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des députés, « Sire, disaient les députés, la Chambre s'est rendue avec empressement à l'appel de Votre Majesté. Le vœu de la Charte devait s'accomplir et nous avions tous à cœur de déposer devant le trône constitutionnel notre respect et nos serments... Sire, la providence vous protège, elle prolongera le règne qu'a fondé le vœu national pour le salut de nos lois et de nos libertés. Vos enfants et les nôtres recueilleront le prix de nos communs efforts, et, comme suprême récompense, votre nom vivra béni et respecté dans le souvenir de la patrie. »

Hélas! que d'illusions de part et d'autre, et que d'erreurs aussi ! Le vœu national, comment fut-il jamais constaté? Ces libertés reconquises, qui donc avait songé à les détruire ? Ce n'était assurément ni Charles X ni M. de Polignac, qui ne cherchaient qu'à sauvegarder leur juste et nécessaire prérogative contre des opposants qui ne voulaient que des portefeuilles. Les ordonnances furent une défense et non une attaque.

Ces dynastiques étaient furieux alors, parce qu'ils n'occupaient pas le ministère; la rage du pouvoir les saisit, à dix-huit ans d'intervalle, et, pour prendre la place de Guizot, ils frappèrent lenr prince, qui consentait cependant avec une bonne grâce, dont ses amis l'ont étrangement

remercié, à se tenir dans les limites étroites assignées à sa puissance par le régime parlementaire; leur prince, dont les goûts, les vertus, la finesse et l'esprit d'économie représentaient avec une sorte de perfection la bourgeoisie couronnée.

LA RÉFORME

Nous avons dit que jamais, depuis 1830, la France n'avait donné au ministère une majorité aussi considérable que celle de 1846.

C'était là l'effort salutaire du pays; l'effort contraire du Parlement tendit à désagréger peu à peu ce faisceau de forces politiques, et sous le nom de tiers parti, de conservateurs indépendants, dont les chefs avoués étaient MM. Billaut et Dufaure, une fraction assez importante de la majorité inquiéta le ministère, qui, non sans raison, se méfiait plus de ces amis peu sûrs que de ses ennemis déclarés.

La discussion de l'Adresse révéla l'éloquence de bien des orateurs, et M. Thiers y traita, comme on sait, la fameuse question des mariages espagnols. Toutefois, cet illustre orateur était le successeur si naturellement dési

gné de M. Guizot que cette situation intéressée ôtait un peu de poids à ses arguments; il fut sérieusement agressif sans jamais cesser d'être courtois et commença par ce discours retentissant cette campagne décisive qui devait amener pour la France et pour lui-même de si amers résultats.

L'Adresse fut néanmoins votée à une majorité écrasante; mais les plus graves difficultés n'étaient pas nées.

La proposition de M. Duvergier de Haurame sur la réforme électorale, celle de M. de Rémusat sur les incapacités allaient naître ou plutôt renaître elles échouèrent, il est vrai, pendant cette session, mais elles ameutèrent imprudemment autour d'elles toutes les forces de l'opposition parlementaire et extra-parlementaire, et vinrent à bout du ministère, mais en même temps de la royauté.

Cette réforme électorale avait été déjà deux fois soumise aux délibérations de la Chambre des députés sous le ministère du 29 octobre. M. Ducos avait pris l'initiative avant cette époque, en 1842, d'une proposition relative à l'adjonction des capacités sur les listes électorales, et en 1845, M. Crémieux la reprit, mais

sans succès.

Le projet nouveau, dû à M. Duvergier de Hauranne, avait été précédé d'une brochure fort éloquente à la vérité, mais où l'on malmenait d'une manière bien imprudente le régime parlementaire objet des plus vives affections de l'auteur, et où l'on commentait avec complaisance toutes les misères qu'il avait déchaînées sur le pays : l'isolement de la France au milieu de l'Europe; une apathie morale en présence des situations les plus graves, des tendances universelles à l'égoïsme des intérêts, une corruption politique sans exemple, et l'asservissement du pouvoir parlementaire au pouvoir royal. Pour remédier à de pareils abus, l'honorable publiciste recommandait l'augmentation des incompatibilités, l'abaissement du cens électoral à cent francs, l'élévation à quatre cents du nombre minimum d'électeurs nécessaire pour constituer un collège, et l'introduction à la Chambre de cent députés de plus.

Il était hors de doute que l'auteur du projet et ses amis succéderaient au ministère Guizot si la proposition triomphait; aussi l'ardeur à la défendre fut-elle égale à l'ardeur qu'on mit à la

repousser.

La discussion, qui commença le 23 mars, s'engageait sous de mauvais auspices, pour les

ministériels

les conservateurs indépendants avaient pu porter au fauteuil de la présidence M. Léon de Malleville, et, circonstance plus grave encore, avaient obtenu la lecture de la proposition. De l'autre côté, il est vrai, il fallait lutter contre une éventualité redoutable: la certitude que la Chambre n'aurait plus qu'à se dissoudre si le projet passait, et cette perspective, pour une députation qui venait d'être élue, n'avait rien d'attrayant; on peut même affirmer, sans aucune preuve matérielle à l'appui, que ce sentiment un peu égoïste détermina le rejet de la réforme.

Notre but et le cadre où nous voulons nous renfermer n'exigent aucunement que nous prenions parti entre les belligérants. La réforme pouvait être aussi désirable qu'opportune sans que ses défenseurs cessassent de mériter les très graves reproches que l'histoire est en droit de leur adresser; c'était à eux de mesurer avec plus d'exactitude la somme d'opposition qu'ils pouvaient faire à leur régime politique de predilection, sans courir le risque de le renverser; c'était à eux d'abandonner momentanément une thèse qui, triomphante, leur donnait le pouvoir, mais qui, poussée avec trop de vigueur, devait leur coûter le trône. Si l'on ajoute enfin

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