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soins et grâce à des talents incontestables, dont il fit un détestable usage, que trois gouvernements sont successivement tombés; nommé un jour, après nos désastres, par vingt-cinq départements conservateurs pour barrer le chemin à la république, il lui ouvrit la porte à deux battants. Au point de vue politique, ce fut une véritable félonie que, par un reste d'indulgence pour un homme qui a joué un rôle si considérable, on serait tenté de mettre au compte d'une erreur de jugement, s'il n'avait pas été le bénéficiaire de cette erreur.

Au surplus, en présence des faits cités à la tribune, et de ceux que sa mémoire, si garnie, si fidèle, n'a pas manqué de lui rappeler, il est fort probable que cet homme d'État savait, mieux que personne, l'inévitabilité de cette guerre, et qu'un prétexte venant à faire défaut à nos ennemis, ils en eussent mis un autre en avant. On ne couvre pas la France d'espions, on ne fait pas des armements formidables, pour rester les bras croisés ! Il est vrai que ce grand orateur s'était employé activement à refuser au gouvernement de l'empereur les hommes et les crédits que ce dernier jugeait indispensables pour se préparer à un conflit qu'il prévoyait déjà et que déjà il redoutait. Il est vrai

que cet historien illustre traitait de fantasmagorie la révélation portée à la tribune par le maréchal Niel, au sujet du nombre d'hommes que les Prussiens pouvaient mettre en ligne; et ces votes importuns, cette politique imprévoyante, ont peut-être troublé sa vue, au dernier mo

ment.

Quoi qu'il en soit, ce qu'il importe de constater, c'est que le Parlement souverain a été mis successivement au courant de toutes les phases des négociations qui ont précédé la déclaration de guerre ; que dans toutes ses manifestations, il a montré un enthousiasme et une ardeur sans réserves pour la solution qui est intervenue et que, du 5 au 20 juillet, il a eu tout le temps nécessaire pour mûrir ses décisions, pour ne prendre de résolution définitive qu'après avoir tout pesé. Il n'est pas un de nos contomporains ayant assisté à ces séances mémorables, qui ne puisse affirmer qu'un vote un peu douteux de la Chambre, qu'une majorité simplement discutée accordée au ministère, eût fait changer le cabinet et amené au pouvoir un ministère pacifique; nous le répétons, car c'est un point important, il ne fallut rien. moins que l'unanimité de cette assemblée bonapartiste, qui ne comptait que quelques intran

sigeants, pour décider la guerre ; constitutionnellement, l'empereur n'avait aucun moyen d'imposer sa volonté, et grâce à la logique de la Chambre, sa personne, son nom, furent comme absents de ces débats solennels; les députés avaient tiré du sénatus-consulte des conclusions si rigoureuses, que de cette grande autorité des années précédentes, il ne restait rien.

Le Parlement venait de voter la guerre, comment allait-il la soutenir?

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 1870

9 août.

M. le président Schneider lit à la Chambre le document suivant:

« Considérant que les informations qui arrivent au gouvernement lui signalent la présence spontanée à Paris de la plupart des sénateurs et des députés - Art. 1er. La session extraordinaire du Sénat et du Corps législatif sera ouverte le 9 août. - Fait au Palais des Tuileries, le 7 août 1870: Par l'Empereur et en vertu des pouvoirs qu'il nous a confiés, EUGENIE. Contre-signé : E. Ollivier. »

C'eût été une bien grande faute que d'appeler le Parlement à délibérer dans des circonstances aussi critiques, s'il avait été possible d'agir autrement. Quel est le pouvoir régulier en Europe, à l'exception de l'aristocratique Angleterre, qui aurait consenti à délier la langue de ses orateurs parlementaires pendant qu'il chargeait la gueule de ses canons? La guerre est chose sérieuse dont il faut confier exclusivement la conduite aux spécialistes, c'est-à-dire aux guerriers; l'histoire de la Convention ne prouve rien contre cette règle appliquée en tous temps et par tous les peuples, car cette Convention ne ressemblait en rien à nos parlements modernes; elle envoyait à la guillotine les bavards, les indiscrets, les importuns même, et déléguait toute sa puissance à des comités composés d'un très petit nombre de membres, agissant à leur guise et sous leur responsabilité; c'était comme une contrefaçon révolutionnaire du Conseil des dix: à ce compte, une assemblée peut exister pendant la guerre, car, en réalité, elle ne discute pas.

Mais était-il possible de ne pas réunir le Parlement en 1870? Assurément non. L'empereur était sans pouvoirs, puisqu'il était sans ministres à lui et ne pouvait gouverner qu'avec ceux que

la Chambre lui imposait. Il était cependant indispensable que quelqu'un commandât. Dans un moment de crise, tout le monde sent instinctivement le besoin de la discipline; or, ce quelqu'un ne pouvait être que la Chambre.

A partir de cette époque, et pendant les quelques jours qui précédèrent le triste dénouement, la Chambre bonapartiste cessa virtuellement d'exister, et se traîna à la remorque de huit ou dix députés hostiles à l'empire et qui entendaient bien profiter de nos malheurs pour renverser un gouvernement qu'ils détestaient. Mais pourquoi ces centaines d'hommes dévoués ne se mettaient-ils pas en travers des prétentions alors avouées d'un petit groupe de violents? Il semble qu'avec bien peu de courage et une prévoyance des plus ordinaires, ils eussent pu en venir à bout et épargner à notre pays, une nouvelle et dangereuse révolution devant l'ennemi. Hélas! ils ne le pouvaient pas; ils ne sont pas faits pour ce rôle et la situation était inexorable. Défendre l'empire, c'est bientôt dit, mais si l'empire n'existe plus en réalité, il faut donc le refaire de la base à la tête et dans quels moments?

La fatalité posait sa main rude sur ces braves et honnêtes gens fourvoyés dans une beso

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