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tes les manières et sous toutes les formes qu'a pu inventer le génie de la cruauté dans tous les âges, et qui a toujours manqué son effet. Vous avez fait votre essai il a été accompagné d'une dévastation incalculable de l'espèce humaine, d'une dégradation affligeante de l'entendement humain; il a été trouvé sou-: vent fatal à l'innocence, fréquemment favorable aux. criminels, toujours impuissant pour réprimer lecrime. Vous avez à votre gré et sans obstacle poursuivi l'œuvre de la destruction, toujours témoins de la progression des crimes et toujours supposant qu'une progression de sévérité était le seul moyen de les réprimer. Mais comment se fait-il que n'apercevant, malgré tout, nul relâche dans la répétition, nulle diminution dans le nombre des crimes, il ne vous: soit pas venu une seule fois dans l'esprit que la douceur pourrait réussir peut-être, où avait échoué la sévérité (1).

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Sans vouloir affaiblir l'effet de ces éloquentes paroles, nous nous permettrons quelques explications. Sans doute on peut soutenir avec fondement, en s'étayant des témoignages de l'histoire, que là où les supplices les plus cruels ont existé, les crimes les plus atroces se sont manifestés. Car, ainsi que le remarque Bentham, les malfaiteurs s'endurcissent à la

(1) Introductory report on a penal Code, pag. 97.]

pensée du sort qui les menace, et leurs actes les plus effroyables de barbarie ne sont alors que des représailles. Mais peut-on attribuer à la seule peine de mort une progression dans les crimes, progression qui, du reste, pourrait être fort contestée. Cette assertion serait sans doute hasardée. En général, les délits n'ont point varié à raison des peines, mais à raison des mœurs et des temps. Nous ne savons si la suppression de la peine de mort les rendrait plus nombreux ou plus terribles, et nous attendons avec un vif intérêt le fruit des essais que M. Livingston va tenter à la Louisiane. Mais il nous est difficile d'admettre que l'application de cette peine soit comme une semence féconde de crimes, et que de l'échafaud même descendent les attentats qui l'ont fait dresser.

Nous ne pouvons non plus adopter cette opinion du même publiciste, que la peine de mort est méprisée des criminels. C'était aussi l'opinion de Lepelletier de Saint-Fargeau, lorsqu'il disait dans son rapport à l'assemblée constituante: « Les grands criminels ont toujours de commun avec les plus vertueux des hommes, les héros même, le mépris de la mort (1). » Les faits isolés que l'on cite à l'appui de cette assertion, nous touchent peu; cette peine est la plus redoutée et elle doit l'être; c'est une loi de la nature humaine.

(1) Moniteur de 1791, no 152, pag.
.630.

Toutefois, on doit remarquer que toute puissante, lorsque l'intérêt est le seul mobile du crime, son pouvoir s'affaiblit quand ce crime est le frait des passions, et qu'il devient plus faible encore, quand ce sont des idées qui ont mis les armes à la main, comme en matière politique.

cessive

Elle a d'autres avantages: elle ôte le pouvoir de nuire; elle est analogue au délit dans le cas d'assassinat; enfin elle est exemplaire par son formidable appareil et l'impression qu'elle laisse dans les esprits. Mais à côté de ces avantages, on peut lui reprocher d'être inégale, indivisible et irréparable; elle est inégale: exd'autres, elle est presque pour les uns, pour nulle; etc'est à mesure qu'elle sévit sur la classe la plus dépravée et la plus redoutable des malfaiteurs, que son action est souvent faible et incertaine. Elle est indivisible: maximum immuable, elle s'applique à des crimes variés et distincts les uns des autres; elle confond toutes les nuances, toutes les gradations du crime dans une même punition. Enfin, elle est irréparable. «Ici, dit M. Rossi, viennent échouer tous les raisonnemens de ceux qui osent encore l'appliquer à un grand nombre de crimes, aux crimes difficiles à constater (1). Et M. de Pastoret s'écrie : « Ai-je besoin de rappeler la faillibilité de l'homme, l'incertitude des preuves,

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(1) Traité de droit pénal, tom. III.

les erreurs des jugemens? La justice peut retrouver le coupable fugitif, elle ne retrouve pas l'innocent égorgé (1). »

N'est-il pas déjà permis de conclure, sans entrer dans de plus longs développemens, que si la peine de mort peut entraîner, en cas d'erreur, de déplorables effets, que si cette peine est défectueuse, sous d'autres rapports, du moins, son efficacité répressive ne doit pas être mise en doute. Arrivons au dernier poiut de cette grave controverse; la question va prendre une face nouvelle : ce n'est plus la puissance ni la légitimité de la peine que l'on conteste, c'est sa nécessité.

On reconnaît que la société est soumise aux idées de chaque époque; les vérités sociales ne lui arrivent qu'une à une, et sa conscience est en sûreté tant qu'elle se conforme à l'idée universellement admise. Ainsi, tant que la nécessité de la peine de mort sera son dogme, elle pourra appliquer cette peine, sans blesser les lois de la morale. Mais cette nécessité peut se modifier avec les temps, avec les peuples; il est évident qu'elle n'est pas la même aux époques de barbarie et aux époques de civilisation, chez les nations éclairées et chez celles qui sont encore dans les ténèbres de l'ignorance; enfin, dans les pays puis

(1) Des lois pénales, tom. I, 2 partie.

sans et populeux, et dans ceux dont les frontières forment un cercle de quelques lieues.

Or, c'est une règle qui n'est plus contestée par personne, que la peine de mort est un moyen de justice extrême, dangereux, dont on ne peut faire usage qu'avec la plus grande réserve et seulement en cas de véritable nécessité (1). C'était aussi l'opinion de Montesquieu, qui la considérait comme le remède de la société malade, et la voulait réserver aux seuls attentats contre la vie (2). L'abbé de Mably, l'un des plus zélés défenseurs de cette peine, disait également : « Il n'y a que deux coupables qui méritent la mort l'assassin et celui qui trahit sa patrie (3)..

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Cela posé, on s'est demandé s'il est bien certain que, dans l'état actuel de la société, qu'au degré de civilisation où elle est parvenue, la peine capitale soit indispensable à son existence, à sa sécurité; s'il est bien constaté que ce soit encore là, suivant l'expression de M. de Maistre, le pivot sur lequel elle se meut; s'il est prouvé que, dénuée de cette arme terrible, elle deviendrait la proie d'attentats plus violens, de crimes plus atroces; enfin, si les peines ne peuvent pas sans danger devenir moins sévères lors

(1) M. Rossi, tom. III, pag. 163
(2) Esprit des lois, liv. 12, ch. 4.
(3) Principes des lois, liv. 3, ch. 4.

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