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Paris. Ils avaient un candidat dans chacun des arrondissements et pas un ne passa; ce fut la révolution qui eut tous les honneurs de la journée; MM. Gambetta, Bancel, Ernest

Picard, Raspail, J. Ferry, J. Favre, J. Simon, Eugène Pelletan, Garnier-Pagès étaient élus. Il fallut toutes les forces du parti modéré pour faire passer M. Thiers au scrutin de ballottage.

L'émotion qui suivit cette manifestation parisienne fut très vive en France et en Europe. Chez nous on criait au scandale, Paris, disaiton, s'était couvert de honte, et montrait une absence complète de tact politique; quoi, c'étaitlà la réponse de la ville la plus intelligente et la plus importante de l'empire aux bons procédés que l'empereur ne cessait de montrer aux libéraux; une pareille faute n'était-elle pas capable de décourager pour jamais le souverain? Car, il ne fallait pas s'y tromper, à Paris tout au moins, et Paris était tout, on laissait les radicaux et le gouvernement seuls en présence; ce n'était plus la marche quotidienne qu'il s'agissait d'accélérer, on arrivait d'un seul coup à la lutte, au combat entre le gouvernement et ses irréconciliables adversaires!

A l'étranger, avec plus de sang-froid et plus

d'impartialité, on se dit que l'empire venait de recevoir une atteinte grave, et le ton de la diplomatie européenne à notre égard fut aussitôt modifié; en Allemagne comme en Angleterre, on ne songea pas un instant à dissuader l'empereur de persévérer dans la voie où il s'était engagé on avait dans ces deux grands pays, des notions fort exactes sur le degré d'autorité et de puissance que le régime parlementaire donne à la France, et on le désirait pour elle; ce n'est point du tout calomnier nos voisins que de leur supposer des sentiments hostiles à la grandeur de notre pays.

Le Times, cette avant-garde de l'esprit de la cité, recherchait, dans un grand article, quelle était la signification de cette hostilité ouverte de la plus grande ville de l'empire: « Sans doute, disait-il, il est de mode aujourd'hui de dire que Paris n'est plus la France et ne pèse comme influence politique que dans la proportion du chiffre de sa population; mais ce n'est pas exact ; la grande cité a raison : la centralisation française conservera toujours une influence prépondérante sur le reste du pays. Il est donc difficile de traiter légèrement la condamnation que Paris vient de prononcer contre le pouvoir personnel. Il faut espérer que le grand sens et la grande

âme de l'empereur ne seront pas découragés par ce verdict, et qu'il y verra, au contraire, une raison de plus de persévérer dans sa voie libérale. »

Chez nous, comme à l'étranger, on se trompait, ou l'on voulait tromper sur la signification des élections parisiennes; le fait qui venait de se produire était normal; sous tous les régimes qui se sont succédé en France depuis notre grande Révolution, il a été constant l'électeur parisien, qu'il soit censitaire ou non, nomme toujours des députés de l'opposition; la règle ne souffre aucune exception. Au début d'un gouvernement, cette opposition est relativement modérée, et quelques années se sont à peine écoulées qu'elle devient absolument radicale. Si l'on tourne ses regards sur la province, on la voit au contraire constante dans ses voies traditionnelles de conservation, et nommant des députés toujours favorables aux idées de discipline et de stabilité.

Si donc on consentait désormais, comme le conseille impérieusement la sagesse, à chercher la raison de sa future conduite dans les manifestations électorales du pays, on ne tiendrait compte des élections parisiennes que pour resserrer les liens de la discipline politique qui

commencent à s'y relâcher, et pour en appeler de la capitale, fatalement turbulente, à la France toujours amie de la raison. Que diraiton d'un père de famille qui forcerait tous ses enfants et petits-enfants à subir les caprices du plus incorrigible brouillon d'entre eux? Il est de mode, il est vrai, de prétendre que Paris est la tête du pays, et que les membres de ce grand corps qu'on appelle la France n'ont rien de mieux à faire que d'obéir à ce cerveau toutpuissant ce sont là des mots et rien que des mots. Il y a des têtes folles; et toutes les capitales du monde, au point de vue politique, sont convaincues de folie. Cette maladie depuis longtemps constatée est l'inévitable et mathématique résultante d'une énorme agglomération d'hommes dans un espace restreint.

Les libéraux, qui avaient toute espèce de raisons pour ne pas laisser enrayer le mouvement libéral, se fâchèrent bien fort contre leurs alliés de la veille, qui avaient obtenu à Paris un si éclatant succès. Ils affirmèrent que malgré cette incartade, malgré cette ruade des Parisiens, ils restaient maîtres de l'opinion publique, et qu'ils sauraient préserver désormais le gouvernement contre les mauvais procédés de leurs amis ils étaient sincères à n'en pas douter,

mais ils n'avaient point en 1869, pas plus qu'en 1815, 1829 ou 1847, la force de résistance nécessaire pour accomplir leurs louables desseins.

On les crut cependant, et l'empereur luimême consentit à remettre entre leurs mains sa couronne populaire.

LE PLEBISCITE

L'exposé officiel de la situation de l'empire en novembre 1869 débute en ces termes :

« L'année 1869 a été inaugurée par deux faits politiques considérables.

<< Le Corps législatif, parvenu au terme de son mandat, a été soumis au renouvellement prévu par l'article 38 de la Constitution. - Dans tout l'empire, les opérations électorales se sont accomplies simultanément: plus de huit millions d'électeurs y ont pris part, et, malgré la vivacité de la polémique engagée dans les journaux, malgré la violence des discours prononcés dans certaines réunions publiques ou privées, le vote a eu lieu dans des conditions d'ordre et de régularité incontestables: la masse de la populattion est restée étrangère aux ten

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