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en craindre son état ne saurait empirer. S'il ne peut subsister que de son travail, et que la défiance et le mépris général lui ôtent cette ressource, il n'en a pas d'autres que de se faire mendiant ou voleur (1). »

Les peines infamantes ne renferment point, du reste, les principales propriétés que les peines doivent, en général, posséder pour atteindre leur but. Elles sont immorales puisqu'elles élèvent un obstacle à peu près invincible à la réforme du condamné; indivisibles, puisqu'elles ne permettent pas de distribuer le blâme suivant le degré et les nuances de la criminalité; inégales, puisque, légères pour les uns, pour les autres elles sont accablantes; irréparables enfin, puisqu'elles empreignent le condamné d'une indélébile flétrissure. A la vérité, elles sont exemplaires, mais le législateur doit-il acheter cet effet aux dépens de la morale et de l'humanité?

Nous poserons donc, comme une première règle, qu'il ne doit point exister de peines infamantes proprement dites, qu'en général les peines afflictives doivent être correctionnelles, en un mot, que la loi doit se borner à dresser l'échelle de ses peines, à en faire l'énumération, en laissant à l'opinion publique la mis

(1) Théorie des peines, tom. I, pag. 127. Et M. Livingston, Report on the plan of a penal code, pag. 21.

sion de distribuer l'infamie sur les actions qu'elle punit. Cette règle est devenue élémentaire.

Au premier degré de l'échelle pénale, nous trouvons la peine de mort.

Les longues discussions que l'emploi de cette peine a soulevées ne sont ignorées de persoane. Il n'entre point dans le plan de cet ouvrage de reprendre une controverse à peu près épuisée, et de reproduire des argumentations tant de fois reproduites (1). Une tâche nouvelle nous est imposée : c'est de constater l'état de cette haute question; c'est de la présenter telle que la science, l'opinion publique et la législation l'ont faite; en un mot, de dévoiler les circonstances actuelles dans lesquelles elle se produit.

(1) Voyez des délits et des peines par Beccaria, chap. 16; Commentaire du Traité des délits et des peines, par Voltaire; Principes des lois de Mably; les Lois pénales, tom.1", 2 partie, par M. de Pastoret; Théorie des lois criminelles par Brissot-Warville; Dissertation sur la peine de mort, par M. Nicolas Pinel; le Rapport de Lepelletier Saint-Fargeau sur le Code pénal de 1791; Théorie des peines de Bentham; Théorie du Code de 1810, par M. Target; de la peine de mort en matière politique, par M. Guizot; du Système pénal, par M. Charles Lucas; le Rapport au sénat de la Louisiane, par M. Edw. Livingston; le Traité du droit pénal de M. Rossi ; M. Faucher, Temps de 1830; M. Urtis, de la Conservation de la peine de mort; les Discussions des chambres, Code pénal progressif, pag. 79, etc., etc.

TOM. I.

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La question a souvent changé de face. Beccaria qui, le premier, la souleva, avait nié le droit de la société de mettre l'un de ses membres à mort, parce qu'à ses yeux la société avait un contrat pour principe; or, disait-il, quel est celui qui aurait voulu céder à autrui le droit de lui ôter la vie? Comment supposer que dans le sacrifice que chacun a fait de la plus petite portion de liberté qu'il ait pu aliéner, il ait compris le plus grand des biens (1)? Nous avons vu précédemment que cette hypothèse était chimérique; mais en l'admettant même, les déductions que Beccaria en tire n'étaient point irrésistibles. Nous ne nous arrêterons pas à la réponse de Rousseau qui a prétendu que les malfaiteurs devaient être mis à mort par le droit de la guerre, parce qu'ils s'étaient déclarés les ennemis de la société par leurs forfaits (2). Cet écrivain a pris le soin de se réfuter lui-même lorsqu'il a dit : « On n'a le droit de tuer l'ennemi que quand on ne peut le faire esclave (3). » Mais Filangieri avait répondu, avec plus de sagacité, que tous les hommes ayant dans l'état de nature le droit de punir la violation des lois naturelles, et d'ôter par conséquent la vie au transgresseur, ce droit avait été transmis à

(1) Traité des délits et des peines, ch. 16.

(2) Contrat social, liv. 2, ch. 5.

(3) Ibid.lv. 1, ch. 4.

la société elle-même et déposé entre les mains du voir social (1).

pou

La discussion s'est transportée sur un autre terrain. On a dit la peine de mort est illégitime : l'homme a un droit personnel à l'existence, et ce droit est inviolable.

Deux argumens principaux ont été opposés à cette théorie.

La justice sociale est un devoir, et la peine en est un élément, un moyen nécessaire, et par conséquent légitime. La peine est une souffrance, la privation d'un bien. Tout bien peut offrir matière de pénalité. Le bien qu'enlève la peine capitale est la vie corporelle. Quels sont donc les motifs particuliers qui rendraient illégitime en soi ce moyen de punition? «< En supposant, ajoute M. Rossi (2), que la mort d'un homme coupable d'assassinat soit le seul moyen d'atteindre le but que le devoir impose à la justice sociale, comment affirmer que le bien de l'existence ne pourra être enlevé à l'assassin? >>

En second lieu, si l'homme avait à l'existence un droit personnel qui fût inviolable, comment concilier cette

(1) Liv. 3, pag. 11, ch. 5.

(2) Traité de droit pénal, tom. III, pag. 143.

théorie absolue avec l'unanime assentiment des peuples, qui, dans tous les siècles, à toutes les époques, soit de civilisation, soit de barbarie, n'ont point hésité à admettre la peine de mort, n'ont point été troublés de son appareil et de son exécution? Ce fait inébranlable a résisté à toutes les tempêtes politiques, à toutes les transformations sociales. Il a suivi les peuples dans leurs migrations; tous les cultes l'ont reconnu sans le combattre; les progrès de l'intelligence, le développement moral de l'humanité ne l'ont point détruit. La peine de mort n'a jamais été abolie au sein d'un peuple d'une manière complète et permanente. Comment donc, en présence de l'histoire, accuser la société d'assassinats juridiques? Comment flétrir la peine comme illégitime, lorsqu'on ne fait entendre ni le cri de la conscience, ni le frémissement de la réprobation publique?

La doctrine de l'illégitimité a été à peu près abandonnée, mais ses partisans sont entrés dans une autre voie d'argumentation; ils ont soutenu que la peine de mort, fût-elle dans le droit de la société, devait être abolie, parce que cette peine était inefficace, parce que, quelle que fut son efficacité, elle avait cessé d'être nécessaire. Suivons-les sur ce nouveau terrain.

« Que demandons-nous, s'écrie M. Livingston? que vous abandonniez une expérience imperturbablement suivie depuis cinq ou six mille ans, modifiée de tou

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