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talent du chef de son cabinet (M. Guizot), la fermeté et le sens politique de son ministre de l'intérieur (M. Duchâtel), et le temps aidant, avaient lassé les efforts des partis hostiles : les républicains aussi bien que les légitimistes paraissaient avoir renoncé à la lutte sur le principe même du gouvernement et se bornaient à le diriger dans la voie de leurs respectives théories, indistinctement appelées libérales, quoiqu'elles fussent fort diverses; on était arrivé à ce point, désirable pour tout établissement politique sérieux, où l'on ne comple plus, parmi les hommes qui détiennent le pouvoir et ceux qui l'ambitionnent, que des wighs et des tories.

Le centre gauche et la gauche constitutionnelle s'étaient réunis et avaient rédigé, en vue des élections prochaines, une sorte de manifeste-programme. La préoccupation évidente de tous ces honorables s'étalait d'une manière assez naïve, dans leur circulaire : « la question pour chaque électeur, disait-on, n'est pas de choisir celui qu'il préfère, mais bien, en nommant un homme indépendant, à quelque nuance de l'opinion qu'il appartienne, d'empêcher le succès du candidat ministériel; » quant à des vues nouvelles, à des principes opposés à d'autres

principes, il n'y en n'avait trace; en revanche, et comme dans tous les documents rédigés par l'opposition, il n'était pas d'injures que le gouvernement ne méritât, mais les doctrines de cette opposition restaient inconnues et si jamais elle arrivait au pouvoir, il faudrait d'abord résoudre le problème assez difficile de savoir en quoi elle se différenciait du ministère qu'elle entendait remplacer.

Il convient de remarquer que, dans aucune des circulaires des futurs députés, on n'avait songé à élever drapeau contre drapeau, et à contester la légitimité de l'établissement politique de 1830; c'était une opposition universellement et rigoureusement dynastique.

Les conservateurs, de leur côté, n'étaient point restés inactifs et, conduits sur le champ de bataille par M. Duchâtel, ils avaient remporté une éclatante victoire; les opposants, comme leurs adversaires, avaient perdu dans la mêlée un nombre à peu près égal de partisans (57 pour les uns et 55 pour les autres); mais les conservateurs avaient gagné 82 sièges, tandis que l'opposition n'en avait obtenu que 28: aussi, lors des premières opérations de la Chambre, et à l'occasion de la nomination du président, on peut constater la victoire et la défaite de chacun

des combattants: M. Sauzet, conservateur, obtint 223 voix sur 339 votants tandis que M. O. Barrot, opposant, n'en réunissait que 98.

L'élévation du taux de la rente française, l'éclat de notre industrie, de grands travaux publics partout entrepris, le travail fécond de nos paysans, tout se réunissait pour faire illusion sur la solidité, toujours problématique, d'un gouvernement parlementaire; comment croire à une chute possible, à une chute prochaine? Et puisque tout le monde officiel se réunisssait pour désirer la continuation de l'ordre de choses établi, d'où pouvait venir le danger?

Il ne vint pas en effet des ennemis du gouvernement mais d'une partie de ses amis. impatients, impolitiques et maladroits : c'est l'opposition dynastique qui prépara, comme de coutume, sans le savoir et sans le vouloir, la révolution qui devait l'emporter. Sur les 450 députés qui furent élus le 1er août 1846, il n'en est peut-être pas plus de trois à quatre qui n'aient donné la preuve la plus saisissante de leur bonne foi et de leur erreur, en combattant avec acharnement cette république de 1848, dont ils n'eussent pas manqué de profiter si elle avait figuré, même obscurément, dans leur pro

gramme.

Il y a quelque chose de profondément triste et d'instructif à la fois dans ces discours de politesse échangés entre le roi et la Chambre nouvellement constituée. Ce n'était pas un Discours du Trône proprement dit, ce n'était pas non plus une Adresse discutée et votée, comme au premier jour de l'année, c'étaient en réalité des souhaits de bienvenue et des remerciements, mais ils témoignaient tous deux de sentiments si dévoués, si amicaux, d'une croyance si ferme dans l'éternité de ce règne bourgeois, qu'on est saisi de pitié en songeant que la catastrophe était si prochaine, et d'une véritable indignation patriotique contre les malheureux qui allaient sottement déchaîner sur le pays une nouvelle révolution. Il est vrai qu'ils se repentirent et avouèrent tous publiquement leurs fautes, et mieux encore qu'ils montrèrent un courage et une intelligence vraiment hors ligne, à se défendre et à nous défendre contre les effets de l'orage qu'ils avaient déchaînés. Mais ce ne sont là que des circonstances atténuantes ; ils furent coupables, et coupables ils restèrent dans l'histoire, car, en politique, la bonne foi et l'envie de bien faire ne sont pas des excuses.

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J'éprouve une vive satisfaction, disait le

roi, à vous voir avec tant d'empressement réunis

autour de moi... Aujourd'hui j'ai seulement à cœur que vous receviez l'expression de mon dévouement entier, inaltérable, à notre patrie, et de ma confiance dans vos sentiments pour moi et pour ma famille. J'ai appris dès ma jeunesse à aimer et à servir la France. Appelé au trône par son vœu et pour le salut de ses libertés, j'ai consacré ma vie au maintien régulier de ses institutions et au développement pacifique de sa prospérité et de sa grandeur. Il n'y a point d'épreuve que je n'accepte et que je ne sache supporter pour attendre un but si cher à mon cœur.

«La providence permettra, j'espère, qu'avec le concours des Chambres et l'assentiment national, le succès soit assuré à cette œuvre patriotique. Mes enfants et les vôtres en recueilleront les fruits, et si la France, libre et heureuse, garde de nos communs efforts un souvenir affectueux, nous en aurons reçu, vous et moi, messieurs, la plus belle et la plus douce récom

pense. »

Cette note paternelle et attendrie, dans la bouche d'un vieillard que de nouveaux assassins venaient essayer de fermer pour jamais, provoqua les plus chaleureuses manifestations, dont l'écho se retrouva dans la réponse officielle

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