23 juin, dans les collèges d'arrondissement, le cabinet n'obtient, sur 198 députés à élire, que 55 nominations, et, le 3 juillet, dans les collèges des départements, il ne se relève pas de sa défaite. L'opposition restait maîtresse du champ de bataille: non seulement les 221 avaient été réélus, mais le nombre de leurs adhérents politiques s'était sensiblement accru.

Le roi, vaincu au scrutin, ne voulut pas céder à des exigences qu'il regardait comme illégales, de quelque part qu'elles vinssent; il répétait à ses ministres, démissionnaires, qu'il ne s'agissait plus d'une question de ministère, mais de monarchie, et que jamais il ne consentirait à leur renvoi et à se soumettre ainsi aux prétentions de la Chambre, qui ne tendaient à rien moins qu'à confondre tous les pouvoirs et à réduire la Couronne au dernier degré d'avilissement. Le roi, s'armant donc de l'article 14 de la Charte qui pouvait s'interpréter dans le sens d'une liberté entière d'action laissée à la royauté, d'une sorte de dictature dans les cas d'une extrême gravité, fit publier dans

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