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plus perspicace, retenu au rivage par sa grandeur, peut-être aussi par le souvenir de ses circulaires, entendait bien ne pas se fourvoyer avec les bousingots qu'il avait si bien combattus quelques années auparavant et se tenir à une place où il lui fût possible de succéder à M. Guizot. Il avait payé sa dette à ses amis de la gauche en mettant tout son talent à discréditer le ministère, mais il ne lui vint jamais. à l'esprit de reprendre sa plume de jeune homme pour rédiger dans le National un nouvel appel à l'insurrection. En 1830, après avoir contribué à renverser le gouvernement, il avait profité de ses efforts révolutionnaires: en 1848, il en fut pour ses frais, mais il se rattrappa en 1870, et non seulement conseilla le gouvernement nouveau, mais devint lui-même chef d'État. Quel plus saisissant exemple pourrait-on proposer aux jeunes générations politiques, et quelle carrière en France que celle de l'opposition quand le régime parlementaire fonctionne.

Les banquets, disait-on, étaient envahis par M. Ledru-Rollin; il y avait du vrai et de l'inexact dans cette assertion; les amis de l'honorable député cherchaient en effet, mais discrètement, à profiter de l'agitation qu'ils comprenaient bien n'ètre faite qu'à leur profit, mais

le futur tribun était ignoré et s'ignorait encore lui-même à cette époque.

Quant à l'honnête et toujours honnête O. Barrot, il était de bonne foi dans son opposition toute dynastique, et, quand il crut voir que le mouvement dépassait le but qu'il lui avait assigné, il s'abstint de là les calomnies, dont on parlait, et qu'en effet, les radicaux ne lui ménageaient pas.

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LE BANQUET RÉFORMISTE DU XII ARRONDISSEMENT

Le banquet parisien avait été résolu, comme nous l'avons dit, par l'opposition; les commissaires en avertirent la population dans les termes suivants :

<«< La commission du banquet réformiste du XII arrondissement, forte des marques de sympathie qui lui ont été données, forte aussi de la polémique soulevée dans les journaux en réponse à la prétention illégale de M. le ministre de l'intérieur, déclare persister dans sa résolution elle indiquera prochainement le jour de cette manifestation, qui n'a été retardée que sur la demande de plusieurs députés.

retenus à la Chambre par la discussion de l'Adresse. >>

La rue était donc conviée officiellement à donner son opinion, ou pour parler sérieusement, à peser sur les décisions du gouver

nement.

Le lendemain tous les journaux de l'opposition, le Constitutionnel, le Siècle, le Courrier Français, la Commune, le National, insérèrent un long document émanant des députés favorables à la réforme et dont le but évident était de réchauffer le zèle de leurs partisans, et la conclusion, une véritable déclaration de guerre à la Couronne.

Une réunion de plus de cent députés, disaient ces journaux, appartenant aux diverses fractions de l'opposition, a eu lieu ce matin pour décider en commun quelle ligne de conduite il convient de suivre après le vote du dernier paragraphe de l'Adresse. L'Adresse, telle qu'elle a été votée, constituait de la part de la majorité une violation flagrante, audacieuse, des droits de la minorité. L'opposition se devait à elle-même de combattre incessamment la politique contre-révolutionnaire du Gouvernement. Une commission a été nommée pour s'entendre avec les commissaires du banquet,

et cette décision a été prise, sans préjudice des appels que, sous d'autres formes, les députés de l'opposition se réservent d'adresser au corps électoral et à l'opinion publique. L'opposition affirmait que le cabinet avait dénaturé le véritable caractère de l'Adresse. En conséquence elle avait résolu, à l'unanimité, qu'aucun de ses membres, même ceux que le sort désignerait pour faire partie de la grande députation, ne participerait à la présentation de l'Adresse.

Ce document, qui se terminait par une inconvenance envers le roi, était bien pauvre en arguments et brillait surtout par cette naïveté affirmée avec conviction, à savoir que la majorité a le devoir de céder à la minorité sous peine de violer les droits de cette dernière ! Les conservateurs avaient trouvé cette réforme électorale fâcheuse dans ses résultats inévitables, inopportune au moment où la Chambre nouvelle commençait seulement à siéger; elle désirait en outre conserver un ministère qui paraissait défendre avec talent et autorité ses intérêts. Mais tous leurs vœux devaient céder aux vœux de leurs collègues de la minorité! et c'est là ce qu'ils appelaient la sincérité du régime parlementaire!

Cependant ces prédications avaient produit sur les esprits d'une bourgeoisie, toujours facile à surexciter, leur effet accoutumé : les gardes nationaux commençaient à se demander de quel sabre ils se serviraient le 22 (jour de la date du banquet); serait-ce celui qui est destiné à défendre le gouvernement, ou bien cet autre, bien plus affilé et bien plus souvent employé qui a pour but de l'attaquer?

Des professeurs célèbres du collège de France, MM. Michelet, Edgar Quinet et Mickiewicz n'avaient pas tardé à emboiter le pas des députés, et leurs élèves, naturellement émerveillés de voir d'aussi illustres personnages leur conseiller à mots couverts la révolte, s'étaient empressés de suivre des voies toujours séduisantes pour des étudiants parisiens répandus dans les rues, ils allaient en troupes, aux bureaux de tous les journaux de l'opposition, y faisaient ce qu'on appelle des démonstrations pacifiques, jusqu'au jour qui précède les émeutes, et recevaient parfois un accueil assez dédaigneux de la part de certains chefs de la démocratie radicale. M. Flocon les avait appelés de jeunes fils de famille, ce qui dans sa bouche était évidemment méprisant, et les avait engagés à se tenir prêts pour les luttes prochaines.

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